Ahmed Bennour, chief digital transformation and information officer de Naval Group décrit les spécificités de la relation IT-métier en milieu industriel, et partage ses conseils pour renforcer la proximité entre ces différentes équipes autour des projets innovants.
De votre point de vue, qu’est-ce qui a le plus changé dans la relation entretenue entre les équipes IT et les métiers dans l’industrie ces dernières années ?
Nous avons pu voir lors de l’atelier, que même si tous les participants venaient d’horizons différents, il y avait une cohérence globale dans ce que nous avions vécu ces dernières années. Je pense que l’on peut résumer cela par l’évolution de l’attente globale. Le digital, tout le monde en parle aujourd’hui, ce n’est plus le pré carré de certains.
Et tout le monde a des attentes particulières, alors que chacun estime que cela va être, d’une façon ou d’une autre, un facteur d’amélioration de la performance de l’entreprise. Le revers de la médaille est que chacun voit midi à sa porte. Si l’on revient dix ans en arrière, au contraire, rares étaient ceux dans l’entreprise qui s’intéressaient aux services informatiques. En une décennie, cette bascule des attentions a tout changé. D’autant plus qu’en parallèle, nous avons vu apparaître des technologies que l’on peut qualifier de « transformantes », c’est-à-dire qui permettent des usages qui changent en profondeur l’entreprise.
Avez-vous un exemple ?
Je vais prendre un exemple qui peut paraître simpliste mais qui a un impact majeur. Cela peut surprendre, mais pour une industrie comme la nôtre, l’accessibilité des tablettes robustes à des prix compétitifs, avec les technologies de développement logiciel qui vont avec, et la généralisation de la connectivité notamment wifi, transforme énormément le quotidien. Et il en va de même quand on parle des avancées en matière de RFID (radio-identification). Pour nous, le digital est vraiment un défi du « dernier kilomètre », c’est-à-dire un enjeu de transformation sur le terrain, plus que sur le cœur du système d’information. Comment mettre les bonnes données à disposition de l’opérateur dans son atelier ? Et inversement, comment récupérer efficacement dans le système les données venues du terrain. Le digital, c’est l’un des maillons clés entre l’opérateur et le bureau d’études.
Comment les métiers perçoivent-ils cet impératif digital ?
Pour une entreprise comme la nôtre, le défi est celui de l’industrialisation, du « scale-up », qui a un impact technique conséquent. Mais en parallèle, si on veut que les collaborateurs utilisent tous les jours le digital en environnement industriel, il est nécessaire que cette révolution soit gérée par des gens dont c’est directement le métier. Ces enjeux d’industrialisation sont au centre de la qualité de service et la DSI a fondamentalement besoin du métier pour y répondre. Donc, effectivement, une perception positive est importante car les deux principaux leviers d’action sont les moyens, certes, mais aussi l’état d’esprit des équipes.
[bctt tweet= »« Pour nous, le digital est vraiment un défi du « dernier kilomètre », c’est-à-dire un enjeu de transformation sur le terrain. » » username= »Alliancy_lemag »]Qu’anticipez-vous comme changement pour les mois à venir ?
Plus que jamais, les métiers vont continuer à chercher des solutions ailleurs à chaque fois qu’une DSI leur dira qu’un projet n’est pas possible ou qu’elle n’aidera pas à en accélérer la réalisation. La priorité est donc déjà d’apprendre à ne jamais dire « non ». C’est une nouveauté assez importante pour les équipes IT, même si des progrès ont déjà été faits en ce sens.
Aujourd’hui, il faut toujours dire « oui » par principe et ensuite travailler avec les métiers pour construire ensemble le « comment ». Ce changement de posture ne peut cependant suffire. Pour dire « oui », il faut des moyens. Au sein de Naval Group, nous avons mis en place la digital factory justement pour avoir des équipes qui fonctionnent en mode agile et qui soient capables de porter cette agilité, cette ouverture, cet accompagnement auprès des métiers. Il faut continuer en ce sens. Les technologies qui servent ces dispositions agiles, par exemple pour développer des applications modernes, sont disponibles sur le marché. Tout l’enjeu est alors au niveau de la sécurité, qui peut devenir un frein majeur.
[bctt tweet= »« Pour la DSI, la priorité est donc déjà d’apprendre à ne jamais dire « non ». » » username= »Alliancy_lemag »]Et là aussi nous devons présider à un changement d’état d’esprit : entrer dans une approche du « oui », pour trouver des solutions, plutôt que de ne voir que des problèmes. Ce n’est pas facile. Mettre en place une connexion wifi peut sembler une évidence pour de nombreuses entreprises, mais cela ne l’est pas dans notre environnement industriel. La solution consiste à intégrer la sécurité en amont dans la relation IT-métier, pas à la fin des projets, et à la faire pénétrer dans les processus directement, à tous les niveaux.
Quel conseil donneriez-vous pour mieux accompagner cette transformation des façons de fonctionner à la fois des métiers et de l’IT ?
Rester sur les fondamentaux : travailler les cas d’usage. Le risque réel aujourd’hui, est que tout le monde se lance en désordre pour faire du digital, sans s’assurer de la pertinence des cas d’usage et du ROI. Cela dépasse de loin la relation IT-métier ; c’est le sujet stratégique de l’entreprise. Le piège serait de céder à la facilité et d’expérimenter dans tous les sens.
Aujourd’hui, il faut industrialiser, passer à l’échelle, la valeur vient de là. Pour y arriver, il est nécessaire de se souvenir que la conduite du changement est permanente, et doit être suffisamment profonde pour amener un pivot majeur dans les esprits : si on essaie seulement de reproduire un peu différemment ce que l’on faisait jusque-là, tout le monde en sortira déçu. Dans nos métiers industriels, il est ainsi essentiel de garder « la vraie vie » en ligne de mire.
[bctt tweet= »« Nous devons pouvoir nous effacer ; c’est parfait si c’est le métier qui prend tout le mérite d’un projet réussi ! » » username= »Alliancy_lemag »]Pour reprendre l’exemple précédent concernant les tablettes déployées sur le terrain, on sait pertinemment qu’il y a un risque, avec des opérateurs qui continueront à utiliser du papier et pour lesquels les tablettes ne font in fine pas gagner de temps. Ce n’est pas seulement une histoire de compétence, de formation à l’outil. C’est souvent le signe que la réalité du terrain n’a pas été suffisamment prise en compte. Qu’est-ce qui gêne exactement l’opérateur ? Ses gants ? Autre chose ?
On ne peut apporter de réponse, et donc avoir un vrai accompagnement, qu’en créant une proximité entre tous les niveaux de management et d’utilisateurs. Mon conseil serait donc de multiplier au sein des équipes IT les personnes qui comprennent les processus métier, car la proximité n’est pas seulement géographique. Il faut surtout « penser comme le métier ». Et le faire avec beaucoup d’humilité ! Cette relation IT-métier est un partenariat. Pour l’IT, ce n’est pas l’occasion d’être sous les projecteurs sous prétexte d’agilité ou de digital. Nous devons pouvoir nous effacer ; c’est parfait si c’est le métier qui prend tout le mérite d’un projet réussi !