Les neuf erreurs fatales qui sabotent la transformation numérique des établissements d’enseignement supérieur

Dans sa nouvelle chronique, Imed Boughzala explore les difficultés qu’ont de nombreux établissements d’enseignement à mobiliser « l’intelligence digitale » qui doit leur permettre de donner du sens à leurs usages numériques. A partir de sa propre expérience, il ouvre des pistes pour éviter ces écueils.

 

 

La transformation organisationnelle à l’ère digitale désigne le processus par lequel une entreprise adapte, au regard de son contexte, ses structures, ses modes de fonctionnement, ses processus et ses cultures afin de tirer parti des technologies digitales pour améliorer sa réactivité, sa performance et son modèle d’affaire. Cette transformation va au-delà de la simple adoption de nouvelles technologies : elle implique un changement profond dans la manière de penser, de travailler et d’interagir, tant en interne qu’avec les clients. Les organisations doivent embrasser des pratiques agiles, favoriser la collaboration numérique, et adopter une culture de l’innovation continue pour rester compétitives dans un environnement de plus en plus connecté et en constante évolution et ainsi répondre aux enjeux contemporains.

L’intelligence digitale, capacités à mobiliser les technologies digitales à bon bien escient, est désormais un levier essentiel pour réussir une transformation profonde et durable. Elle regroupe l’ensemble des compétences digitales, des capacités d’exploitation des données, de l’automatisation et des outils numériques, permettant de catalyser/canaliser les évolutions technologies et les multiples transitions. En facilitant l’amélioration de l’expérience client, l’optimisation des processus et l’agilité décisionnelle, l’intelligence digitale devient un vecteur clé pour rendre les organisations plus performantes, flexibles et prêtes à anticiper les mutations rapides du marché.

Dans le contexte d’un établissement d’enseignement supérieur, la transformation organisationnelle et l’intelligence digitale sont profondément interconnectées, car l’intégration des technologies numériques est désormais un moteur essentiel pour réinventer les modèles d’affaire, les pratiques pédagogiques, les activités administratives et de gestion et les mécanismes de la recherche et de l’innovation. Alors que la transformation organisationnelle dans l’enseignement supérieur cherche à repenser les méthodes d’enseignement à l’ère de l’IA, ainsi que la gouvernance des institutions par les données pour mieux répondre aux défis contemporains (notamment l’internationalisation, la diversité des apprenants et les exigences de la société numérique), l’intelligence digitale joue un rôle crucial. En facilitant l’accès aux données, l’automatisation des processus, l’analyse prédictive des performances académiques et la personnalisation des parcours apprenants, elle permet de rendre l’établissement plus agile, inclusif et réactif face aux évolutions du secteur.

9 erreurs fatales pour les établissements d’enseignement

Réussir la transformation organisationnelle et l’évolution d’un établissement d’enseignement supérieur à l’ère du digital demande beaucoup d’audace de la part de l’équipe de direction selon une approche pragmatique et collaborative, et une vision stratégique portée par l’ensemble des acteurs. Voici les neuf erreurs fatales qui pourraient compromettre l’ambition et la concrétisation d’une telle transformation :

  1. Attendre un alignement parfait : Penser que toutes les parties prenantes (enseignants, étudiants, administration, alumni, partenaires…) seront prêtes et unanimes avant d’agir, c’est risquer l’immobilisme. Il faut prendre des décisions claires et avancer par étapes pour construire l’adhésion. Aussi lancer des projets structurants, même imparfaits, et les ajuster au fur et à mesure.
  2. Gérer en silos : Ne pas encourager la collaboration entre départements, enseignants et étudiants, c’est brider l’innovation. Il faut ouvrir les échanges, valoriser les contributions individuelles et collectives et créer des espaces de co-construction. Les technologies numériques de qualité peuvent jouer un rôle essentiel dans ce cas s’il existe une vision.
  3. Négliger la réputation et la communication : Sans une stratégie de communication forte, les initiatives passent souvent inaperçues. Il faut investir dans l’image de marque de l’établissement pour attirer les talents et bâtir sa crédibilité et sa singularité. Ceci renforce le sentiment d’appartenance et l’épanouissement des apprenants et du personnel.
  4. Se fier aux habitudes du passé : S’appuyer sur des pratiques qui ont fonctionné autrefois, sans les remettre en question, c’est ignorer l’évolution des attentes des étudiants/apprenants et du marché. Il faut adopter une posture d’adaptation constante, une vraie agilité organisationnelle au regard des évolutions du monde académique et technologique.
  5. Sous-estimer l’importance de l’expérience étudiante : L’enseignement ne se limite pas aux cours en présence des enseignants en face à face ou à distance. Il faut créer un environnement qui favorise l’engagement, la capacité à apprendre par soi-même, le bien-être et le développement des compétences transversales (parfois appelées soft skills) à travers des activités extrascolaires comme l’engagement associatif, social, citoyen ou encore entrepreneurial.
  6. Tenter de tout transformer d’un coup : Une vision ambitieuse et globale est nécessaire, mais elle doit être déclinée en étapes progressives. Il faut mette en place des projets pilotes et en tirer des leçons avant de les généraliser. Il faut adopter donc une approche itérative, de la phase de l’expérimentation par projet pilote et l’ajustement à la phase de déploiement à plus grande échelle.
  7. Ignorer les opportunités numériques : La veille technologique, l’acculturation numérique en continu (digital literacy) et les plateformes collaboratives sont des alliés incontournables. Il faut tester des outils simples et évolutifs pour enrichir l’apprentissage et la gestion. Il faut doter les individus d’une bonne intelligence digitale, leur permettant de savoir s’approprier et exploiter les progrès technologiques de manière responsable et durable. L’avènement de l’IA, par exemple, confirme ce besoin en invitant à revisiter une grande partie des activités de l’enseignement supérieur.
  8. Ne pas déléguer et responsabiliser : Tout centraliser au niveau de la direction générale freine l’agilité. Il faut faire confiance aux équipes en responsabilisant les individus, favoriser la montée en compétences et distribuer les responsabilités pour accélérer les transformations.
  9. Oublier de mesurer et de valoriser les résultats : Sans indicateurs clairs ni valorisation des réussites, les efforts passent inaperçus. Il faut se doter d’un tableau de bord pour une bonne gouvernance de l’établissement et communiquer les avancées pour motiver les équipes et renforcer la confiance des partenaires. Il faut mettre en avant les réussites des individus pour inspirer les générations suivantes.

Le management d’un établissement d’enseignement supérieur ne consiste pas simplement à éviter les erreurs, mais à en faire des occasions d’apprentissage et de croissance. Chaque défi surmonté renforce la résilience et la vision stratégique.

 

Face aux erreurs, 9 leviers à actionner

 

A travers ma modeste expérience de chef d’établissement de l’enseignement supérieur et tout au long de ma carrière universitaire à différentes responsabilités, je retiens ces neufs points dans un contexte de transformation digitale :

  1. Le rôle du chef d’établissement est avant tout fédérateur : Il ne s’agit pas simplement de diriger, mais de fédérer, d’inspirer et de donner à chaque acteur les moyens d’exprimer ses talents et de contribuer à un avenir ambitieux. Chaque défi est une opportunité d’apprendre et de renforcer la position de l’établissement en tant que leader dans son ou ses domaines d’excellence.
  2. La co-construction est essentielle : Il faut impliquer toutes les parties prenantes dans les projets. Bien sûr, il ne faut pas attendre le consensus total avant d’agir. Espérer que tout le monde soit aligné ou que toutes les ressources soient disponibles dès le départ, c’est retarder l’inévitable. Il faut prendre des décisions stratégiques rapides et engager progressivement. L’expérimentation est la clé.
  3. L’innovation est permanente : Les établissements qui prospèrent sont ceux qui osent expérimenter et s’adapter. Ignorer les retours des utilisateurs finaux et des parties prenantes freine l’innovation. Favoriser la collaboration inter-équipes et faire des tests terrain.
  4. L’engagement des collaborateurs est primordial: La transformation digitale n’est pas qu’une affaire de technologie. Il faut impliquer les équipes, favoriser la formation et stimuler l’adhésion au projet.
  5. La formation est un levier clé de management pour réussir la transition vers le digital: Former les individus constitue une opportunité essentielle pour faire progresser l’établissement. À l’inverse, ne pas investir dans cette formation, c’est courir le risque de les laisser stagner et de les voir devenir des acteurs de son déclin. L’intelligence digitale des individus est la garantie de celle de l’établissement.
  6. Les outils ne sont que des supports : acquérir des solutions technologiques coûteuses sans une vision claire revient à gaspiller du temps et de l’argent. Il est essentiel d’évaluer les besoins avant de choisir les outils, tout en veillant à intégrer une démarche de conduite du changement lors de leur déploiement.
  7. Le tout en interne est une illusion: aucun projet de transformation digitale ne peut réussir sans l’implication de partenaires compétents. Il est crucial de collaborer avec des experts, des startups ou des consultants pour aller plus loin. La « cloudification » des services informatiques en est un bon exemple, car elle permet de se concentrer sur l’accompagnement métier plutôt que sur les aspects purement techniques.
  8. L’identité digitale ne doit pas être négligée, car elle est essentielle pour se positionner dans le domaine de la communication. Si un établissement reste invisible en ligne ou incohérent dans sa communication numérique, en particulier dans ses domaines de spécialité, il risque de passer à côté d’opportunités stratégiques. Il est donc crucial de soigner sa présence digitale afin qu’elle reflète ses valeurs et ses ambitions.
  9. Les échecs sont des enseignements : Il faut les accepter et les utiliser pour progresser et ajuster les actions selon les priorités. Chaque obstacle est une occasion de réévaluer, de s’améliorer et d’évoluer.

 

Comment bâtir une transformation durable

La vision stratégique est essentielle pour transformer un établissement d’enseignement, notamment en matière de digitalisation, mais elle doit être accompagnée d’un déploiement progressif. Pour assurer sa pérennité, il est crucial de lancer des projets pilotes de transformation : nouvelles formations, axes de recherche innovants, introduction d’outils numériques, développement de projets d’innovation. Cela permet à l’établissement d’explorer de nouvelles possibilités et d’ajuster ses actions en fonction des retours, tout en bâtissant une transformation durable.