Connaissez-vous Karsten Wildberger ? Cet homme d’affaires est le nouveau ministre fédéral du numérique de l’Allemagne. Une première alors que le pays n’avait jamais incarné politiquement ce poste et ces responsabilités au sein de ses gouvernements successifs (malgré l’existence d’un ministère du « Transport et des infrastructures numériques »). Cette mise en avant dans l’équipe fraîchement nommée du nouveau chancelier Friedrich Merz est intéressante à plus d’un titre. D’abord, le ministre est un homme du privé : passé par le Boston Consulting Group, T-Mobile, Vodafone… il était devenu en 2021 le directeur général du spécialiste des magasins d’électronique Media-Saturn et président du conseil d’administration de Ceconomy (l’un des actionnaires principaux de Fnac-Darty). Il n’a adhéré au CDU, parti du chancelier, qu’après sa nomination début mai. Mais plus encore, c’est sa lettre de mission qui peut retenir l’attention : la modernisation de l’État d’une part (dans l’intitulé complet de son poste) et, surtout, la souveraineté numérique. Alors qu’en France, les initiatives se multiplient pour faire face aux risques croissants de dépendances technologiques, un axe Paris-Berlin renforcé sur les défis donnerait peut-être à l’Europe une meilleure chance pour lutter.
Première rencontre franco-allemande
C’est une constante dans les rouages complexes de la construction européenne : quand France et Allemagne travaillent de concert, ils entraînent dans leur sillage des résultats notables. Mais quand les principales économies du continent divergent ou, pire, s’opposent, alors tout patine. Les analystes politiques ont pu ainsi constater à quel point les mésententes entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, chancelier allemand de 2021 à 2025, ont grippé les avancées espérées par l’Europe dans la période post-Covid, malgré le militantisme de la Commission Européenne. L’espoir d’un « reset » avec le nouveau chancelier Merz, jugé plus « Macron-compatible », est donc au centre des efforts diplomatiques de part et d’autre du Rhin. Et du côté des sujets numériques, les signes sont encourageants : Karsten Wildberger a ainsi reçu la ministre française déléguée au numérique, Clara Chappaz cette semaine – qui trouve donc enfin un interlocuteur direct à Berlin. L’occasion pour la ministre de commenter la tenue pour la première fois cette semaine à Berlin du GITEX, salon international consacrées aux technologies et aux start-up : « Lorsque l’on entendait dire que l’Europe était un continent de réglementation, c’était du passé. Aujourd’hui, l’Europe est tournée vers l’innovation. Plus que jamais, nous avons tous les ingrédients pour réussir en tant qu’Européens à construire ces technologies étonnantes en matière d’IA. Les partenariats entre la France et l’Allemagne sont extrêmement déterminés à accélérer l’Europe en matière d’innovation, et en particulier en ce qui concerne tout ce que nous pouvons faire en matière d’innovation numérique. »
Mobilisation à Strasbourg
Les deux ministres ont du pain sur la planche, car les demandes se font de plus en plus pressantes. Lors de la 2e édition des Rencontres Numériques de Strasbourg, organisé par le Cigref et Numeum fin avril, les DSI allemands étaient représentés par l’implication de l’association Voice (ainsi que Beltug pour la Belgique et CIO Platform Nederland pour les Pays-Bas). Mais surtout, l’ambition de renforcer la coordination européenne de l’écosystème est au cœur de ce nouveau rendez-vous piloté par les organisations françaises. De nombreuses recommandations émises à l’issue de la rencontre par les participants devant Clara Chappaz concernent en effet plus largement des actions à mener au niveau européen.
Passage à l’échelle européen
C’est aussi l’appel du manifeste « pour la souveraineté technologique et l’autonomie stratégique du numérique en France et en Europe » rédigé par l’Innovation Makers Alliance (IMA) en coordination avec des représentants de tout l’écosystème, depuis des industriels du CAC40 jusqu’à la French Tech. Au cœur des 33 mesures proposées, se distingue ainsi un small business act à l’européenne, pour flécher une part de commande publique vers l’innovation numérique du continent, ou encore une demande d’investissements massifs dans les infrastructures qui doivent soutenir le développement de l’intelligence artificielle. Autant de sujets qui, s’ils peuvent être engagés au niveau d’un État membre, ne feront vraiment la différence qu’avec un déploiement européenn de premier plan. Le passage à l’échelle et la massification restent deux axes clés pour la compétitivité des entreprises européennes. En 2024, les rapports respectifs de Mario Draghi et d’Enrico Letta n’ont pas manqué de pointer ce défi énorme. Espérons donc que France et Allemagne se mettent rapidement d’accord pour parler d’une seule voix en la matière. Sinon la belle idée d’une stratégie numérique européenne qui soit plus que des grandes réglementations, restera dans les cartons.