Pierre et Vacances – Center Parcs compte sur ses pionniers de l’IA générative pour passer à l’échelle

 

Audrey Brayer, directrice des systèmes d’information et du digital du Groupe Pierre et Vacances – Center Parcs (PVCP), détaille les transformations qu’a connu le spécialiste du tourisme et de l’immobilier depuis 2021. Le Groupe, qui exploite un parc de plus de 49 000 appartements, maisons et villas, sur près de 340 sites en Europe, s’est mis en ordre de marche pour passer ses projets IA à l’échelle.

 

Cet entretien est issu de notre série d’interviews « What’s next, CIO ? » qui revient tout au long de l’année sur les priorités et visions d’avenir des CIO stratèges. 

 

Quelle place tient le numérique dans l’organisation du Groupe Pierre et Vacances – Center Parcs ?

 

Nous avons une organisation « Tech Digital et Data », mutualisée pour l’ensemble des marques du groupe (Pierre & Vacances, Adagio, Maeva, et Center Parcs). La DSI représente environ 180 personnes en interne, avec environ 70 externes supplémentaires, au service de 13 000 utilisateurs. Nous gérons un portefeuille de 200 applications. Quant à nos choix d’infrastructures, ils sont hybrides : nous nous appuyons sur deux clouds, chez Microsoft Azure et Google Cloud Platform, mais aussi sur deux datacenters en propre. Au sein de mon périmètre, je peux compter sur une organisation data très importante qui a pour origine notre activité BtoC en distribution directe et le fait que la connaissance client est au cœur de nos leviers de performance. En parallèle, la cybersécurité s’est également largement renforcée ces dernières années au sein de la DSI et nous continuons à investir massivement sur cet aspect. La DSI présente par ailleurs un profil attractif pour recruter. En trois ans, nous avons doublé les investissements informatiques, c’est un message fort pour ceux qui cherchent des défis. Nous insistons aussi sur la place stratégique du numérique dans l’organisation : je suis membre du comité exécutif et reporte directement au directeur général.

 

Quelle était votre lettre de mission quand vous avez rejoint le groupe en 2021 ?

 

Nous étions à un moment charnière pour le groupe, juste avant la restructuration financière et une nouvelle ambition de croissance importante pour chacune de nos « business lines ». Notre objectif était une amélioration très forte de la rentabilité. La feuille de route IT s’est donc inscrite dans cette lignée avec un focus sur la montée en gamme de l’expérience client. Cela a impliqué une amélioration de la connaissance client pour optimiser la distribution de l’offre et personnaliser les interactions. Nous nous sommes par ailleurs dotés d’une capacité structurelle à aller plus vite sur les évolutions à mettre en place sur la distribution, le CRM, l’accueil client sur les sites… C’est-à-dire à pouvoir déployer plus vite de l’innovation. Pour y parvenir, nous avons lancé la transformation cloud dès mon arrivée. Cela a été une modernisation très importante pour agir sur le time to market de l’innovation.

 

Quels sont vos grands projets structurants dorénavant ?

 

Depuis 18 mois, c’est le virage de l’IA générative qui est venu s’ajouter à cet effort de fond. Tous les DSI vous le diront : nous sommes dans un contexte extrêmement transformant et nous avons un rôle très important à jouer pour espérer voir réellement des déploiements à l’échelle. Jamais une technologie digitale n’a été aussi accessible et puissante, avec un potentiel d’adoption rapide sans précédent. Mais pour y parvenir, il faut que toute la partie immergée de l’iceberg de la DSI ait fait sa mue.

L’évolution du socle technologique est donc un point majeur. Au-delà de la migration cloud, nous devons transformer les applications pour qu’elles soient vraiment cloud native, en lien avec un socle organisationnel DevSecOps. Nous avons par exemple comme projet la migration du système de réservation de Center Parcs sur le cloud et sa transformation pour le rendre cloud-ready. Nous investissons en parallèle beaucoup sur notre CRM BtoB, car c’est un segment à gros potentiel. Enfin, nous continuons le déploiement d’un outil de « property management system » et de «Leisuremanagement system », pour mieux gérer les check-in et check-out des clients, mais aussi l’organisation de la maintenance, du ménage, la gestion des propriétés… Autrement dit, tout ce qui permet au client d’avoir une expérience sans couture, de façon transparente.

 

Et sur la partie émergée de l’iceberg, visible directement des clients ?

 

L’évolution des sites web et des applications mobiles pour avoir des parcours uniques et personnalisés est bien au programme en 2025. Mais comme je le mentionnais, le sujet le plus structurant va être celui de l’IA générative, pour améliorer les interactions, la connaissance client, les offres que l’on propose, et la productivité.

Notre première conviction est que l’on peut tirer profit de ces technologies si et seulement si on embarque l’ensemble des collaborateurs. La priorité est donc de former et convaincre. Comment les équipes peuvent utiliser ces outils au quotidien, alors qu’il y a encore beaucoup d’incertitudes et d’évolutions rapides ? Discuter avec ChatGPT, ce n’est pas faire une requête Google Search. Ce changement de paradigme dans l’interaction humain-machine, il faut le faire vivre aux équipes, car c’est à partir de là qu’on peut ensuite essayer d’inventer les usages de demain et anticiper l’impact sur les clients, sur l’activité du groupe…

 

Qu’avez-vous mis en place pour réussir cet accompagnement ?

 

Nous avons lancé notre « Gen AI Pioneer Club » en novembre, qui regroupe 150 personnes dans le groupe, sur la base du volontariat : toute business line, tout pays, tout niveau hiérarchique. Après une formation initiale, nous les voyons dorénavant toutes les semaines pour avoir des sessions de Dojo, afin de partager attentes, expertises, problématiques… Cette communauté va pouvoir diffuser ce savoir-faire naissant dans le groupe. Nous venons par ailleurs d’ouvrir un GPT interne en nous nourrissant de cette expérience du Pioneer Club. Nous avons pu nous concentrer sur les cas d’usages demandés. C’est donc beaucoup plus adapté que de juste déployer du ChatGPT standard pour tout le monde.

Nous avons aussi fait de la formation et de l’acculturation au niveau des comités de direction : il fallait que les équipes de direction soient demandeuses de ces usages au sein de leurs équipes. J’ai également porté la conviction au niveau du comité exécutif qu’il fallait que l’on arrive à gérer un équilibre en approche top down et bottom-up pour identifier les bons cas d’usage. Indépendamment de tous avoir un « assistant personnel » avec l’IA, je pense que la question centrale est la transformation des processus de l’entreprise. Quels sont les morceaux de processus vraiment éligibles à l’automatisation par l’IA générative ?

 

Quels sont les gains attendus en termes de productivité grâce à l’IA ?

 

Nous ne nous sommes pas donnés d’objectif chiffrés de productivité pour le moment. Au sein de la DSI, nous avons mené une expérimentation réussie sur l’usage de GitHub Copilot depuis plusieurs mois, complètement déployé chez les équipes de développeurs. Nous mesurons un gain net de 5 à 10 % sur le temps de production de code. Mais de manière plus générale, je pense que l’on manque tous cruellement de recul sur ces sujets : il est hors de question de tomber dans une sur-promesse, avec tous les chiffres que l’on a pu lire ces dernières années. En revanche, chaque cas d’usage identifié est associé à une création de valeur définie, et le delivery est priorisé en fonction de ce potentiel. Pour le moment, nous avons tendance à privilégier la valeur créée pour le client, en lien avec la stratégie de nos business lines.

 

Que parvenez-vous à mettre en production à l’échelle ?

 

Nous avons créé un « Gen AI Studio », c’est-à-dire une factory à cas d’usages, qui doit s’occuper du delivery. Cette équipe a une trentaine de cas d’usages dans le backlog, cinq sont déjà sortis et une dizaine qui vont arriver d’ici un mois. Nous avons par exemple mis en place un assistant pour les agents de call centers, afin de mieux répondre aux réclamations à partir de la plateforme où elles sont déposées à la suite des séjours. Nous avions testé l’IA pour aider aux réponses « en live » il y a quelques mois, mais le résultat n’avait pas été concluant. Il faudra bientôt réessayer maintenant que les modèles ont évolué. Autre exemple : chez Center Parcs, chaque site a son propre WhatsApp pour que les clients puissent poser des questions directement. Une IA générative nous permet dorénavant d’améliorer les capacités de réponse et le taux de satisfaction est supérieur à 90 % !

 

Le contexte de tensions actuelles à l’international a remis la question des dépendances technologiques au centre du jeu. À quel point votre DSI y est-elle confrontée ?

 

C’est un équilibre très complexe. Notre force est d’être plutôt bien équilibré entre des solutions du marché et le « fait maison ». Nous voulons maintenir cet équilibre. Ma conviction, c’est qu’on ne pourra jamais être meilleur que certains « grands » du marché, avec qui cela ne sert à rien de vouloir rivaliser en termes d’innovation…. Mais sur d’autres domaines, comme notre système de réservation ou nos property management system et leisure management system, nous devons avoir une maîtrise qui soit différenciante. Ce que j’anticipe, c’est que les acteurs du cloud seront encore plus forts demain, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas une réaction européenne et des champions européens. Nous avons encore la possibilité de nous réapproprier beaucoup de développement, notamment grâce aux capacités fournies par l’IA.

Le sujet majeur reste l’anticipation des disruptions à venir. C’est ce qu’on attend de plus en plus du DSI. Dans les métiers du Groupe, je pense que l’IA ne va pas changer fondamentalement le cœur d’activité, la forme des vacances. Toutefois, l’impact va se voir sur la façon dont nos clients vont choisir et réserver leurs vacances… Jusqu’à présent, notre métier sur la partie distribution de nos offres, est celui d’un e-commerçant : amener du trafic qualifié et maximiser la conversion et le panier moyen. Toute notre mécanique est huilée pour atteindre ces objectifs et nous sommes parmi les plus hauts taux de distribution directe de la profession, avec plus de 75 % sur Center Parcs. Mais demain, si la réservation passe par un assistant vocal sur téléphone, cela n’aura plus rien à voir avec une requête Google du type « Week-end en forêt avec les enfants » et toute la mécanique SEO qui va avec. Bien entendu, le DSI ne peut pas gérer cette évolution en solo, mais il peut mettre en avant l’urgence que cela représente et en traduire les implications pour le SI.

 

Quel message estimez-vous important de faire passer actuellement à vos prestataires du numérique ?

 

J’identifie un phénomène important qu’il va falloir gérer : la multiplication des start-up sur les sujets IA générative. C’est super de pouvoir s’appuyer sur un écosystème riche au moment des processus d’innovation. La question que l’on doit se poser cependant, c’est la façon dont on peut sécuriser le patrimoine software et une proposition de valeur « unique », qui ne soit pas absorbable par l’entreprise cliente en trois jours de travail de développeurs. Cela doit pousser les acteurs à identifier les modèles les plus originaux.

En parallèle, ce sujet du partage de la valeur va également être un point important en 2025 pour nos partenaires traditionnels, les entreprises de services numériques. Nous voyons bien qu’elles sont très fortement disruptées par l’IA. Elles veulent chercher des gains de productivité bien supérieurs à 10 % et donc se transformer en profondeur. Nous sommes donc très attentifs à leur comportement. Ceux-ci peuvent être très différents selon que les contrats soient sécurisés ou non. Je pense qu’il va falloir faire preuve d’une plus grande vigilance encore lorsque des contrats vont arriver à échéance dans les mois à venir.