Amorçage, capital-risque, capital développement, crédits ou garantie… Bpifrance propose des outils de financement pour accompagner les entreprises, petites ou grandes, dans leur développement et leur conquête des marchés internationaux. Un continuum de financement sur lequel revient Nicolas Dufourcq, le directeur général de la Banque publique d’investissement depuis 2013.
Alliancy, le mag. Bpifrance est désormais complètement installé dans le paysage bancaire français. Diriez-vous que c’est une banque qui prend des risques ?
Une grosse partie des crédits accordés par les banques ne le serait pas si le risque n’était pas couvert par des fonds de garantie gérés par Bpifrance. Par ailleurs, les crédits que nous faisons, aux côtés des banques, sont sans prise de garantie sur l’entreprise ou le patrimoine de l’entrepreneur. Et ce, grâce aux dotations publiques dont nous disposons chaque année… Nos flux d’engagements annuels en prêts sans garantie s’élèvent quand même à 2 milliards d’euros environ par an. A côté de ces prêts sans garantie, nous faisons 4 milliards d’euros de prêts avec prises de sûreté, pour financer l’investissement, dont 1 milliard dans la transition énergétique. Ensuite, il y a tout le crédit court terme – assez risqué – sur lequel nous sommes très fortement positionnés [1,3 milliard d’engagement annuel dès 2016, Ndlr]. Puis, il y a les fonds propres (capital développement), avec des tickets moyens de 1 million d’euros qui comporte une certaine prise de risque.
En quoi ? Car cela rapporte peu ?
Le capital-développement rapporte 2 à 3 % sur un minimum de 10 ans… et le risque est assez élevé. On s’adresse vraiment à la PME et petite ETI, notamment régionale. Vous avez aussi tout ce qui est le financement de l’innovation [plus de 1,2 milliard d’euros par an, Ndlr], qui inclut des avances remboursables, des prêts à taux zéro, des prêts à l’innovation que personne ne fait sinon nous… parce que l’on finance ce qu’il y a de plus risqué dans l’économie, c’est-à-dire l’innovation.
Comment analysez-vous le rapport entre fonds publics et privés en France dans le soutien aux entreprises et le financement de l’innovation ?
Dans la partie dettes, crédits et subventions, il n’y a quasiment pas de fonds privés. Dans la partie fonds propres, il faut être précis. Dans l’amorçage, nous participons en moyenne pour 55 % aux levées de fonds, dont 45 % de contrepartie privée. Dans le capital-risque, nous réalisons en moyenne 30 % des levées, avec 70 % de contrepartie privée… Alors, l’argent privé est-il suffisant dans le capital développement/capital-risque ? Non, il pourrait y en avoir plus. Par contre, y a-t-il assez d’argent public ? La réponse est clairement oui. Le sujet pour nous est de trouver la contrepartie privée, qui est fondamentale et qui doit être – indépendamment de l’amorçage –, majoritaire. Et là, il n’y en a pas encore assez !
Est-ce un problème ?
Les bonnes équipes de capital-risque, qui disposent déjà d’un bon track record, n’éprouvent aucune difficulté à lever, autant auprès du privé que du public. La difficulté est plutôt pour les nouvelles équipes… Il y a déjà 90 fonds de capital-risque en France. Nous considérons que c’est parfois trop et, sauf exception, nous ne sommes pas favorables à financer des équipes (first time team) qui exercent le métier pour la première fois.
Quelle est votre force par rapport aux autres banques ?
Nous avons un rôle d’entraînement très important et sommes un tiers de confiance reconnu. Nous ne faisons jamais de crédits s’ils ne sont pas cofinancés par des banques, on a un effet d’entraînement qui est au moins de 1 pour 1 sur le crédit. Dans les fonds propres, nous intervenons en co-investissement. Là aussi, on a un effet d’entraînement de 1 pour 1. Dans le fonds de fonds, quand on met 20 %, il faut trouver les 80 % restants. En moyenne, le multiplicateur est donc de 4 !
Fin septembre, Laurent Grandguillaume, député PS, a présenté devant la Commission des Finances les conclusions de son rapport sur Bpifrance et a dévoilé une vingtaine de pistes pour être plus efficace… notamment sur la question du soutien aux entreprises en difficultés. Vous l’avez entendu ?
Bien sûr ! Et la réponse est simple : d’abord, il y a les entreprises qui sont dans notre portefeuille clients qui ne vont pas toutes bien. Sur les 500 PME de notre portefeuille « fonds propres », 130 connaissent des difficultés ou sont en observation. Nous les accompagnons notamment via des missions de conseil. Ensuite, nous finançons en fonds de fonds, des fonds de retournement privés comme Perceval Capital par exemple, spécialisé dans le redressement des PME et ETI, et nous sommes en train d’accompagner la construction de deux ou trois nouvelles équipes privées de retournement. Enfin, vous avez l’activité crédits, dont des crédits très risqués. Et je n’ai pas parlé des grandes participations qui, elles aussi, sont parfois sur des marchés très difficiles, notamment dans le secteur de l’énergie… Ce sont des entreprises dont nous nous occupons quasi quotidiennement*.
On en parle très peu de cet héritage de l’ancien FSI. Pourquoi ?
Pourtant, nous avons procédé à une grosse opération cette année, en mettant 400 millions d’euros dans Ingenico, avec l’idée d’accompagner cette entreprise dans la consolidation du marché mondial des paiements. On a également vendu des participations dans Orange, Valeo… Nous avons une approche dynamique de notre portefeuille afin notamment de financer d’autres relais de croissance de l’économie notamment des entreprises de plus petites tailles qui ont besoin de moyens pour se développer.
Quid des ETI (entreprises de taille intermédiaire) ?
Il faut les mettre davantage en lumière. Pour les ETI, comme nous l’avons fait pour les PME, nous avons annoncé en octobre dernier, la création d’un accélérateur qui sera dévolu à 25 d’entre elles, accompagnées durant deux ans. Ce qui veut dire qu’en moyenne, une cinquantaine d’ETI seront suivies chaque année, en plus des 130 PME de l’Accélérateur PME dont nous annoncerons la deuxième promotion le 20 janvier à Villeurbanne. Lancé au 1er semestre 2016, cette structure permettra également d’approfondir la réflexion sur la transmission d’entreprise, la transformation numérique, l’export et l’accompagnement des dirigeants… Des sujets fondamentaux pour construire l’avenir industriel de la France.
En termes d’investissements, trouvez-vous que ces entreprises ont pris le tournant de l’efficacité énergétique, du numérique, de l’innovation ?
Nous avons une grosse demande, sur le fonds SPI/Sociétés de projets industriels, qui vise à accélérer le développement de projets structurants pour notre industrie avec à la clé de nouveaux emplois industriels [Suncnim, Ecocis, AFM Télethon…, Ndlr]. A tel point qu’avec le Programme d’investissements d’avenir, nous avons décidé de recharger ce fonds [225 millions d’euros sous forme de fonds propres sur la période 2015-2018, Ndlr]. Il en est de même pour le fonds Piave/Projets industriels d’avenir, qui s’inscrit dans la démarche des neuf solutions de la Nouvelle France industrielle [175 millions d’euros].
Un des reproches qui est parfois fait à Bpifrance, c’est son large champ d’action. En investissant tous azimuts, le risque n’est-il pas qu’aucun secteur n’émerge réellement ?
D’abord, on nous le demande ! Et si on ne nous le demandait pas, on le ferait. Pour rendre aux Français plus que les 20 milliards d’euros que l’on nous a donnés, il faut un portefeuille équilibré. Soutenir la transition énergétique, l’hôtellerie et le tourisme, l’agroalimentaire, l’industrie, les télécommunications ou le numérique… C’est tout à fait normal. Ce qui nous intéresse, ce sont tous les entrepreneurs, de la start-up à la grande entreprise, qui partent à la conquête du monde, avec une volonté de construire de belles boîtes…
Justement, de plus en plus de start-up du numérique partent à l’international. Dans ce domaine, comment se situe la France ?
Elle est tout à fait dans la course. La French Tech est devenue un vrai label mondial. A parité avec les Anglais ou les Allemands, par exemple. Avec 190 entreprises, la France était, après les Etats-Unis, la nation la plus représentée au tout récent CES de Las Vegas. Nous avons d’incroyables atouts dans les biotechnologies, la transition énergétique, les Medtechs, l’intelligence artificielle, les Fintech, les marketplaces de l’économie collaborative….
Jusqu’à quel point les levées de fonds sont-elles faciles pour les start-up ?
Il existe de nombreux fonds d’amorçage, des business angels avec lesquels maintenant nous co-investissons, des fonds de capital-risque de séries A et B et, ensuite, vous avez une demi-douzaine de fonds de growth, qui investissent de très gros tickets sur des PME technologiques en croissance. Preuve du dynamisme de notre écosystème ! D’autant que les grands fonds de croissance américains viennent régulièrement à Paris pour repérer des boîtes, comme Blablacar par exemple.
Est-ce normal de voir de telles sociétés financées par des fonds étrangers ?
Je préférerais que les grandes start-up françaises que l’on a financées depuis le début assurent leur continuum de financement jusqu’au « growth » en passant par des fonds qui sont sur capitaux français. Maintenant, chacun est libre de prendre le partenaire qu’il souhaite. Pour autant, à l’image de ce que nous avons fait avec Sigfox ou Parrot, via le fonds Large Venture [doté de 600 millions d’euros et utilisé pour moitié aujourd’hui, Ndlr], nous sommes tout à fait prêts à mettre des tickets de 50 millions d’euros dans des boîtes technologiques françaises en hypercroissance.
Quels sont les premiers pays cibles à regarder pour un entrepreneur qui souhaite partir à l’international ?
L’Europe, la Californie pour les startup, la Chine pour les start-up et les PME, et l’Afrique. Nous allons d’ailleurs monter un fonds franco-africain pour mailler les écosystèmes de PME des deux territoires. A Nairobi, Abidjan ou Lagos, il y a des places à prendre. Avec la Chine, nous fonctionnons différemment. Nous avons monté quatre fonds binationaux avec la China Development Bank, et gérés par Cathay Capital, pour un montant global de 1 milliard d’euros, qui visent des PME matures en forte croissance ou, avec le dernier fonds, des start-up en phase d’explosion mondiale, essentiellement dans le numérique [montants investis compris entre 5 et 25 millions d’euros, Ndlr].
Vous vous êtes exprimés récemment sur la psycho-économie. Vous l’oubliez ou est-ce que c’est plus que jamais d’actualité ?
C’est plus que jamais d’actualité. Nous sommes convaincus que la psychologie, c’est la moitié de tout. En France, il y a de l’argent, des compétences… mais, parfois, il n’y a pas le moral. Il y a un potentiel émotionnel phénoménal chez les entrepreneurs. Il faut le mobiliser, l’accompagner, absolument comme chez les sportifs.
Comment sera l’année 2016 pour Bpifrance ?
Nous sommes une banque qui restera en croissance tant que l’investissement ne sera pas complètement reparti en France. Nous avons deux axes stratégiques pour l’avenir qui sont l’international et l’accompagnement. L’objectif, c’est que l’entrepreneur n’ait qu’un seul interlocuteur, avec la sauce secrète de Bpifrance qui est la présence physique permanente de nos équipes sur le terrain [2 000 salariés, Ndlr].
* Parmi les participations passées ou actuelles de Bpifrance, on peut citer Bull; CGG; Eiffage; Eramet; Gemalto; Nexans; Orange; Schneider Electric; Sequana; Soitec; STMicroelectronics; Technip; Ubisoft; Valeo; Vallourec… (liste non exhaustive).
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