Créé en 2009 par Intercommunalités de France et France urbaine, Les Interconnectés est la première association nationale d’élus centrée sur la transformation numérique. Elle a pour mission d’accompagner les collectivités locales et leurs groupements dans la mise en œuvre des politiques publiques dans la société numérique. Sa Déléguée Générale, Céline Colucci, revient sur l’impact de la loi REEN (Réduction de l’empreinte environnementale du numérique).
La loi REEN prévoit l’élaboration en 2023 d’un état des lieux et, pour 2025, la définition d’une stratégie numérique responsable pour les collectivités. Comment les accompagnez-vous ?
A la suite de la publication de la loi REEN, nous avons reçu beaucoup de demandes de la part des collectivités françaises sur comment établir un diagnostic, puis un plan d’action numérique responsable. Il nous fallait aussi définir avec quels outils et selon quels modes de calcul travailler. En partenariat avec l’INR (Institut du Numérique Responsable), les services de l’État et l’appui de la Banque des territoires, nous avons produit des outils à la fois simples et concrets.
Nous leur avons tout d’abord proposé une cartographie des acteurs du numérique responsable, afin qu’elles puissent identifier à l’échelle de la collectivité et du territoire les acteurs à associer à leur démarche. Ensuite, nous avons conçu un calculateur, très simplifié, sous forme de tableur Excel, afin qu’elles puissent se l’approprier très facilement. Il s’agit d’un « outil d’évaluation numérique responsable du territoire » qui intègre des « mesures carbone » internes (pour le matériel informatique par exemple), mais aussi à l’échelle du territoire (impact moyen d’un ménage, d’un datacenter…). Cela leur permet de prendre conscience de ce qui a le plus d’impact et de commencer à dialoguer avec les différents acteurs en présence : DSI, métiers ou prestataires externes.
Enfin, nous leur avons proposé, à travers un guide, une méthode en dix étapes pour mettre en place une stratégie numérique responsable. Ce document propose également de nombreuses ressources et illustre chaque étape par des retours d’expérience de collectivités.
A lire aussi : [Chronique] Comment faire contribuer notre intelligence digitale au bien commun ?
Sur quoi porte précisément la phase d’audit et de bilan que les collectivités mènent actuellement ?
Les collectivités réalisent actuellement un état de lieux sur ce qu’elles font déjà en matière de sobriété numérique et elles établissent un bilan. Ce bilan est essentiellement orienté sur l’impact carbone, car le calcul de cycle de vie complet d’un projet reste complexe.
Le parc informatique est bien entendu en première ligne, car il représente entre 70 et 80 % de leur impact carbone. Les collectivités étudient donc avec soin la durée de vie de leurs ordinateurs, à quelle vitesse elles renouvellent leur flotte de smartphones, combien d’écrans chaque agent possède, et quel est le recours au matériel reconditionné par exemple.
L’enjeu est de faire durer le plus longtemps possible l’ensemble des matériels existants et de se projeter sur les actions à impact qu’il faut mettre en place : choix de solutions moins gourmandes en énergie, écoconception de services, sélection de fournisseurs prenant en compte les enjeux de sobriété et, par voie de conséquence, réflexion autour de la commande publique, autre grand levier que nous avons identifié et dont les collectivités commencent à s’emparer.
Comment qualifieriez-vous aujourd’hui la maturité des collectivités en matière de numérique responsable ?
Dans le cadre du baromètre de la maturité numérique des territoires 2023 que nous avons réalisé en mars dernier, il apparaît que, sur les dix thèmes étudiés, le numérique responsable arrive en dernière position. Cela n’a rien de surprenant, car c’est le thème le plus récent.
Cependant, le côté positif est que ce thème est pris en compte : seuls 32 % des collectivités déclarent ne pas s’y intéresser. Toutes les autres ont au moins engagé une réflexion, et plus de 30 % d’entre elles ont démarré des projets. Je trouve que c’est plutôt encourageant pour une thématique aussi jeune.
Je fais d’ailleurs le pari que, dans deux ans, elle fera partie des principales préoccupations des collectivités. Certes, la loi REEN accélère les transformations, mais cette obligation légale rencontre aussi une adhésion très forte de la part des équipes travaillant dans les collectivités. Les collaborateurs sont plutôt enclins à réaliser des efforts dans ce domaine, même si cela nécessite une adaptation des pratiques quotidiennes. C’est un sujet fédérateur.
La stratégie numérique responsable peut-elle servir de catalyseur pour les autres stratégies numériques des collectivités ?
C’est un des messages principaux que nous portons. À partir du moment où la stratégie numérique responsable est prise non pas uniquement comme une stratégie de sobriété numérique, mais qu’elle est déployée sur ses trois principaux volets que sont le social, la sobriété et la partie éthique, alors elle constitue une très grande opportunité de mise en cohérence des différentes politiques numériques (inclusion, dématérialisation des services, data, smart city…) qui faisaient l’objet jusqu’ici d’approches différenciées dans les collectivités.
La stratégie numérique responsable, vue de manière globale, permet de faire la synthèse de ces multiples feuilles de route et de les réunir en une démarche commune. Elle crée une dynamique à l’échelle d’un territoire. Il s’agit d’un projet collectif stratégique qui doit être porté par les élus et la direction générale. Ce n’est pas juste une obligation légale dont on se débarrasse.