Pour l’UGAP, l’informatique publique accélère vers la « servicisation » 

L’Union des groupements d’achats publics (UGAP) est un établissement public industriel et commercial placé sous la tutelle de Bercy et de l’Education nationale. Ce n’est pas la centrale d’achat de l’Etat, comme on la présente parfois à tort. L’UGAP (1800 collaborateurs) assure tout le continuum commercial, du début à la fin de la commande. Cela lui a permis d’acquérir une expertise approfondie des achats IT faits par les collectivités territoriales. « Un marché annuel de 4 à 5 milliards d’euros, en croissance » souligne Jérôme Thomas, directeur général adjoint de l’UGAP. 

Comment les collectivités territoriales abordent-elles les achats IT en général ? 

Les achats IT des collectivités territoriales sont compris en moyenne entre 4 et 5 milliards d’euros par an et s’inscrivent en progression de 4% chaque année. Les achats de software et de services numériques (conseil, MOA, MOE et cloud) constituent la plus grosse part des dépenses devant le hardware. C’est une inversion par rapport à ce que l’on voyait encore il y a 5 ans où le ratio était plutôt 60% pour le matériel et 40% pour les logiciels. Ce phénomène traduit une forme de servicisation de l’informatique publique qui n’est pas propre à la sphère publique mais représente néanmoins une tendance lourde. 

La stratégie de cloudification des grands éditeurs de logiciels et la logique d’abonnement qui la sous-tend ne sont pas sans poser quelques difficultés car cela modifie la structure des budgets des collectivités territoriales. Vous avez des DSI qui ont des budgets d’investissement éligibles au FCTVA, contrairement à ceux de fonctionnement. Cela bouleverse la structure habituelle des consommations.

Leurs manières d’acheter de la prestation ont-elles évolué ?

Les grandes collectivités territoriales pratiquent désormais une forme d’externalisation de la réalisation des grands projets auprès des ESN. C’est moins souvent le cas des collectivités territoriales de taille de plus modeste, car leur feuille de route IT est moins dense. Le recours aux cabinets de conseil s’est intensifié pour gérer la sécurité des systèmes d’information (SI) des organismes publics. La cybersécurité est la priorité numéro un des acteurs publics et des collectivités territoriales en particulier, toutes tailles confondues. C’est un enjeu de maîtrise des données, de continuité de services et de protection patrimoniale. 

Les collectivités sont-elles de plus en plus data-centric ?

Alors que les entreprises privées font de la donnée un actif décisif de leur business model, il faut que les acteurs publics s’en saisissent, non dans une optique lucrative, mais pour optimiser les services apportés aux populations locales. Cela nécessite de cartographier et de structurer une donnée encore trop souvent éclatée et silotée, de déployer des objets connectés pour pouvoir mieux la capter. Enfin, il est nécessaire d’établir des dispositifs de supervision afin de l’exploiter et de la traduire en décisions politiques concrètes. 

Pour améliorer l’efficacité de l’action, il faudra capitaliser davantage sur la donnée. Mais cela exige beaucoup d’ingénierie. C’est un projet très complexe à mener avec des ressources contraintes. C’est le rôle de l’UGAP en tant qu’établissement public tiers de confiance, d’accompagner les territoires dans des achats justes car bien dimensionnés par rapport à leurs besoins.

Y a-t-il encore des appréhensions spécifiques vis-à-vis du cloud ? 

Compte tenu des offres de nombre d’éditeurs de logiciels, collectivités et acteurs publics n’ont guère eu le choix. Ils sont passés en mode SaaS ou PaaS pour maintenir leurs SI/systèmes métiers. Depuis 2020, nous leur proposons une offre de cloud public co-prescrite avec la Direction interministérielle du numérique (DINUM). Au lancement de cette offre, nombre de DSI hésitaient à basculer dans le cloud. Leurs craintes étaient liées à la souveraineté et à la protection des données, même si les hébergeurs étaient nationaux. C’est pourquoi nous leur avons proposé des offres de conseil. 

Avant de choisir d’héberger leurs données sur le cloud, Toulouse Métropole a ainsi effectué un travail de réflexion, de cartographie, de mise en trajectoire, de façon à pouvoir aller sur le cloud de manière raisonnée, équilibrée. Ils en tirent des bénéfices économiques évidents : réduction du coût des infrastructures, meilleure disponibilité des services et ils se sont rendu compte que la sécurité était garantie. En 2022, les dépenses de cloud des collectivités territoriales se sont élevées à 230 millions d’euros, soit 15% des prestations de services. Depuis, ce chiffre n’a fait que croître. En matière de cloud, elles s’orientent encore beaucoup vers des clouds privés(*)

Prennent-elles garde à l’impact écologique de leur mue digitale ?

Depuis les dernières élections municipales et après les crises sanitaires que nous avons traversées, les préoccupations sociétales sont au cœur de l’agenda politique des collectivités territoriales. En 2021, la loi REEN a fixé un cadre  en matière de réduction de l’empreinte environnementale du numérique en France. Les collectivités territoriales ont dû élaborer un schéma numérique responsable. Plus que l’IA, l’adoption d’une démarche numérique responsable est une des principales préoccupations des décideurs publics selon le baromètre de la maturité numérique des territoires. Les aspects sont multiples : dimensionnement des infrastructures, achat de matériel informatique recyclé (recyclage et réemploi), extension de la durée d’utilisation de ce même hardware, etc.

Comment petites, moyennes et grandes collectivités peuvent-elle mieux travailler ensemble ?

Il faut renforcer la mutualisation des fonctions informatiques dans les collectivités territoriales pour que les petites structures bénéficient des externalités ou des avancées des plus grandes. Le cœur de métier d’un DSI est de délivrer du service numérique sécurisé et pas forcément de faire des achats. Arriver aussi à décloisonner leurs activités via des réseaux de partage de bonnes pratiques est donc essentiel.  

 

 

(*) Source : Markess by Exaegis 2023 – Intervention SCC/UGAP – 9/02/2023