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Philippe Herbert (Kreaxi) : « Une entreprise généraliste qui se lance dans le software change sa raison d’être »

Philippe Herbert, membre du directoire du spécialiste du capital risque Kreaxi, a participé à l’aventure Dassault Systèmes, qui a vu dans les années 1980 l’industriel AMD-BA (futur Dassault Aviation) faire émerger ce qui allait devenir le champion français du logiciel. A l’aune de la tentation grandissante de nombreuses entreprises de créer leur propre activité software, il revient sur les enseignements de cette expérience.

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Alliancy. N’importe quelle entreprise peut-elle aujourd’hui se créer une activité software ?

Philippe Herbert, Managing General Partner de Kreaxi,

Philippe Herbert. Au-delà des velléités que peut avoir une entreprise de créer une telle activité, elle va rapidement se retrouver confrontée à de nombreuses questions qui dépassent de loin celle du bon vouloir et de l’intention stratégique. En particulier, la question des compétences va vite devenir incontournable. De manière général, je suis assez dubitatif sur la capacité des entreprises françaises dont ce n’est pas l’activité à l’origine de savoir déployer ce modèle. En effet, l’impact est très fort sur l’activité et il est beaucoup plus difficile qu’on ne le pense de gérer une telle transformation.

Les exemples de réussites donnent envie, bien entendu, et quand cela fonctionne c’est évidemment une excellente nouvelle, mais il ne faut pas croire que ce soit simple ou facile. Quand une entreprise commence à avoir une taille importante, elle est tentée de se dire : « qu’est-ce que cela me coûte au final d’avoir une petite équipe de développeurs en propre, dédiée à mes problématiques ? ». Mais en fait, elle met de la sorte le doigt dans l’engrenage, car les tenants et les aboutissants d’une activité software sont extrêmement structurants pour l’entreprise, cela va du développement à la maintenance en passant par la commercialisation et le support de niveau 1 et 2. Un directeur de l’innovation aura tendance à démontrer l’intérêt que cela peut avoir, du point de vue de la transformation en cours des entreprises avec le numérique, mais cela fait partie de sa mission. Cependant créer une activité software, cela dépasse le simple fait d’avoir une équipe digitale pour sa transformation. L’impact sur le business va beaucoup plus loin que la seule efficacité opérationnelle de sa propre activité. 

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L’exemple de la création de Dassault Systèmes dans les années 80 peut-il être un bon exemple à suivre ?

Philippe Herbert. La création de Dassault Systèmes est effectivement un exemple qui a fait date. Mais aujourd’hui, les gens oublient un peu vite le chemin qu’il a fallu parcourir pour arriver à la création de ce champion mondial français. Il y a eu bien plus qu’une idée géniale avec une petite équipe. Cela a été un défi majeur d’industrialisation qui a de plus bénéficié d’un véritable alignement des planètes. La plus grosse difficulté lors de la création d’une telle activité est clairement l’évolution de la culture d’entreprise : en se lançant dans le software, la raison d’être de l’organisation va souvent devoir changer complètement. Et il faut pouvoir embarquer une équipe dédiée autour de cette nouvelle vision, basée sur les services numériques. Ainsi, la difficulté n’est pas de créer le premier produit digital, mais d’aligner derrière tout le reste : maintenance, distribution, marketing, support … avec les nouvelles règles du jeu.

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Comment cela s’est-il passé à l’époque de Dassault Systèmes ?

Philippe Herbert. Pour Dassault Systèmes, il ne faut pas ignorer qu’il y a d’abord eu une décennie d’expérimentation ; ce n’était pas un coup de tête. Il y a eu en interne au sein de Dassault Aviation des challenges successifs lancés pour voir si les idées de produits développés étaient vraiment différenciants sur le marché. Il y a eu un travail important pour identifier les trois critères qui permettraient de convaincre : le produit est-il utilisable par les concurrents autant que par les partenaires ? Qui va le distribuer et le vendre ? Et qui va être le sponsor financier permettant de lancer une telle activité de façon crédible ?

Quelles ont été les réponses apportées à ces questions ?

Philippe Herbert. Il a déjà fallu sonder le marché en profondeur et notamment que des prospects industriels de renom acceptent de jouer le jeu des tests. D’où les années d’expérimentations. Ensuite, pour la partie distribution, la période était propice car IBM cherchait un nouveau produit à distribuer en France et préparait un appel d’offre en la matière. Enfin, sur la partie financière, Marcel Dassault a posé la question directement à son directeur financier de l’époque, Charles Edelstenne : « Vous y croyez ? ». Et celui-ci a accepté d’investir dans la jeune pousse et pris 10% du futur Dassault Systèmes. Cela a donc bien été un vrai alignement de planète. Mais derrière il a fallu en aligner beaucoup d’autres, notamment autour de l’évangélisation des partenaires pour leur expliquer ce changement de paradigme important.

Quel conseil donner aux dirigeants qui s’intéressent à cette opportunité ?

Philippe Herbert. Un aspect essentiel est de se poser tôt la question de la spin-off, qui permettra de couper le lien avec l’activité historique, de mieux adresser les concurrents en créant une dualité d’un point de vue business. Il faut à tout prix éviter les confusions des genres sur le marché si l’on veut convaincre ses concurrents. Ainsi, à l’époque de la création de Dassault Systèmes, il était évident que Mercedes-Benz ou General Dynamics, n’allait pas acheter des logiciels auprès de Dassault Aviation en tant que tel !

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