Avec un marché mondial estimé à 9,4 milliards de dollars en 2030, les technologies quantiques suscitent un intérêt croissant. Mais derrière les espoirs en calcul exponentiel et en cryptographie inviolable, la consommation énergétique pose question. Chercheurs et industriels lancent les premières initiatives dans ce domaine.
Chaque 14 avril a lieu le World Quantum Day, une initiative internationale lancée par des scientifiques de 65 pays pour promouvoir la technologie quantiques auprès du public du monde entier. L’édition 2025 célèbre les 100 ans du développement initial de la mécanique quantique. De quoi multiplier les axes de réflexions sur l’avenir de nos sociétés avec ces technologies. En 2024, le marché des technologies quantiques est d’ores et déjà estimé à 2,7 milliards de dollars. À l’horizon 2030, ce volume d’affaires devrait atteindre 9,4 milliards de dollars, selon les chiffres de Juniper Research. Les secteurs de la chimie, des sciences de la vie, de la finance et de la mobilité devraient profiter prioritairement de l’impact de l’informatique quantique, avec des gains pouvant atteindre les 2 000 milliards de dollars d’ici 2035, selon le rapport Quantum Technology Monitor de McKinsey. Une croissance annoncée qui ne manque pas de poser de nombreuses questions pour savoir si l’usage des technologies quantiques sera « responsable » d’un point de vue environnemental ou, tout du moins, énergétique.
Une variété de domaines technologiques
Au sein des technologies quantiques, il faut déjà distinguer quatre grands domaines. Le premier est le calcul quantique : « Les applications du calcul quantique sont à la fois nombreuses et pourtant encore inexplorées. Leur objectif n’est pas de remplacer ce que font les ordinateurs d’aujourd’hui, mais plutôt de rendre possible ce qui ne l’est pas, dans la résolution de problèmes très complexes dits ‘exponentiels’ qui pourraient tirer parti du phénomène de superposition des qubits », déclare Olivier Ezratty, auteur du livre « Understanding Quantum Technologies 2024 » (librement téléchargeable) et des podcasts Quantum et Decode Quantum, avec Fanny Bouton.
Le phénomène de l’intrication entre les qubits qui est exploitée dans les ordinateurs quantiques a aussi ouvert la porte aux deuxième et troisième domaines : la cryptographie et les télécommunications quantiques. « La cryptographie quantique est un moyen de génération de clés quantiques inviolables grâce aux principes de la physique quantique, comme celui de l’intrication entre photons. Elle repose soit sur des communications par fibre optique, soit en liaison spatiale avec des satellites. Les télécommunications quantiques permettent quant à elles de communiquer à distance l’état de quanta. C’est un cas plus général que la cryptographie quantique qui en est un cas particulier. Il devrait par exemple permettre à terme de relier entre eux plusieurs ordinateurs quantiques », ajoute Olivier Ezratty. Enfin, la métrologie quantique permet de mesurer des ordres de grandeur de l’infiniment petit avec une très grande précision. C’est un vaste domaine scientifique qui fait l’objet de nombreux travaux de recherche et qui voit se développer la commercialisation de solutions industrielles.
Ces grands domaines d’application des technologies quantiques ont l’air disjoints, mais ils ne le sont pas. L’écheveau des champs scientifiques et technologies quantiques est étroitement « intriqué ». En effet, on compte plusieurs techniques de base : la photonique, les supraconducteurs, les atomes et ions piégés ainsi que les spins d’électrons. Elles sont souvent combinées les unes avec les autres pour créer des solutions concrètes.
L’équation énergétique du quantique supraconducteur
Si l’on se concentre sur l’une des technologies quantiques les plus utilisées aujourd’hui, celle des qubits supraconducteurs, les enjeux énergétiques sont très présents. Les qubits supraconducteurs fonctionnent en effet uniquement dans des conditions extrêmement froides, proches du zéro absolu, soit environ -273°C. Les techniques de refroidissement permettent de maintenir un environnement ultra-stable sur le plan thermique et électromagnétique. Mais pour y arriver, une certaine quantité d’énergie est nécessaire.
La consommation énergétique standard actuelle d’un ordinateur quantique supraconducteur comportant entre 50 et 100 qubits est comprise entre 20 et 30 kW, dont 70 à 80% proviennent directement du système de réfrigération cryogénique. Mais pour qu’un réel ordinateur quantique existe, avec des taux d’erreur extrêmement faibles, il faudrait atteindre entre plusieurs centaines de milliers et des millions de qubits physiques, ce qui équivaudrait à une consommation énergétique égale à des centaines de MW en extrapolant l’existant.
La question énergétique : avant tout sociétale et économique
« Sur le terrain énergétique, il est bien évidemment tentant de comparer les technologies quantiques entre elles. Mais l’autre grande question qui se pose est de comparer la consommation énergétique d’un ordinateur quantique avec celle d’une solution classique. Deux situations peuvent alors se présenter. La première, c’est quand les deux types d’ordinateurs peuvent résoudre le même problème. On peut alors réaliser des benchmarks intégrant l’énergie (qui fait partie du coût global), le temps de calcul et la qualité du résultat. La deuxième situation interviendra lorsque l’ordinateur quantique réalisera des calculs inaccessibles à une solution traditionnelle », analyse Olivier Ezratty.
Cette deuxième situation est appelée « avantage quantique ». Elle désigne le moment où un ordinateur quantique surpasse les ordinateurs classiques dans l’exécution d’une tâche spécifique, mais avec des données en entrée et en sortie. En 2019, dans un article publié sur le site Nature.com, Google avait revendiqué l’atteinte de la “suprématie quantique”, avec son ordinateur quantique Sycamore (53 qubits) qui accomplissait en 200 secondes une tâche qui aurait requis 10 000 ans de calcul pour le meilleur des supercalculateurs de l’époque. Certains des concurrents de Google, dont IBM fait partie, ont contesté la réalité de cet avantage quantique. Depuis, Google a réalisé cet exploit classiquement en 6 secondes sur un ordinateur classique ! Et ce calcul aléatoire n’utilisait aucune donnée en entrée.
« Quand les machines, dans 5 à 15 ans, vont délivrer les promesses du calcul quantique, c’est-à-dire réaliser des calculs inaccessibles à un ordinateur classique, la question énergétique qui se posera sera avant tout sociétale et économique. Compte tenu du fait qu’aucune solution traditionnelle ne saura faire la même chose, nous devrons nous demander – si la consommation énergétique d’un ordinateur quantique est élevée – si cette consommation est acceptable, compte tenu de la valeur ajoutée qu’elle va générer », note Olivier Ezratty.
Vers des standards énergétiques pour le quantique ?
Comme nous le constatons, tout est à construire en matière de mesure et de comparaison de la consommation énergétique des ordinateurs quantiques. En juin dernier, le CNRS s’est associé à EDF ainsi qu’aux start-up du quantique Quandela et Alice & Bob pour déployer le premier projet transdisciplinaire sur le sujet. Nommé « Optimisation Énergétique des Circuits Quantiques » (OECQ), le projet aura une durée de quatre ans. Il s’inscrit dans le cadre du programme France 2030 géré par Bpifrance, et bénéficie d’un budget de 6,1 millions d’euros, dont 4,5 millions d’euros subventionnés par l’État français.
« La définition de l’efficacité énergétique est simple : la performance divisée par le coût en ressources. Dans le cas d’un ordinateur quantique, la performance résulte de la qualité de contrôle obtenue au niveau du processeur quantique. Mais cela représente un coût en ressources consommées essentiellement par les technologies habilitantes : cryogénie, électronique de contrôle… Optimiser une efficacité énergétique nécessite donc de connecter des expertises au niveau fondamental, quantique et classique », déclare Alexia Auffèves, Directrice de Recherche au CNRS, Directrice du MajuLab, mais aussi cofondatrice en 2022 de la Quantum Energy Initiative, avec Olivier Ezratty, Robert Whitney et Janine Splettstoesser.
Optimiser des technologies qui n’existent pas encore
Le projet comporte deux objectifs étroitement liés : le premier consiste à comparer les performances énergétiques des systèmes de calcul haute performance (HPC) aux systèmes de calcul quantique, et à rechercher les conditions d’un avantage quantique de nature énergétique. Le deuxième vise à optimiser la consommation énergétique d’un ordinateur quantique, à partir des technologies développées par les start-ups Quandela et Alice & Bob.
« La consommation énergétique des technologies quantiques est un sujet complexe, car ces technologies n’existent pas encore. Les fourchettes d’estimation vont de la centaine de kW à la centaine de MW. Ces estimations dépendent des technologies quantiques utilisées et, à l’intérieur de chacune d’entre elles, des choix d’architecture. La fourchette est donc très large et il est difficile de prédire comment l’efficacité énergétique va évoluer dans le temps. Dans le cadre du projet OECQ, nous avons l’objectif de développer des prototypes de processeurs quantiques optimisés d’un point de vue énergétique sur des cas d’usage industriels réels », conclut Jeremy Stevens, Technology Development Lead chez Alice & Bob, entreprise membre du projet OECQ, mais aussi de la Quantum Energy Initiative.