Le Hub, la bourse French Tech, les avances innovation…Depuis sa création en 2013, Bpifrance multiplie les initiatives pour financer et accompagner les start-up. Nicolas Dufourcq, son directeur général, fait un état des lieux de l’action de la banque publique auprès des pépites françaises et dresse ses priorités pour les mois à venir.
La semaine dernière Blablacar a annoncé une levée de fonds record de 200 millions de dollars. Quelle est votre réaction ?
Je leur dis bravo ! C’est une très bonne nouvelle pour Blablacar mais aussi pour tout l’écosystème français. Avant, il fallait attendre cinq ans pour faire une « licorne » (ndlr, une start-up dont la valorisation dépasse 1 milliard de dollars) en France, maintenant on en fait deux par an. Et ce phénomène va continuer à s’accélérer. Nous avons un écosystème très puissant avec d’excellents ingénieurs, de bons chefs d’entreprises, de très bons capital-risqueurs…tout est organisé pour que ça puisse être le cas aussi bien dans le digital que dans la Biotech ou encore les écotech. Je suis d’autant plus content car Bpifrance est un actionnaire historique du fonds d’investissement, Isaï, qui a porté Blablacar depuis ses débuts.
Est-il plus facile aujourd’hui de lever des montants importants ?
C’est certain. Il y a quand même beaucoup de fonds spécialisés dans la série A (ndlr, entre 1 et 10 millions d’euros). J’ai tendance à croire Xavier Niel quand il dit sur la scène de BIG que celui qui ne trouve pas de capitaux c’est qu’il n’a peut-être pas un produit assez bon. La levée de fonds, qu’elle soit importante ou non, sert à déployer une stratégie à l’international. Elle aide incontestablement une start-up française à attaquer le marché au-delà des frontières, notamment américain qui est coûteux. Elle peut se faire avec des fonds américains, français, suédois et vous verrez bientôt des fonds chinois. L’essentiel pour une start-up est de rester française, c’est-à-dire que ceux qui inventent les nouvelles idées et qui commandent l’entreprise soient en France.
Comment financez-vous les start-up chez Bpifrance ?
Nous les finançons pratiquement toutes avec des aides à l’innovation, des prêts et des aides d’amorçages, ou des avances remboursables. Une fois qu’elles sont plus matures, nous nous concentrons sur du capital d’amorçage, puis sur du capital-risque. Nous leur rappelons tout de suite que la France est un petit pays à l’échelle du monde, un marché qui n’a pas une masse critique et qu’il faut donc immédiatement « penser international ». C’est en partie pour cela que nous venons de créer le fonds de capital-risque transnational d’un montant de 250 millions d’euros, Cathay Innovation. Ce fonds franco-chinois, qui est implanté à Paris, San Francisco ainsi qu’à Pékin et Shanghaï, servira à investir dans des PME françaises de manière à les rendre immédiatement et totalement mondiales : pas seulement californiennes mais également chinoises par exemple.
Selon vous, la Chine est une nouvelle zone d’exportation pour les start-up ?
Complètement. Il ne faut évidemment pas minorer la difficulté à rentrer dans ce pays mais le marché est incroyable. Les entreprises de l’Internet chinois sont aussi grosses que les entreprises de l’Internet américain. Elles ont été capables de développer des produits phénoménaux. Le groupe Alibaba a déployé en particulier des produits de paiement, des produits de crédits, des solutions qu’on ne voit pas aux Etats-Unis. Il y a des opportunités pour les start-up françaises. Il faut qu’elles aillent voir ce qu’il s’y passe. D’ailleurs, Bpifrance est sur le point de lancer l’Acceleratech China, un programme d’immersion et d’accélération en Chine destinées à 13 entreprises françaises du digital.
Le Numa a ouvert une structure à Bengalore cet été, Airbus a aussi des projets dans cette ville indienne. L’Inde est-il aussi un marché prometteur pour les start-up françaises ?
Je connais très bien l’Inde parce que j’y suis allé une fois par trimestre pendant huit ans quand j’étais directeur général adjoint de Capgemini. Je n’ai pas eu encore le temps d’aller voir ce qui s’y passe pour sentir s’il y avait un écosystème favorable spécifiquement aux start-up. Il existe de très grandes entreprises d’informatique mais aujourd’hui je ne connais pas de très grandes entreprises de l’Internet, du marketing digital ou de la Fintech indienne. Mais je peux me tromper !
Quels sont les outils de Bpifrance pour aider les start-up à s’exporter ?
Nous avons une cinquantaine d’implantations régionales avec des chargés d’affaires export qui accompagnent nos entreprises. Avec Business France, notre partenaire, nous organisons des déplacements dans les grandes régions du monde pour les start-up françaises. Nous revenons d’un voyage à Jakarta et Singapour où nous avons emmené 17 entreprises industrielles françaises. Nous leur avons fait rencontrer une centaine de clients et partenaires potentiels. Par ailleurs, nous avons institutionnalisé un incubateur à San Francisco, Ubi I/O, qui accueille chaque année une dizaine de start-up au printemps. Nous allons aussi institutionnaliser notre incubateur à Pékin-Shanghai pour une demi-douzaine de start-up. Et nous allons organiser des programmes d’échanges entre les incubateurs français et les incubateurs mondiaux pour qu’il y ait des créateurs français de start-up dans les incubateurs à l’étranger et l’inverse. Je veux que les incubateurs français soient multinationaux.
Qu’en est-il de la création d’un fonds de co-investissement avec des business angels ?
Nous sommes en train de le monter. Cela a pris du temps car nous étions en discussion avec notre souscripteur, l’Etat. Maintenant les choses sont fixées et ce fonds va pouvoir être lancé. D’ailleurs, nous avons d’autres fonds qui démarrent pour ce second semestre 2015 : le fonds Accélérateur-Incubateur, le fonds « Ville de demain » et un fonds consacré à la santé. Nous lançons également des fonds privés. Nous venons tout juste de lancer notre fonds d’amorçage du plateau de Saclay avec Polytechnique, Centrale et HEC, confié en gestion à Partech.
Quelle est votre stratégie concernant les fonds de corporate ventures ?
Nous en finançons plusieurs. Cependant, nous posons toujours une condition : nous ne voulons pas être le seul investisseur institutionnel. Il faut que ce soit des fonds très indépendants de leurs souscripteurs car nous savons que sinon la performance n’est pas bonne. Par exemple, nous avons beaucoup financé le fonds Iris de Publicis et Orange. En tout cas, nous ne sommes pas en manque de fonds de corporate ventures en France. En revanche, je veux que les fonds étrangers reviennent à Paris. Et je suis prêt, pour ce faire, à ce que Bpifrance investisse dans des fonds étrangers à condition qu’ils investissent chez nous deux fois ce qu’on a investi chez eux. Emmanuel Macron est tout à fait favorable à cette politique. Il s’en fait même le porte-parole.
Est-ce que Bpifrance parie sur l’innovation technologique ?
Oui, nous investissons beaucoup dans le digital mai aussi beaucoup dans la Biotech. Ce sont des secteurs à forte dimension technologique. Mais ceci ne nous empêche pas d’investir massivement dans les secteurs les plus matures. Ces secteurs d’avenir représentent à peu près un tiers en nombre d’entreprises dans lequel on investit chaque année.
Quelles sont vos priorités pour cette rentrée et l’année 2016 ?
Tous les moteurs sont allumés. Notre priorité principale est la croissance avec un axe international et un axe financement de l’innovation. Avec toujours la marque de fabrique de Bpifrance, c’est-à-dire un axe accompagnement des entreprises. Nous avons la volonté d’être au plus proche des entrepreneurs et de les convaincre de relancer leurs investissements, innover et aller à l’international. De plus, le gouvernement a décidé de nous confier la gestion de l’activité de garanties publiques de l’assureur-crédit Coface (ndlr, ces garanties couvrent les risques commerciaux pour les entreprises françaises à l’étranger) à partir du premier semestre 2016. Nous avons de quoi nous occuper.
Une loi axée sur l’innovation et le numérique est en préparation pour 2016. Avez-vous des attentes particulières ?
Tout ce qui permet de simplifier les dispositifs administratifs et financier, de sanctuariser le crédit d’impôt recherche et de simplifier la fiscalité des actions gratuites pour permettre l’accès au capital des salariés de start-up. Si on arrive à avoir ces trois mesures, ça serait très bien !