Pour sa chronique dédiée à la transformation des entreprises de services du numérique (ESN), Sylvain Fievet met en lumière un dirigeant qui allie ambition stratégique, fidélité aux valeurs d’entreprise et pragmatisme opérationnel. À la tête de Niji depuis 2001, Hugues Meili trace un chemin singulier pour cette ETI indépendante, entre croissance organique assumée, exigence de cohérence et transformation continue. Dans un contexte de consolidation du marché, de ruptures technologiques et de tensions sur les modèles, il garde le cap, sans jamais dévier de la ligne qu’il s’est fixée.
Je connais Hugues Meili de longue date. Son style clivant, ses prises de position assumées, sa manière d’imposer le tempo autant que la méthode m’ont parfois dérouté, souvent interpellé. Mais son sens de la fidélité, sa capacité à agir avec constance, parfois dans des registres inattendus, sont des marqueurs rares dans notre secteur. Il y a chez lui une forme d’engagement silencieux, qui se manifeste concrètement quand il peut agir – sans forcément chercher à le faire savoir. Cette facette, moins visible, mérite aussi d’être explorée.
Une trajectoire sans déroutement
Depuis plus de deux décennies, Hugues Meili a bâti Niji comme une entreprise libre. Libre dans ses choix stratégiques, ses investissements, sa croissance. Aucun recours à la levée de fonds, aucune croissance externe pendant 20 ans, et une volonté de rester maître à bord. « Grandir sans grossir », résume-t-il, refusant les compromis d’une croissance trop rapide ou d’une dilution des fondamentaux. Dans un secteur où l’on célèbre souvent l’hypercroissance ou les multiples d’EBITDA, cette ligne claire fait figure d’exception. Et pourtant, Niji a franchi la barre des 1 400 collaborateurs et atteint environ 160 M€ de chiffre d’affaires en 2024, avec une croissance de 2 % – un résultat modeste en apparence, mais significatif dans un contexte tendu et en pleine transformation profonde et assumée. Sans bruit, mais avec constance, l’entreprise affirme son indépendance et sa maîtrise du cap.
Garder l’équilibre, même dans la tempête
Dans un marché 2025 bousculé par les effets combinés de la géopolitique, des arbitrages clients et des nouveaux paradigmes technologiques, Hugues Meili réaffirme sa manière de piloter. Pour lui, l’agilité d’une ETI est précieuse à condition d’être entretenue. Cela suppose d’assumer des choix de focalisation, d’investir sur la durée, de faire vivre un cap même quand le vent mollit. Il compare volontiers son pilotage à celui d’un skipper attentif aux courants, capable d’adapter les voiles sans perdre la ligne d’horizon. Une navigation exigeante, faite de lucidité, d’anticipation et de modestie dans l’action. Sa vision se traduit aussi dans la structuration interne : le binôme président – DG instauré depuis plusieurs années incarne cette volonté de dissocier stratégie et exécution, sans jamais renoncer à la cohérence. « Diriger n’est pas une affaire de pouvoir, mais de responsabilité », affirme-t-il.
Trois piliers pour un modèle différenciant
Niji repose depuis ses débuts sur un triptyque métier : conseil, design, technologie. Trois expertises rarement réunies sous un même toit, et qui forment une proposition de valeur cohérente, fondée sur la transversalité et l’agilité. Là où d’autres juxtaposent les compétences, Hugues Meili a fait le choix de les hybrider, de les faire grandir ensemble, comme les membres d’une même famille. Il évoque cette analogie : trois enfants aux parcours différents – l’un en école de commerce, l’autre en école d’ingénieurs, le troisième en filière artistique – mais éduqués sous le même toit, avec des valeurs partagées et un attachement commun. Une image puissante, qui souligne les tensions naturelles mais aussi les synergies fertiles de ce modèle. Cette approche donne à Niji une capacité rare à accompagner la transformation de bout en bout, de la stratégie à l’expérience utilisateur, jusqu’à la réalisation technologique.
Une entreprise qui se transforme elle-même
« Il faut montrer l’exemple » : Hugues Meili insiste sur la nécessité de se transformer soi-même pour rester légitime face à ses clients. L’IA est emblématique de cette posture : loin des discours incantatoires, Niji l’a déployée en interne dans tous ses métiers, avec des résultats tangibles, mais aussi un coût assumé. Soixante projets internes de transformation sont suivis en comité de pilotage, preuve d’un engagement structurant. Cette démarche de transformation réelle conforte sa position de partenaire exigeant et crédible dans un écosystème souvent dominé par des logiques de surface. Et c’est justement cette capacité à s’appliquer à soi-même ce que l’on conseille aux autres qui fonde, selon lui, l’autorité de Niji.
L’innovation par intrapreneuriat : la méthode speedboat
Pour maintenir l’élan tout en gardant le cap, Niji a mis en place une stratégie de diversification progressive via des entités internes agiles, appelées « speedboats ». Ces structures autonomes permettent de faire émerger de nouvelles offres (cybersécurité, IA, data, cloud), d’explorer des partenariats technologiques ou des territoires à fort potentiel, sans perturber l’équilibre du socle historique. Visionnaire, Hugues Meili a su créer en 2011 une filiale indépendante, Kurmi Software, devenue un éditeur reconnu dans la gestion des communications unifiées, avec plus de 14 M€ de revenus récurrents. Un métier à part entière, né au sein de Niji mais aujourd’hui positionné sur une autre dynamique. Parallèlement, Niji a su développer un partenariat historique avec Salesforce, dont il est aujourd’hui l’un des rares intégrateurs français à avoir conservé son indépendance. Ces deux trajectoires – l’une industrielle, l’autre partenariale – illustrent comment Niji sait articuler exploration et solidité, innovation et cohérence, sans jamais renier son socle fondateur.
Le rôle politique assumé d’une ESN
Pour Hugues Meili, une ESN a un rôle sociétal majeur, trop souvent sous-estimé. Employeur de jeunes diplômés, acteur de la reconversion, catalyseur de compétences sur les territoires, elle participe à la cohésion sociale et à la montée en expertise de l’économie. Mais ce rôle est mis à l’épreuve. Les attentes clients envers les ESN évoluent vers plus de séniorité, au détriment de la formation. Les engagements RSE, trop souvent vus comme accessoires, deviennent pourtant une condition de pertinence pour les générations montantes. Chez Niji, une politique pragmatique d’engagement responsable s’est imposée avec cohérence.
Lucidité comme ligne de conduite
Face aux discours incantatoires sur la souveraineté ou l’IA magique, Hugues Meili assume par ailleurs une posture rare dans le secteur : la lucidité. Il plaide pour une transformation exigeante, fondée sur les faits, les usages, la maîtrise progressive des technologies. Il questionne aussi les modèles de financement dominants qui conduisent, selon lui, à des impasses culturelles et stratégiques. Le numérique est un monde d’opportunités, mais aussi d’illusions. C’est en cela que son approche peut bousculer. Il ne s’agit pas seulement de tracer un cap : il s’agit de résister à l’idéologie, de choisir ce que l’on maîtrise, de dire ce que l’on refuse.
Ce pilotage m’inspire une forme de tension féconde entre la rigueur du cap et la souplesse de l’adaptation. Il y a, chez Hugues Meili, cette capacité à faire cohabiter engagement personnel et exigence stratégique, à incarner une ligne d’action sans en faire une posture idéologique. En tant qu’observateur du secteur, je retrouve dans son positionnement une manière d’échapper aux conformismes, tout en affrontant les contradictions de notre époque avec cette lucidité que je sais partagée par nombre de dirigeants que je rencontre.
« Attends-toi à être à la fois sprinteur et marathonien »
À ceux qui doutent, Hugues Meili répond par un rappel de mission. « Le numérique est au cœur de toutes les transformations et de toutes les transitions du monde. Les ESN sont des lieux où se façonnent les compétences, les parcours, les innovations. Rien de mieux que d’être au cœur de ce mouvement. » Et s’il devait s’adresser au jeune entrepreneur qu’il était en 2001, ce serait pour lui faire passer deux messages : la matière humaine est merveilleuse et épuisante à la fois. Et il faut apprendre à conjuguer l’intensité du sprint avec la constance du long cours. Hugues Meili le dit lui-même : ce qui le porte, c’est bien cette « matière humaine ». Il considère comme une chance de pouvoir interagir, transmettre, débattre avec les femmes et les hommes de son entreprise – là où d’autres, dans l’industrie, n’ont affaire qu’à des machines. Cette relation à l’humain, au cœur même de son engagement, donne une profondeur singulière à son rôle de dirigeant dans un secteur parfois trop désincarné. Une leçon de marin, encore — mais surtout, une invitation à tenir bon quand tout incite à la dérive.