[EXCLUSIF] Cette chronique est née d’un agacement. Car il faut bien l’admettre, on utilise à tort et à travers dans nos entreprises le concept de stratégie du changement. La stratégie en question se résume souvent à une planification froide des changements à apporter. Rien de dérangeant jusque-là, sauf que les chiffres s’entêtent et nous rappellent à l’ordre. 70% des projets de transformation / fusion se soldent par un échec. Nous pensons pour notre part que l’on ne peut prétendre mener de conduite du changement sans prendre en compte la complexité qui va avec. Et d’abord et avant toute autre considération, la complexité humaine, très humaine, qui met au défi les pratiques managériales venues d’en haut.
« Une automatisation totale probable à l’horizon 2140 »
Qu’on imagine un instant le tsunami digital qui envahit la sphère de l’entreprise depuis ces dernières années avec le foisonnement des informations, la connectivité généralisée, le stockage et l’analyse de données en masse, le travail en totale mobilité …
La relation au travail se fait immatérielle. Une étude récente révèle que 7 européens sur 10 ne sont plus en prise directe avec la matière dans leur travail quotidien. Une autre étude menée par 352 spécialistes de l’IA révèle que « l’automatisation totale », c’est-à-dire le remplacement de l’homme dans tous ses domaines d’activité, pourrait être effectif d’ici une centaine d’années.
« La complexité du change management est avant tout humaine »
Dans ce monde incertain, la nature des relations change. Elle impose de travailler en réseaux, elle appelle de nouveaux équilibres. La complexité du change management est avant tout humaine. C’est le 1er niveau de complexité qu’il nous faut prendre en compte.
L’arrivée des nouveaux outils enregistre des accélérations sans précédent. Au point que les collaborateurs ont du mal à se les approprier… Veut-on risquer l’indigestion ? Le risque de déstabilisation des salariés et du management guette. Comment dans ces conditions rendre le futur désirable pour les femmes et les hommes de nos entreprises ? Ces nouvelles technologies informationnelles, ces nouvelles relations à construire introduisent une complexité qu’il s’agit avant tout d’accepter car nous n’avons pas d’autres choix.
Certains dirigeants se bercent d’illusions en partant à la conquête d’une organisation cible idéale, qui imposerait par nature des comportements meilleurs parce ce que souhaitables pour l’entreprise. Cela ne marche pas comme ça ! Les nouveaux comportements attendus ne se décrètent pas. Il ne suffit pas de vouloir du jour au lendemain une organisation cible « orientée clients » ou une autre « orientée services ». Sa mise en place réussie repose sur des changements de comportements profonds à la fois individuels et collectifs qui vont jusqu’à remettre en cause notre propre croyance de ce que doit être un bon manager ou un bon collaborateur.
Restituer le futur
La conduite du changement est une construction habile qui prend son temps. Elle procède d’une mécanique de complexité et de souplesse qui veut restituer aux collaborateurs ce FUTUR désirable construit patiemment avec eux et par eux. Elle repose in fine sur une adhésion volontaire de chacun.
Toute organisation a un potentiel d’évolution ; elle a aussi sa propre inertie qui est le résultat de son histoire, de ses succès et de ses échecs. La conduite du changement doit aussi trouver au sein de l’organisation des pauses et des moments de respiration. Il faut comprendre tout cela pour insuffler le meilleur des tempos possibles et restituer la possibilité d’un futur tout en respectant le présent.
L’introduction du « ET »
Il y a les hommes et leur complexité, il y a les comportements et leur complexité ; et puis autre facteur de complexité à prendre en compte et pour le moins inattendu, c’est l’introduction du « et » dans l’entreprise. Celui qui réconcilie les contraires en nous obligeant à sortir du « ou », ce « ou » qui génère la contradiction frontale des options et des opinions, la recherche de l’incohérence chez l’autre ou dans son projet, l’opposition du bien et du mal au moins dans la perception que nous en avons.
En acceptant la primauté du «et» sur le «ou», on sort des postures idéologiques qui excluent et installent le rapport de force et l’exclusion comme pivots de la coopération humaine.
Le changement, c’est l’entreprise ET le salarié. C’est l’équilibre ET la croissance, la créativité ET la discipline ; le changement, admettons-le, se nourrit de la complexité, du flou ET de la nuance. Son acceptation passe par une mécanique d’adhésion progressive, un processus « souple » fondé sur l’écoute ET le bon sens. Nous pouvons dire que le changement trouve son meilleur équilibre dans ce ridicule petit «ET » mais central car complice.
Complexité, pas complication…
Vous l’aurez compris. La complexité « est ». Conduire le changement dans la complexité ne signifie pas que l’on va rajouter des couches de complication à des projets qui n’en manquent déjà pas, au contraire. Cela signifie que notre idée du change management consiste à faire progresser la cause des entreprises ET des hommes dans un mouvement commun. Il s’agit d’admettre la complexité des organisations et la complexité des individus. De là un nouveau champ de travail du change management prenant en compte toutes les nuances du monde des hommes et des femmes d’une organisation. La transformation n’échappe pas à la complexité tant l’évolution du rapport au travail est devenue quasi impossible sans la recherche d’un nouveau consensus au sein de l’entreprise qui change. Quand tout change, le point focal, c’est l’équipe, la seule certitude, c’est la solidarité avec les autres basée sur le partage d’enjeux personnels de même poids. Dans ce monde incertain, exigeant, compétitif, perçu comme menaçant, la relation équitable à l’autre basée sur la compréhension de ses enjeux personnels sera la clé de la réussite, individuelle et collective.
« Aider le collaborateur de l’entreprise à aller là où il voudra aller ! »
Au fond, qu’est-ce qui a « changé »? C’est que la conduite du changement, ce n’est pas maintenant, c’est tout le temps. Le changement n’est pas une étape en soi. Il y a 10 ans, on mettait 6 mois pour transformer une entreprise sur un seul axe : organisation, système informatique,…Aujourd’hui, le changement est global. L’entreprise doit se transformer en permanence dans toutes ses dimensions et « en même temps »…: gouvernance, leadership, innovation, offre, expérience client, expérience collaborateur, nouveau business modèle…
Le ET se fait simultanéité. Le ET se fait maintenant, partout. La transformation n’est plus un « projet » limité dans le temps. C’est un état permanent et une nécessité qu’il faut apprivoiser en permanence.
Le désir des hommes pour accepter de changer se prépare donc minutieusement. Il s’alimente. Le changement prend le temps de l’acculturation! Il s’agit d’aider le collaborateur à aller là où il voudra aller lui-même. C’est essentiel ! Non pas l’emmener là où l’on veut, mais l’aider à suivre son instinct une fois informé, en inscrivant et en orientant son projet de changement personnel dans la dynamique générale de transformation.
Donner du sens au changement apportera la stabilité nécessaire comme le mouvement vers la destination donne de la stabilité au cycliste… Si l’on simplifie les choses à outrance, Le rôle du change management est de créer des espaces pour accompagner cette mutation. Le change management appelle de nouvelles facultés pour créer ces espaces où les personnes pourront arriver par elles-mêmes aux solutions qui bien sûr demanderont parfois des arbitrages. Parlons d’émergence dans la conduite du changement. Elle consiste à mettre en branle un processus de transformation AU-THEN-TI-QUE où les solutions évolutives viennent de l’intérieur de l’organisation. Authentique et donc accepté parce que basé sur une conscience partagée des enjeux et sur des solutions venues « du dedans ».
… une belle mécanique souple et subtile
Le changement se nourrit toujours de subtilité. Il suppose nuance, doigté et souplesse. Car disons-le clairement, le refus du changement est une réaction naturelle de la part du collaborateur. Refuser le changement est un réflexe rationnel bien ancré dans notre ADN. Ce refus est dans l’ordre des choses du point de vue de celui qui subit le changement sans l’avoir décidé. Qu’à cela ne tienne, un dispositif de conduite du changement est une mécanique de souplesse pour analyser dans un premier temps ce que pensent les acteurs du changement, ce qu’ils anticipent pouvoir perdre, ce qu’ils espèrent pouvoir gagner. Leurs peurs, leurs espoirs,…Il s’agit dans cette phase cruciale d’instaurer des espaces d’écoute et de questionnement sur le ressenti des parties prenantes. L’empathie ! Encore l’empathie, toujours l’empathie dans une dictature de l’immédiat où l’on ne prend pas le temps d’écouter et d’expliquer les choses. La mécanique de souplesse se situe là au cœur de la logique d’écoute. Pas d’écoute, pas d’adhésion. Que vienne le temps d’expliquer le projet de changement et de clarifier le sens au niveau individuel et collectif pour que chacun puisse trouver sa propre trajectoire en pleine conscience dans une dynamique collective engagée.
Nous avons acquis aujourd’hui le sentiment d’urgence qu’il fallait créer une rupture conceptuelle dans une approche moderne du change management. Cela suppose un management du changement qui rompt avec les continuités empruntées au passé. Cela suppose de se projeter aujourd’hui dans un avenir fait de représentations nouvelles. Une rupture bienveillante et altruiste où la réussite du projet dépend des autres, de nos interdépendances et de nouvelles solidarités. Une nouvelle idéologie du changement est née. Elle inspire esprit d’innovation et d’entreprise. Elle ranime avec force le cœur battant de l’entreprise !