L’open source, clé pour réduire l’obsolescence matérielle

Les entreprises comme les utilisateurs finaux se saisissent encore peu ou mal de l’open source. Les règles sont parfois mal connues et les clichés encore nombreux. Pourtant, il y a de très nombreuses situations où entreprises comme particuliers sont amenés à utiliser de l’open source. Une méthode de développement logiciel bien utile pour réduire l’obsolescence matérielle et augmenter la souveraineté des entreprises.

L’open source permet de développer des logiciels que tout le monde peut s’approprier pour le re-développer ou redéployer. Basé sur la notion de partage de la connaissance, l’open source facilite l’interopérabilité et participe à lutter contre l’obsolescence matérielle. Pourtant, les entreprises peinent à s’y mettre et à bien comprendre les codes de l’open source, notamment la nécessité d’investir du temps dans la communauté de contributeurs. Côté utilisateur final, l’adoption est aussi balbutiante, privilégiant bien souvent les GAFAM à des alternatives open source.

L’open source était l’un des sujets de récents événements professionnels sur le numérique responsable, GreenTech Forum Brussels d’abord puis Unexpected Sources of Inspiration (USI) organisé à Paris le 25 juin. C’est à cette dernière occasion que nous avons rencontré Jean-Baptiste Kempf, président de VideoLAN, association à but non lucratif animée uniquement par des bénévoles, développant depuis le début leur produit phare VLC média player, célèbre lecteur vidéo.

« L’open source, c’est pouvoir prendre le gâteau au chocolat, la recette et les spécifications du four, le droit de refaire le gâteau, le modifier et même le vendre » explique Jean-Baptiste Kempf, « Le logiciel classique c’est juste pouvoir acheter le gâteau au chocolat ». 

Pour lui, le modèle de l’open source n’est pas un frein au développement d’opportunités et les business models qui en émergent se fonde surtout sur ce qui est possible de faire autour : « Souvent les business models s’appuient sur de la customisation et l’intégration dans des applications internes pour des entreprises ». Lui-même a développé une de ces entreprises de services avec VLC media player comme produit central. Il intègre en marque blanche VLC pour des entreprises qui veulent créer leur plateforme de streaming interne. 

Rétrocompatibilité vs. lock-in effect

Au-delà du business model, les avantages sont nombreux avec l’open source comme notamment la lutte contre ce qui s’appelle le lock-in effect. C’est l’avis de Jean-Baptiste Kempf mais aussi de celui exprimé lors de GreenTech Forum Brussels 2024 par François Pellegrini, professeur à l’Université de Bordeaux et Président du cluster NAOS (Nouvelle-Aquitaine Open Source), une association qui promeut le logiciel libre. 

Le lock-in effect correspond au fait d’être enfermé dans une technologie propriétaire qui répond à des intérêts limités. Pour François Pellegrini, cette pratique oblige potentiellement à changer de matériel lors d’une prochaine mise à jour logicielle car celle-ci ne sera plus compatible avec telle ou telle version d’équipement. 

A l’inverse, l’open source repose sur une communauté qui contribue, par défaut, pour le plus grand nombre et cherche ainsi plutôt à maximiser la compatibilité avec tous les types d’équipement existants, contribuant ainsi à la durabilité du matériel. Jean-Baptiste Kempf explique par exemple que « VLC 3 fonctionne aujourd’hui sous Windows XP et iOS 9 » des systèmes d’exploitation toujours utilisés et dont la date de dernière mise à jour remonte à plusieurs années. 

Les codes de l’open source

Pour les deux hommes, l’intérêt de l’entreprise à se mettre à l’open source est certain. Elle peut notamment s’appuyer sur des briques open source existantes pour développer une solution logicielle. Dans ce cas de figure, pour François Pellegrini, l’entreprise doit prendre conscience de l’enjeu d’allouer du temps pour contribuer aux travaux de la communauté, ce qui est encore trop peu le cas.

Pour Jean-Baptiste Kempf, c’est avant-tout un problème de culture : « les grandes entreprises françaises utilisent peu l’open source et préfèrent s’en remettre aux principaux acteurs privés du numérique ». Pour lui, lorsque ces entreprises utilisent des briques open source c’est surtout à l’initiative des équipes de développement mais pas forcément une impulsion plus globale au sein de l’entreprise. « Beaucoup de gens sont passifs et ne font que consommer le numérique » reprend-il.

A ses yeux, les choix de solution non open source résultent surtout de décisions “court termistes” alors que le lock-in effect devrait être « la première préoccupation des directions d’achat ». « Une DSI peut faire un choix de migration sur une solution propriétaire pour répondre à un enjeu à un instant T sans chercher à anticiper les difficultés à suivre car ce ne sera plus de son ressort à ce moment-là » détaille Jean-Baptiste Kempf, « aujourd’hui, il y a trop de consultants dans les DSI et pas assez de profils techniques, de fait on se retrouve avec des choix qui ne pensent pas à moyen et long termes. » 

Un principe à faire connaître

L’open source, ses codes et son intérêt reste encore à faire connaître et adopter. Tant dans les entreprises qu’auprès des utilisateurs finaux. Il faut dire que les clichés ont la peau dure, à raison peut-être lorsqu’on observe certaines interfaces issues du libre. Pour François Pellegrini néanmoins, ces idées reçues n’ont plus lieu d’être tant l’open source à progresser. 

Pour Jean-Baptiste Kempf, c’est d’abord une histoire de résistance au changement : « il y a une partie d’habitude car nous n’aimons pas changer les méthodes de travail, mais un logiciel libre est aussi souvent un peu plus difficile à prendre en main ». A ses yeux, l’enjeu est de faire le premier pas pour voir les effets bénéfiques à moyen termes.

Pour encourager les entreprises à se tourner vers l’open source, une solution pourrait venir de labels. C’est en tout cas un des paris en Allemagne. Anna Zagorski, chercheuse associée à l’Agence fédérale allemande pour l’environnement, présente aussi à GreenTech Forum Brussels 2024 a détaillé le fonctionnement du label écologique Blue Angel pour les logiciels économes en ressources et en énergie. Ce label exige la transparence sur ces enjeux et aussi la rétrocompatibilité logicielle sur au moins cinq ans. 

Si l’écolabel Blue Angel n’a pas été conçu dès le départ pour les logiciels open source, l’exigence de transparence correspond pleinement au fonctionnement du monde du “libre” :  avec le code ouvert et accessible à tous, le principe de transparence est ancré dans l’open source. Une piste pour une généralisation de l’open source et une meilleure interopérabilité des logiciels ? Assurément un facteur de démocratisation pour un monde qui doit encore convaincre que le passage vers l’open source peut être un facteur clé de réussite tant pour les utilisateurs finaux que pour les entreprises.