Récemment nommé Directeur Général Adjoint en charge de la transformation de Vinci Autoroutes, Paul Maarek dirige aussi depuis l’automne 2017 le projet Cyclope, du nom d’une start-up interne de l’entreprise, chargé de changer la productivité et la qualité des services des métiers de l’entreprise grâce à l’intelligence artificielle. Un an après, il revient sur les résultats rapides obtenus et sur la méthode utilisée.
Alliancy. Que représente Cyclope pour Vinci Autoroutes ?
Paul Maarek. Le projet Cyclope s’inscrit dans la démarche globale de transformation numérique du groupe Vinci. Celle-ci couvre deux aspects. D’abord une vision très « BtoC » avec la création de nombreux services supplémentaires à apporter à nos utilisateurs. Dans le cas de Vinci Autoroutes, il s’agira ainsi de mettre le numérique au service de nos abonnés, mais également de tous les autres utilisateurs de nos autoroutes. La deuxième partie de notre transformation concerne, elle, les évolutions fortes à apporter à nos processus. Et au cœur de ce deuxième aspect, il y a une question brûlante : comment l’intelligence artificielle nous fait concrètement gagner en productivité et en qualité de service délivré ?
Qu’entendez-vous par « intelligence artificielle » dans votre contexte ?
Paul Maarek. On s’est intéressé assez rapidement aux possibilités offertes par le machine learning, associées aux technologies de computer vision. Notre intuition était que cela pouvait nous permettre de résoudre élégamment des problématiques avec lesquelles nous avons toujours dû composer, historiquement. Un exemple précis : chaque année, Vinci Autoroutes gère 900 millions de transactions payantes. Cette gestion a été automatisée voilà plusieurs années maintenant, ce qui a représenté un vrai progrès par rapport à la gestion manuelle, mais malgré tout, on constatait un reliquat d’environ 10% de ces transactions qui n’étaient pas fiables et devaient être revérifiées par un opérateur humain. Développer des algorithmes dans le cadre du projet Cyclope pour s’attaquer à ce reliquat a eu des effets immédiats. Nous avons augmenté de 90% le taux de performance. Avec cette pratique et grâce à l’IA, il ne reste donc plus que 1% environ de transactions litigieuses. Mécaniquement, cela a eu un effet sur la productivité des agents, sur la qualité du travail, mais également sur la baisse notable des réclamations de la part de nos clients. Et ce n’est pas une expérimentation : nous avons directement mis en production ces algorithmes sur nos systèmes.
D’autres cas d’usages ont-ils été aussi évidents ?
Paul Maarek. Oui. Toujours au niveau des péages, ces approches permettent de mieux exploiter les capteurs existants pour améliorer la lecture des plaques d’immatriculation et la reconnaissance des véhicules sur le réseau. En termes de fiabilité, nous sommes sur des niveaux d’objectifs industriels supérieur à 99%. Cela ouvre donc des perspectives considérables, comme par exemple l’idée de se passer des badges d’abonnement sur les voitures, puisque le système pourra détecter automatiquement leur présence et leur progression sur l’autoroute. L’un des points clés dans ce cas d’usage est bien de ne pas avoir à changer les capteurs en place ! Cela simplifie du même coup considérablement la gestion du hardware et permet d’importantes économies en CAPEX.
« L’IA ouvre des perspectives considérables, comme celle de se passer du badge d’abonnement pour les véhicules qui empruntent nos autoroutes »
Envisagez-vous également de mettre à profit cette qualité de reconnaissance d’image à des fins de sécurité ?
Paul Maarek. C’est effectivement un point important de notre deuxième métier, celui de la gestion du trafic. Toujours avec nos caméras historiques, nous pouvons repérer beaucoup mieux les anomalies et les piétons, par exemple dans un tunnel. La capacité des algorithmes à interpréter avec beaucoup de souplesse les images, quel que soit l’angle, offre beaucoup de liberté. Il est alors possible de faire appel beaucoup plus facilement aux caméras mobiles, sans impact sur les infrastructures. Traditionnellement, l’analyse pixel à pixel qui était utilisée en reconnaissance d’images poussaient énormément de faux positifs, notamment du fait des nombreuses vibrations que subissent ces caméras. A nouveau, l’IA change la donne. Les puissances de calcul actuelles des machines à notre disposition permettent de résoudre le vieux problème de la massification. Les gestionnaires d’infrastructures ne pouvaient humainement pas surveiller tous les flux en temps réel et ils étaient ensevelis sous les fausses alertes. En codant au plus proche des processeurs pour optimiser l’usage des algorithmes, on dispose de la capacité d’industrialisation qui est nécessaire pour un acteur comme Vinci. En novembre, un premier tunnel du réseau Vinci Autoroutes sera équipé de cette technologie, mais nous destinons plus largement ces solutions au marché.
900 millions : c’est le nombre annuel de transactions des péages de Vinci Autoroutes, fiabilisées grâce à l’IA.
Est-ce que vendre ce savoir-faire aller de soi dès le départ ?
Paul Maarek. Quand on crée une start-up interne comme Cyclope, indépendante des cadres hiérarchiques habituels, c’est en effet le signe d’une vision qui est également commerciale. Dans le monde entier, les besoins des opérateurs d’infrastructures sont très forts. Depuis des années par exemple, nous constations la présence dans les appels d’offres de vraies demandes pour associer détection d’incidents et utilisation de caméras mobiles hors tunnel. Il s’agissait de points auxquels il était tout simplement impossible de répondre. On vient donc enfin de créer l’offre qui répond à cette demande, cela dépasse le seul cas de Vinci Autoroutes.
Comment fait-on atterrir efficacement un projet d’une vingtaine de personnes comme Cyclope dans un grand groupe comme Vinci ?
Paul Maarek. La première inspiration est venue durant l’été 2017. L’IA consomme énormément de data pour être pertinente et Vinci avait très clairement un actif énorme de data à faire fructifier. J’ai été missionné par le directeur général de Vinci Autoroutes pour pousser cette ambition dans le contexte particulier de notre métier. Nous avons alors monté dès l’automne suivant une équipe avec des profils dont l’entreprise ne disposait pas : des chercheurs en data science avec un pedigree international. C’est un parti pris très neuf pour Vinci Autoroutes : notre DSI est experte de ses sujets, mais il s’agit plutôt d’informatique industrielle et de gestion, pas d’un tel axe de R&D. Cette équipe avait une lettre de mission claire : que tout ce qu’elle amène se fasse sous le signe de l’intégration rapide à la production industrielle. Il fallait être moderne sur les idées et la technologie, mais également très concrets dans l’implémentation. Le pari a été une réussite puisque le premier test industriel a eu lieu en janvier 2018 et le premier déploiement en production avant l’été.
Comment s’assure-t-on que des solutions à base d’IA passent le cap de la simple expérimentation ?
Paul Maarek. La seule façon pour ancrer de telles innovations dans l’opérationnel, c’est de passer en production le plus vite possible. Il faut absolument dépasser l’incrédulité des métiers et le « côté magique de l’IA », tout en gardant à l’esprit que ces nouvelles possibilités sont contre-intuitives pour un opérateur. Et on n’a pas le droit de bousculer, ou d’arriver comme des sachants qui imposent leur volonté. Il faut apporter la preuve par l’exemple. Et cela fonctionne : le monde du péage est très sérieux et méfiant sur des propositions de panacée numérique, mais une fois que cela fonctionne, cela désinhibe complètement. Aujourd’hui, à peine un an après notre création, nous croulons sous les demandes pour de nouveaux usages, car la preuve de fiabilité industrielle a été apportée dès le départ. C’est un « effet cliquet » qu’il faut provoquer ; après, je ne pense pas à un retour en arrière. C’est pourquoi un Proof of Concept (POC) a de fortes limites. Le bon POC c’est celui qui arrive jusqu’au bout de sa démarche… et cela veut dire qu’il passe en production immédiate avec plus de 99% de fiabilité. Une fois que l’on a montré que la volonté « venue d’en haut » n’était pas seulement une expérimentation gadget, il faut ensuite être prêt à absorber les idées du terrain. De nombreux autres services pourront voir le jour, à condition qu’il y ait une réelle prise en main par le management intermédiaire.
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