Cyril Pierre de Geyer (Rocket School) : « Peu d’écoles forment les « plombiers du numérique », ceux qui font le job ! »

C’est en 2018 que Cyril Pierre de Geyer décide de créer une école pour former gratuitement en alternance les talents de demain aux métiers du commerce et du marketing. L’ancien directeur général d’Epitech a lancé la Rocket School dans le but de répondre à la demande toujours plus grandissante de talents numériques dans le travail d’acquisition de leads. Alliancy s’est entretenu avec cet expert de la formation pour mieux comprendre son projet.

Cyril Pierre de Geyer, CEO de la Rocket School.

Cyril Pierre de Geyer, CEO de la Rocket School.

Alliancy. Comment vous est venue l’idée de lancer la Rocket School ? 

Cyril Pierre de Geyer. J’ai toujours été plus ou moins dans l’éducation, alors même que je n’aimais pas l’école plus jeune. À ce titre, j’ai par exemple occupé la fonction de directeur adjoint de l’école d’informatique Epitech pendant plus de trois ans. J’ai vécu trois vies professionnelles : après l’obtention de mon diplôme d’ingénieur à l’Epita en 2001,  j’ai créé et revendu la boîte de conseil et de formation Econocom. Puis ma deuxième vie a été chez Epitech et HEC, où j’assure actuellement un poste de professeur affilié au département Entrepreneuriat et Innovation.

Enfin, ma troisième vie a commencé dès que je suis rentré en France après un tour du monde. J’ai voulu donner un peu plus de sens à ma carrière et proposer une alternative aux écoles d’excellence – comme Epitech et HEC – qui sont peu inclusives, ne serait-ce que par leur coût d’inscription. Nous sommes dans une situation planétaire complexe et je me suis dit que si je ne contribuais pas à favoriser l’inclusion dans la formation professionnelle, personne ne le ferait.

J’ai donc commencé par identifier les secteurs qui embauchent le moins et il est apparu que le métier de la vente est largement en tension depuis plusieurs années. Plus de 60 % des entreprises commerciales ont du mal à recruter et la plateforme Pôle Emploi regroupe à ce jour plus de 50 000 offres dans ce secteur.

Comment recrutez-vous vos élèves ?

Cyril Pierre de Geyer. En tant qu’entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS), notre mission de formation se construit en trois étapes. Tout d’abord, il faut s’assurer de recruter la bonne personne, avec une forte appétence pour le métier de la vente. Puis, notre bootcamp entre en jeu : un programme intensif pour rendre les élèves opérationnels rapidement. Enfin, une alternance en entreprise d’un an (1 jour par semaine en école) permet d’apprendre à apprendre. 

Tout l’intérêt de notre “Programme Fighter” est de délivrer les compétences commerciales et numériques adéquates pour que l’alternant puisse travailler dès son premier jour dans l’entreprise. À l’issue du bootcamp, 96% des étudiants sont en emploi.

Nous privilégions l’inclusion dès la phase de recrutement des talents qui souhaitent se former, voire se reconvertir. Nous ne demandons pas de diplômes mais des soft skills qui sont importants pour le métier de la vente. Cela passe par des tests de personnalité qui permettent par exemple d’identifier si un candidat a une appétence pour le contact avec les autres.

UNE ALTERNANCE GRATUITE DE PLUS EN PLUS PRISÉE

Présent sur Lyon, Marseille, Nantes, Lille et Bordeaux, Rocket School sélectionne 400 personnes chaque année pour environ 30 000 candidats. L’école en alternance est rendue gratuite pour les élèves grâce à un financement du Pôle emploi et des OPCO (Opérateurs de compétences) qui versent 4000 euros par personne formée. Avec 150 personnes formées en 2019 et 400 en 2020 l’accélération est forte.

Pourquoi se focaliser plus particulièrement sur les compétences numériques du métier de commercial ?

Cyril Pierre de Geyer. Le commerce et le marketing sont touchés par une pénurie de talents, au même titre que le secteur du numérique. Bien sûr, cette carence commence à se résorber avec l’arrivée d’écoles  innovantes comme 42, le Wagon, Simplon ou encore la Wild Code School. Mais les entreprises sont toujours en manque de développeurs, de codeurs et de growth hacker. C’est encore plus marqué dans la vente car les écoles traditionnelles du domaine ont un rythme trop lent par rapport à la rapidité de la transformation numérique. 

Comment vous êtes-vous adapté à la crise ? Est-ce que la formation à distance a vocation à persister après la crise ? Ou envisagez-vous un modèle hybride ?

Cyril Pierre de Geyer. Une nouvelle promotion a débuté quelques jours après le début du 1er confinement. Nous sommes donc passés au pied levé d’une formation présentiel à une version full online. Cela n’a pas été facile mais c’était un projet que nous avions en tête depuis un certain temps. Cela nous a beaucoup appris et notre modèle à maintenant migré vers du blended pour tirer le meilleur parti des deux mondes : de la souplesse avec les cours en ligne et de l’engagement avec le présentiel.

Avez-vous pris des décisions spécifiques pour favoriser l’inclusion et la diversité dans vos promotions ?

Cyril Pierre de Geyer. Oui, tout à fait. J’ai imposé la présence de 50% de femmes chez nous. Il est clair que le métier d’informaticien attire moins les femmes. Mais notre avantage chez Rocket School, c’est que les compétences de growth hacking et de marketing les intéressent plus. Nous arrivons donc à instaurer la parité dans nos promotions, justement grâce à ces compétences. De plus, il y a pas mal de choses qui peuvent être pensées : comme le simple fait de recruter et accueillir des femmes dans nos écoles par des femmes. Cela permet aux nouvelles étudiantes de mieux se projeter dans leur métier.

Pour ce qui est des personnes éloignées du marché de l’emploi, nous faisons le même sourcing que l’Ecole 42 avec Pôle Emploi. Notre but est de montrer aux chômeurs les opportunités qu’offre le numérique pour leur avenir professionnel. Une fois leur candidature chez nous acceptée, ces personnes assistent à une pré-rentrée de 3 mois en plus du bootcamp pour travailler sur la confiance en soi et rappeler les codes de l’entreprise. Certains ont parfois évolué dans un environnement scolaire trop laxiste et doivent se rappeler de l’importance de l’effort.  

Les talents que vous formez ont vocation à travailler pour des grandes entreprises ou plutôt des plus petites ?

Cyril Pierre de Geyer. Nous travaillons beaucoup avec des start-up car les entreprises en retard numériquement peuvent générer de la frustration pour nos élèves embauchés. Notre objectif n’est pas de former des stratèges, du moins pas au début de leur carrière. Nous formons des “cols bleus” qui peuvent être opérationnels très rapidement. Ils ne sont pas là pour aider des entreprises traditionnelles à se transformer. 

Beaucoup d’écoles sont encore beaucoup trop dans l’apprentissage des grands concepts numériques, parfois datés. Mais très peu d’écoles forment les « plombiers du numérique”, ceux qui font le job ! C’est pour ça que comme 42, nous formons des talents opérationnels.

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Les étudiants en numérique seraient plus attirés par les jobs alléchants des géants technologiques américains… Comment faites-vous pour freiner cette fuite des talents ? 

Cyril Pierre de Geyer. Les grandes entreprises du SaaS américaines proposent des packages très séduisants et c’est très dur pour les boîtes françaises de s’aligner. Chez nous, nous avons par exemple un étudiant chez Deliveroo, deux autres chez Google… mais cela reste plutôt dur de leur trouver une alternance. Donc ils ne font généralement pas les fines bouches. À côté, nous avons aussi cette année deux apprenants de notre promotion chez OVHCloud. Il y a des entreprises françaises du numérique qui payent bien, mais il faut s’efforcer de les rendre plus visibles et attrayantes.

Tous ces efforts passent par une logique d’écosystème. Nous travaillons avec plusieurs incubateurs d’écoles comme celui d’HEC à Station F par exemple. Pendant leur bootcamp, nos étudiants y sont hébergés pour travailler sur des projets de prospect avec des étudiants d’HEC, mais aussi d’autres de l’Ecole 42. C’est un projet très intéressant car il symbolise toutes les étapes du développement d’un produit : les étudiants d’HEC réfléchissent à la stratégie, les codeurs de 42 donnent vie au projet et les vendeurs de Rocket School confrontent le produit aux clients. 

D’une part, ce projet donne à nos étudiants la possibilité de valoriser leur CV, en affirmant avoir travaillé pour HEC. Et, d’autre part, cela permet de casser les codes sociaux et les préjugés qui supposeraient que les étudiants d’HEC sont des « requins » et ceux de 42 des codeurs geek introvertis.