Notre chroniqueur Alain Staron passe les annonces du Plan France 2030 d’Emmanuel Macron au crible de son regard acéré sur les stratégies d’innovation. Alors, vrai moteur ou occasion manquée ?
Que retenir du Plan France 2030 si on se positionne sur l’axe de l’innovation ? Force est de constater, quand on commence à dérouler le plan par le volet du nucléaire, qu’il est plus axé sur la défensive que sur l’offensive.
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Défensive avouée, certes : la France ne doit pas être en retard sur l’une de ses industries d’excellence, n’en déplaise à ceux des écologistes qui sont plus populistes que sérieux. Populistes en effet sont ceux qui surfent sur les peurs irrationnelles, quand tout calcul de risque montre une bien plus grande mortalité de la filière charbon, sans bien sûr comparer les bilans carbone, très largement en faveur du nucléaire.
Quant au stockage, l’ensemble des déchets hautement radioactifs issus de la filière nucléaire française depuis sa mise en service occuperait la surface inscrite entre les 4 pieds de la Tour Eiffel sur une hauteur de… 66 cm. La solution de conservation de ces matériaux à très longue durée de vie (10 000 ans pour tomber sous le niveau de radioactivité de l’uranium naturel) est le stockage à grande profondeur dans des couches géologiques stables depuis plusieurs centaines de millions d’année. En France, c’est le site de Cigeo à Bure qui semble le plus adapté, tandis que la Finlande a commencé à construire son site de stockage, la Suède a également choisi son site, et les États-Unis utilisent leur Waste Isolation Pilot Plant depuis 1999.
Limiter son retard… ou aller chercher des champs plus vastes d’innovation ?
Mais une fois redits ces fondamentaux du nucléaire, quelle innovation chercher dans ce secteur ? Elle nous est montrée par les Russes, qui ont mis en service leur première centrale nucléaire flottante en 2019: «petit » format (144 mètres x 30 mètres), déplaçable, elle est destinée à l’alimentation en électricité des villes moyennes isolées. Les Chinois vient d’annoncer la construction de leur première centrale nucléaire flottante . Les Français visent quant à eux l’aboutissement de leur projet Nuward en … 2030.
Sur ce sujet donc, nous cherchons plutôt à limiter notre retard. Pourtant la production d’énergie offre des champs bien plus vastes d’innovation, en particulier les panneaux solaires. La semaine dernière, le salon Intersolar 2021 de Munich témoignait du dynamisme du secteur, avec un bond du record de rendement de 19.51% en 2019 (détenu par le chinois Bluesun solar) à 22.9% en 2021 (toujours détenu par un chinois, Trina Solar), soit une baisse de 15% du coût de l’énergie produite en 2 ans.
Les labos de recherche les plus en pointe envisagent que le rendement pourrait atteindre 37%, grâce à plusieurs innovations de rupture comme l’usage du perovskite, voire 60% avec les multijonctions, tandis que le développement de panneaux transparents, flottants ou de grande surface ouvrent d’autres possibilités d’usage. Inutile de préciser que ces innovations seraient de nature à changer le paradigme de l’énergie en privilégiant la production locale sur le transport, mettant à mal les rentes de situation d’EDF et de RTE. Est-ce ce risque qui a freiné nos gouvernants ? Toujours est-il qu’ils ne voient pas la France jouer un rôle majeur sur ce sujet dans les 10 prochaines années. Alors qu’au rythme actuel, les rendements futurs rêvés des panneaux solaires seront bien une réalité en 2030.
Sujet connexe, l’hydrogène, dont l’usage pourrait être augmenté dans l’industrie avec à la clé une moindre pollution, si l’on arrive à le produire moins cher, typiquement par électrolyse à partir d’électricité. Dans le secteur des transports, il convient de comparer son rendement de conversion double (électricité vers hydrogène puis à nouveau vers électricité) au coût d’une batterie rechargée. On dira que le temps de faire le plein à l’hydrogène est bien inférieur au temps de recharge d’une batterie, mais c’est compter sans les routes à induction qui permettent de recharger la batterie de sa voiture sans même s’arrêter de rouler, testées en ce moment même par Euravia, filiale de Vinci, à Karlsruhe !
Quelle rupture pour la voiture ?
Sur le sujet de la voiture, justement, le plan France 2030 parait singulièrement désuet : produire 2 millions de véhicules en France à cet horizon est-il un objectif pertinent ? Passons sur la composante hybride (Tesla, leader de l’électrique devenu en 11 ans plus gros que Porsche en 119 ans, n’a aucune voiture hybride à son catalogue), c’est la motorisation même dont il convient de se demander si elle sera l’enjeu de la prochaine décennie.
En effet, de quoi parle-t-on lorsque l’on cherche à imaginer le futur de l’automobile ? De voiture autonome d’abord : Columbia University avait à ce propos publié une étude dès 2012, montrant que pour une ville comme Ann Arbor, Michigan, un système de voitures autonomes partagées permettait de proposer le même service aux 120 000 clients qui utilisent leur voiture personnelle pour faire moins de 70 miles/jour avec seulement 18 000 voitures : la voiture autonome va réduire le parc automobile de 80%, c’est entendu. Faut-il alors continuer à viser de gros volumes de productions de voitures « manuelles » ou investir massivement dans les systèmes de conduite autonome ?
L’Allemagne, qui vient de se doter d’une loi sur la circulation de véhicules entièrement automatisés dans l’espace public semble vouloir répondre différemment… Quant à pointer du doigt nos champions automobiles nationaux pour mauvaise coopération sur les stratégies de rupture, il faudrait quand même admettre que les innovateurs de rupture ne sont que très rarement issus des rangs des acteurs historiques. Surtout si l’innovation de rupture en question doit réduire leur marché. Mais pas sûr que faire l’autruche suffise à maintenir un marché haut.
Et si la voiture autonome semble un challenge trop peu innovant pour nos stratèges, que penser de la voiture volante ? Le projet français Urban Air (RATP, AIRBUS, Région Ile de France) prévoit de faire voler une voiture volante allemande (Volocopter) aux JO de 2024… mais en occupant l’un des deux sièges avec un pilote tandis que le même Volocopter, comme le chinois Ehang, font voler des drones autonomes sans pilotes dans d’autres parties du monde, doublant donc la capacité passager.
Même dans l’Espace, partir tard signifie échouer
Même constat sur le sujet spatial : se donner comme objectif de mettre en orbite des flottes de minisatellites avec des lanceurs réutilisables d’ici 2026, quand Starlink (filiale de l’américain SpaceX) finit ce mois-ci sa beta publique d’un an pour devenir opérationnel avec 100 000 clients dans 14 pays (dont la France) avec déjà près de 2000 satellites en orbite (et un plan pour 42 000 autres), tandis que one web (codétenue par un milliardaire indien, la société française Eutelsat, le gouvernement britannique et softbank) en a lancé 322 sur 648 prévus, et que le projet Kuiper d’Amazon est dans les starting blocks ne consiste pas précisément à mener la course en tête. Ce qui peut être problématique car il n’y aura certainement pas assez de place en orbite pour tous les projets de constellations de minisatellites dans les cartons. Partir tard peut signifier échouer avant même de finir le premier pas significatif…
Espérons que les sujets moins détaillés comme la robotique d’agriculture permettront d’innover plus franchement. A ce titre, les ouvertures faites dans le domaine de la santé pour faciliter la mise sur le marché vont dans le bon sens.
Mais au-delà des choix d’investissements, c’est la méthode qu’il conviendrait probablement de faire évoluer. Peu importe finalement la filière, ce qui compte est le résultat. En ce sens, le gouvernement français ferait bien de s’inspirer d’autres exemples, américain et chinois en tête, où la dépense publique ne s’adresse pas à une filière, mais à un projet : aux Etats-Unis, le challenge Darpa par exemple consistait à promouvoir les technologies de conduite autonome, et les gagnants n’étaient en général pas issus de la filière automobile.
Pensons produit, expérience utilisateur et non technologie ou filière. C’est bien sûr aussi vrai pour les plans stratégiques de nos entreprises : prévoir un budget, même symbolique, pour révolutionner sa proposition de valeur par des innovations de rupture est probablement plus pertinent à long terme qu’enchaîner les innovations incrémentales.