IQVIA partage des jeux de données via un portail Open Data depuis la crise du Covid. L’ouverture des données a permis d’acculturer en interne, mais aussi de soigner l’image de l’entreprise et de séduire des clients.
IQVIA : ce nom ne dit sans doute rien à la grande majorité des Français. Les professionnels de santé, les pharmaciens et les laboratoires pharmaceutiques le connaissent bien en revanche. L’entreprise, 80.000 salariés dans le monde, est leur partenaire sur les essais cliniques, du conseil stratégique ou le suivi des produits de santé.
IQVIA collecte des données de santé auprès notamment de deux tiers des pharmacies en France. Grâce à ces informations, la société dispose donc d’une visibilité évidente sur les ventes de médicaments et ainsi sur la santé de la population. Et c’est cette connaissance qu’elle a exploité et mise à disposition à l’occasion de la pandémie.
De la monétisation à l’ouverture des données
L’ouverture publique de ces données anonymisées n’est pourtant pas, a priori, dans l’ADN de l’entreprise. Son cœur de métier, c’est en effet la collecte et la commercialisation de la donnée de santé. L’Open Data pourrait donc être perçue comme un manque à gagner ou une source de cannibalisation de son activité commerciale.
En réalité, pas totalement. “Nous avons l’habitude de travailler avec les autorités de santé. Nous appartenons par exemple au réseau Sentinelles pour le suivi des épidémies, parmi lesquelles la grippe. Dans ce cadre, nous avons l’habitude de diffuser les données auprès des autorités”, explique Christian Frisch, directeur Data & AI pour IQVIA France.
L’objectif : permettre une meilleure compréhension des dynamiques épidémiologiques. L’ouverture des données a ainsi contribué à apporter plus de visibilité aux autorités et aux gouvernements au début de la crise. En mars 2020, les tests anti-covid n’étaient pas disponibles. Les ventes de Doliprane, par exemple, constituaient alors un indicateur.
La diffusion des données était toutefois limitée aux autorités de santé. L’Open Data n’était pas une pratique chez IQVIA. Cette démarche a été initiée par le directeur Data, nommé alors récemment à ses fonctions. “Il n’y avait pas de raison de ne pas diffuser auprès de l’ensemble du public, journalistes et chercheurs notamment”, juge-t-il.
Un partage au-delà des autorités de santé
Des jeux de données ont par conséquent été identifiés et mis à disposition au moment des débuts des tests antigéniques en pharmacie. Autorités de santé et Cnam étaient en effet demandeurs de ces données pour évaluer rapidement l’efficacité de la mesure (les tests étaient auparavant effectués exclusivement par les laboratoires d’analyse).
IQVIA a répondu à cette demande en optant pour l’Open Data, avec la construction d’un portail dédié (via la technologie Opendatasoft). Après un travail amont de collecte et de traitement des données, celles-ci ont pu être actualisées quotidiennement sur le portail, mais aussi auprès de la plateforme DataGouv.
Aux données brutes, l’entreprise a ajouté un volet de data visualisation pour rendre la donnée plus compréhensible et ainsi en démocratiser l’usage. D’autres jeux de données ont été ajoutés par la suite (15 au total aujourd’hui) afin de suivre différents actes médicaux, comme les ventes de vaccins ou d’auto-tests.
Adopter une telle démarche d’ouverture des données a cependant nécessité une étape “d’acculturation en interne pour convaincre de l’intérêt du projet”, reconnaît la directrice marketing d’IQVIA, Flore Gorge-Coudy. Les bénéfices en termes d’image, notamment sur l’innovation, ont contribué à susciter l’adhésion.
La crise a été le déclencheur d’une démarche plus large d’ouverture des données, avec des bénéfices réels d’image et de notoriété, témoigne la dirigeante. “L’objectif désormais est d’aller plus loin grâce à ce portail. Nous souhaitons à présent élargir le champ des données disponibles pour faire du portail une réelle plateforme de communication des données de santé”, poursuit-elle.
Des externalités positives à l’open data
IQVIA prévoit ainsi de partager des données relatives à la vente d’antibiotiques. La résistance aux antibiotiques constitue un vrai sujet de santé. Les politiques publiques visent donc à réduire leur prescription. Les chiffres permettront dès lors de mesurer l’application réelle de ces politiques de santé publique.
Dans ce domaine, la filiale française d’IQVIA fait office de précurseur dans le groupe, lui permettant de développer son image d’acteur innovant. La mise en œuvre du portail a permis en outre de démontrer l’absence de risque de cannibalisation pour l’activité de l’entreprise. Les externalités positives de l’open data se situent aussi au niveau de la notoriété.
“IQVIA ne bénéficie pas d’une très forte notoriété auprès du grand public puisque nos interlocuteurs historiques sont les industriels de la santé. Notre présence sur l’open data nous a permis d’élargir nos audiences. Et de façon pragmatique, cela nous a aussi aidé à recruter de nouveaux clients”, souligne Flore Gorge-Coudy.
Son image, qui peut avoir été écornée par un reportage de Cash Investigation, a pu également bénéficier de cette initiative dans l’open data. Elle illustre aussi la capacité de l’entreprise de s’adapter à des mutations au sein de son environnement commercial. Christian Frisch reconnaît ainsi que l’open data, très développée en France et au Royaume-Uni notamment, est perçue comme un “danger”.
“Plutôt que d’adopter une stratégie défensive et de paniquer face à l’ouverture de données, il faut pouvoir exploiter les possibilités offertes. Il n’y a pas de raison de ne pas y participer. Par ailleurs, nous utilisons déjà de la donnée de santé externe. Il était donc naturel d’y contribuer également”, conclut le directeur Data & IA.
Propos recueillis à l’occasion de la conférence Data On Board organisée par Opendatasoft.