« We are on a mission ! » C’est par ces mots que commence la description des projets inscrits sur Open Collective, la plateforme de crowdfunding, lancée en mars dernier par Xavier Damman*, fondateur de Storify. Cet été, ce jeune belge de 32 ans était invité à une table-ronde à Berlin par le MIT Technology Review et Enterprise DB, la principale ESN dédiée à la base de données Open Source Postgres. L’occasion d’une rencontre pour évoquer le rôle de l’open source dans la transformation digitale des entreprises et son nouveau projet.
« Les briques Open Source vont se multiplier dans tous les domaines. Pour les entreprises, cela va créer des opportunités d’innovation multiples. (…) C’est aussi ce qui explique le succès des start-up. Elles partent de zéro et peuvent choisir les dernières solutions adaptées à leurs besoins. » Le plus souvent, elles choisissent l’Open Source, constate Xavier Damman. « Si vous êtes une start-up et que vous n’utilisez pas de l’Open Source, c’est que vous n’avez rien compris ! » lance-t-il amusé. Cela correspond aussi à une nouvelle façon de travailler qui permet d’attirer les meilleurs talents. « L’avantage de l’Open Source c’est la transparence. On sait qui a travaillé sur quoi ! Un développeur peut facilement prouver ses compétences. A chaque fois qu’il invente une nouvelle ligne de code, c’est comme s’il ajoutait une ligne à son CV. »
Selon lui, les développeurs se montrent plus vigilants sur la qualité de leur travail que lorsqu’ils travaillent en tant que salariés. Mais l’Open Source, c’est aussi une certaine vision de la société : « Ce qui a déjà été inventé ne doit pas être réinventé. Si chacun réécrit son code dans son coin, en tant que société, nous gaspillons nos ressources. Chaque ligne de code créée va réclamer des coûts de maintenance pendant des années. »
Les autres intervenants semblent d’accord pour dire qu’au-delà de l’argument du coût, c’est la flexibilité qui explique aujourd’hui le succès des systèmes de gestion de base de données Open Source. Kathleen Kennedy, présidente du MIT Technology Review, qui anime la discussion, rappelle un chiffre : 75 % des S&P 500 vont changer d’ici 2028 (source : MIT Technology Review, september 2013).
Marc Linster, Senior Vice-Président Produits et Services chez Enterprise DB, complète: « Cela aura beaucoup à voir avec la façon dont les entreprises auront réussi à s’adapter à l’explosion de leurs données. Dans un monde où un retard de quelques semaines peut être fatal, la flexibilité et l’ouverture à l’innovation qu’offre l’Open Source devient un avantage considérable. ». Bram Vijfhuizen, Product Manager chez Infor, rappelle que, du point de vue des grandes entreprises qu’il accompagne, le passage à l’Open Source reste un défi. « C’est un changement de planète. Les processus, l’organisation, etc. Beaucoup de ce qui fait la routine d’une entreprise doit être changé. Il faut être plus créatif, plus ouvert. » Il confirme néanmoins un avantage : « Le plus important, c’est de ne pas s’enfermer dans un système propriétaire », conclut-t-il.
Seule étape européenne d’un cycle de cinq tables-rondes, cette discussion se termine en évoquant les différences culturelles entre l’Europe et l’Amérique face à ces défis. Enterprise DB espère surtout que ces Vision Talks permettront de rapprocher la communauté Postgres de ses clients. « Nous pensons que c’est notre rôle de créer un événement pour que cette communauté reste à l’écoute des besoins des grandes entreprises », confie Marc Linster. Ce cycle se terminera d’ailleurs par deux jours de Congrès à San Francisco en présence de Steeve Wozniak, co-fondateur d’Apple (« Postgres Vision 2016 » les 11 et 13 octobre).
Open Collective : 85 projets, 61 000 dollars récoltés
Car l’un des plus gros défis de l’Open Source est de faire en sorte que chacun contribue équitablement à la communauté. C’est là que le projet de Xavier Damman pourrait intervenir. « A l’époque de Storify, nous utilisions Node.JS. Je me suis rendu compte que les problèmes que nous rencontrions étaient partagés par d’autres utilisateurs. Pourquoi ne pas s’organiser en pool pour mettre en production certains développements ou corriger certains bugs ? »
L’idée est revenue à Xavier Damman quand, de retour en Belgique, il lance un manifeste collectif pour les start-up : « Comment payer l’imprimeur pour les stickers ? Impossible, sans avoir une personne juridique et ouvrir un compte en banque. Il a fallu qu’un partenaire paye à notre place ! », raconte-t-il.
Xavier Damman s’est donc donné une mission : offrir à chacun la possibilité de récolter de l’argent pour financer un projet collectif. Plus besoin de créer une entreprise ou une association, grâce à Open Collective, vous pouvez désormais récolter des fonds sans avoir d’entité légale. La plateforme devient votre « fiscal sponsor » et gère pour vous la fiscalité, contre une commission de 10 %, plus les frais de carte bancaire (NDLR : commission réduite à 5% sans la gestion de la fiscalité).
L’idée semble séduire tant du côté des porteurs de projets que des sponsors : 85 projets inscrits et 61 000 dollars récoltés depuis le lancement en mars. Et le rythme s’accélère, indique Xavier Damman : il était de 14 000 $ de dons en juin. Après avoir levé un demi-million de dollars auprès de plusieurs investisseurs notamment le fonds General Catalyst (Airbnb, Snapchat, etc.) et des particuliers comme le fondateur de Drupal, Dries Buytaert, la start-up n’envisage pas à moyen terme de nouvelle levée de fonds. « On veut clairement limiter notre dépendance vis à vis des fonds de capital-risque et garder le contrôle », justifie Xavier Damman.
Améliorer la qualité et la diversité de l’offre Open Source
Les projets Open Source représentent de fait une bonne moitié des « collectifs » créés sur Open Collective. Une dizaine d’entre eux ont déjà plus de 1 000 dollars de budget annuel, grâce aux dons de leurs « backers ». Le projet le plus populaire a séduit vingt-trois « backers » pour 7 000 dollars de budget annuel. Sa mission : rendre le testing sur Mocha JS plus « simple et fun ». Le second n’a que six backers, mais pour un total de 12 000 dollars de budget annuel. Sa mission : faciliter le développement en ReastJS d’applications mobile offline. Ce projet a été largement financé par un site qui propose des formations à ReactJS. Avec le statut de sponsor « Gold », ce dernier accède à une visibilité plus grande sur la plateforme. Par ailleurs, son logo sera également mis en avant dans le fichier « Readme » lors du téléchargement sur Github.
« Notre projet est de donner les moyens à la communauté Open Source d’aller encore plus loin. Pour le moment, ce sont encore en majorité des gens qui prennent sur leur temps de repos ou de loisir. Ce que l’on veut c’est donner une capacité à ces projets de se structurer, de se financer, pour accélérer et améliorer la qualité et la diversité de l’offre Open Source », explique Xavier Damman.
La plateforme est ouverte à tous types de collectifs : groupes de passionnés, amis, voisins, etc. Elle semble particulièrement adaptée aux meet-up. Leurs organisateurs trouvent ici une façon simple de récolter les abonnements payants de leurs membres. Car l’originalité d’Open Collective, c’est que les dons sont faits de façon récurrente, chaque mois ou chaque année. Cela permet aux projets de s’inscrire dans la durée et de planifier leur travail. La transparence fait aussi partie des priorités d’Open Collective. Les « collectifs » sont tenus d’afficher sur leur profil comment ils utilisent l’argent. Concrètement, les membres des collectifs avancent les frais avant d’être remboursés par la plateforme (ndlr : en version bêta, les remboursements se font pour l’instant via PayPal).
Le plus gros meetup inscrit sur Open Collective revendique plus de 12 000 $ de budget annuel. Il s’agit de « Consciousness Hacking » qui organise chaque mois à San Francisco un événement pour explorer comment la technologie améliore notre vie émotionnelle. Une grosse centaine de membres de ce meetup a déjà rejoint la plateforme. Si la totalité des 3 000 membres faisait un don mensuel, on peut estimer que Consciousness Hacking serait assis sur un budget annuel d’environ 300 000 dollars. Largement de quoi payer des boissons et pizzas gratuites à la fin des réunions. Mais on peut imaginer plus ambitieux : un meetup très populaire pourrait financer ses propres publications ! Un monde dans lequel les meetup concurrencent les maisons d’édition et les développeurs indépendants supplantent les éditeurs de logiciel ? C’est ça aussi un monde ouvert !
* Après avoir fondé Storify (revendu en 2013), Xavier Damman, belge de 32 ans, récemment désigné « Innovateur de l’année de moins de 35 ans » pour la Belgique par le MIT Technology Review, vient de quitter la Silicon Valley pour s’installer proche des Fintechs newyorkaises.