Pause numérique à la rentrée : un faux combat qui ne prépare pas au monde professionnel

[Billet d’humeur] Confisquer les portables à l’entrée des collèges, n’est-ce pas rendre un mauvais service à ceux qui doivent au plus vite être accompagnés pour développer une culture du numérique avant d’entrer dans la vie active ?

Bon sens pour certains, démagogie pour d’autres, l’expérimentation de la « pause numérique » en cette première semaine de rentrée scolaire a au moins le mérite de faire parler d’elle. En 2024, tous les collégiens ne sont pas encore concernés. Ce sont 200 établissements en France qui servent de laboratoires à cette confiscation des smartphones à l’entrée des établissements ; terminaux qui seront restitués en fin de journée, à la sortie des classes. Notez que le casse-tête pour le personnel est surtout logistique (moyens humains, temps de gestion, risques sur le matériel…), car l’interdiction de l’usage des smartphones en classe est, elle, déjà bien formalisée depuis 2018 !

Alors pourquoi compliquer encore un peu plus le quotidien ? Officiellement, il s’agit de rétablir un climat plus sain en milieu scolaire, de réduire les distractions et de lutter contre le cyberharcèlement.
Mais, une nouvelle fois, on semble tomber dans le piège qui veut que l’outil soit l’alpha et l’oméga du changement. Ou, dans ce cas précis, comme si l’absence (momentanée) d’un outil allait changer quoi que ce soit aux causes profondes des maux visés. Dans le cas du cyberharcèlement, qui peut imaginer une seconde qu’il ne reprendra pas dès la sortie de l’école ?

Quant aux distractions numériques, elles ne sont pas l’apanage des jeunes. Tous les adultes, parents et professionnels, en font l’expérience au quotidien. Du « doomscrolling » au déficit d’attention alimenté par les notifications permanentes, les entreprises elles-mêmes commencent à bien connaître la problématique. Et les effets sont de plus en plus documentés par des études. Pense-t-on pour autant qu’il est raisonnable ou même souhaitable de confisquer les smartphones à l’entrée des bureaux ? (On ne mentionnera même pas le télétravail…).

La question est risible, mais pas parce que l’on compare la liberté des adultes à celle des enfants. En effet, le cœur de la problématique réside plutôt dans la question de la « culture digitale » des individus. Celle-ci, très inégale, peut se traduire par les dangers de la fracture numérique en termes d’intégration au quotidien. Mais, même au-delà de cette forme extrême, l’incapacité à réfléchir aux impacts sociaux, parfois délétères, du numérique provoque des dégâts dans notre capacité à faire société.

In fine, retirer les outils durant le temps scolaire, c’est chercher un raccourci et fermer les yeux sur les enjeux beaucoup plus larges d’acquisition des bons réflexes par les futurs adultes. On pourrait, au contraire, espérer que l’école leur apprenne au plus tôt à être mieux préparés à un avenir fait de transformations numériques effrénées. Et que leur éducation numérique, si délicate soit-elle, ne s’arrête pas aux frontières des établissements scolaires.