L’arrivée du printemps n’est pas seulement un moment nourricier pour nos écosystèmes naturels : il l’est aussi pour les professionnels du numérique. Avec une question persistante : comment construire un futur désirable avec le numérique, dans un contexte de défiance grandissante ?
Sur le devant de la scène, l’intelligence artificielle cristallise certaines crispations. « Pour le moment, nous sommes atones collectivement et nous gardons encore trop nos modèles de pensée, nos peurs, nos fixations », remarquait ainsi le 18 mars Ana Semedo, animatrice du cycle de conférences de prospective organisé par le think tank G9+. Durant cette soirée, la chercheuse Laurence Devillers, professeure à la Sorbonne et spécialiste des interactions et de la co-évolution homme-machine, a notamment cherché à démystifier l’IA générative. Elle a alerté sur le fait que, malgré la démocratisation en cours, le manche du « marteau IA » n’était pas vraiment tenu par les utilisateurs eux-mêmes, soulignant l’influence décisive des éditeurs de ces outils. Elle a également mis en exergue le manque global d’éducation de nos sociétés sur ces questions et la tentation à l’anthropomorphisme technologique, ainsi que les raccourcis dommageables que ce manque entraînait inévitablement. En réponse, des organisations comme la SNCF ou BPCE ont expliqué comment elles cherchaient à embarquer leurs collaborateurs, et clients, en donnant du sens à ces innovations et en jonglant entre des notions de progrès, technologique, social, environnemental… pas forcément alignées.
Surtout, ces initiatives « individuelles » se heurtent au caractère nécessairement transversal et collectif de la réflexion sur le progrès. Un défi que les organisations professionnelles du secteur espèrent cependant relever avec de nouveaux modes d’échanges ambitieux, comme les Rencontres Numériques de Strasbourg organisées par le Cigref.
Du 20 au 22 mars, l’association des grandes entreprises et administrations publiques a ainsi pris le parti d’animer un événement de place fédérateur. Sur le thème incisif « Numérique, c’est quoi le progrès ? », et organisée en partenariat avec PAC et Alliancy, cette rencontre a également bénéficié du soutien de Numeum, le principal syndicat professionnel des acteurs du numérique. Avec un objectif clair : faire dialoguer les représentants du marché de l’offre et les utilisateurs, notamment les directeurs du numérique des grandes organisations, dans une enceinte permettant prise de hauteur et neutralité. Le Parlement européen, qui accueille cette première édition réunissant plus de 150 dirigeants, s’est imposé comme le symbole de cette initiative de co-construction, pour approfondir la compréhension globale des enjeux du numérique de demain, mais aussi et surtout « esquisser un numérique de progrès au service de la société autant que de l’économie », comme l’a rappelé en ouverture Jean-Claude Laroche, président du Cigref.
Sur des sujets aussi divers que le futur du travail, la soutenabilité environnementale du numérique, les enjeux géopolitiques et de souveraineté, la capacité à dépasser les visions simplistes de l’innovation ou encore, bien évidemment, l’intelligence artificielle, une série d’ateliers a ainsi permis de faire émerger les points de consensus et de dissensus de la communauté. Les organisations réunies caressent de cette façon l’espoir de passer un appel à l’action à tout l’écosystème. Une démarche volontairement non-partisane mais par nature politique, au vu de la criticité des sujets. Pour se faire entendre des autres acteurs du marché, des institutions européennes et plus généralement du personnel politique en France comme à l’étranger, les dirigeants réunis à Strasbourg ont bien compris qu’il valait mieux joindre leurs voix et crier fort tous ensemble.