Cet article a été publié originellement sur mydatacompany.fr
Action publique, économie et démocratie régies et évaluées à l’avenir grâce aux données ? Dans l’agriculture et la santé, l’usage des données progresse. Sans porter atteinte à la confiance ? « Tous acteurs des données » se veut une synthèse pédagogique pour informer décideurs et citoyens.
Co-président de l’ESN Devoteam et par ailleurs président de Syntec Numérique, Godefroy de Bentzmann regrette la « vision anxiogène et négative » souvent associée aux données, en raison notamment du Cloud Act ou des pratiques de certains géants de l’Internet.
Or, soutient-il, « l’innovation s’appuie sur les données et les données enrichissent l’innovation. » Pour l’illustrer, l’organisation patronale s’est associée au think tank Renaissance numérique pour publier « Tous acteurs des données. »
Agriculture : « les masses de données sont absolument colossales »
« Les données concernent bien sûr les entreprises. C’est une transformation majeure pour elles, mais les données transforment aussi l’action publique, la société et les citoyens. Les enjeux dépassent profondément le seul secteur économique » souligne ainsi son président, Henri Isaac.
L’ouvrage se veut donc une « synthèse la plus pédagogique possible » destinée notamment à acculturer « davantage de décideurs qui, lorsqu’on parle de données, savent précisément de quoi on parle et comment en parler. »
Tous acteurs donc, mais certains s’illustrent néanmoins par leur dynamisme sur ces sujets de données. C’est notamment le cas dans les secteurs de la banque et de l’assurance, mais aussi du numérique.
Cette implication peut s’expliquer, entre autre, par la préexistence d’une culture de la donnée au sein de ces organisations, ainsi que par l’importance des enjeux financiers associés à la valorisation de ce capital.
Pour autant, d’autres secteurs s’approprient à leur tour ces sujets. Il s’agit par exemple de la santé et de l’agriculture. Comme l’expliquait en 2018 l’agriculteur et patron d’API-Agro, Sébastien Windsor, données et usages dans le monde agricole ne manquent pas.
Mais si « les masses de données sont absolument colossales », celles-ci ne sont pas suffisamment utilisées pour améliorer l’agriculture et les pratiques – et sont en outre bien souvent accaparées par l’équivalent des GAFA dans le secteur (John Deere, Bayer, Monsanto…).
La France, au niveau agricole et agro-industriel, est dans la modernité
Traçabilité, lutte contre les maladies du blé, réduction de la consommation de pesticide… les usages des données sont multiples dans une agriculture contrainte de se transformer. Les besoins sont là, la maturité, elle, doit encore progresser.
« L’acculturation se fait progressivement, mais elle est massive. La France, au niveau agricole et agro-industriel, est dans la modernité par rapport au numérique » assure cependant Marie-Cécile Damave, agronome et responsable de l’innovation pour le think tank agr’iDées.
Le numérique est ainsi présenté comme un support essentiel à l’agriculture de précision, répondant à un besoin de gestion des risques (climatiques, sanitaires, de marché…). Quant aux données, générées par les technologies numériques, elles sont qualifiées de « levier de performance, de reconquête de la confiance de la société, mais aussi de survie. »
Les agriculteurs eux-mêmes, qui produisent des données, sont en quête de cette confiance lorsqu’il s’agit de les partager, notamment avec des acteurs économiques. Ils attendent en outre une contrepartie, comme des services, afin que ce partage de données soit une source de création de valeur.
Marie-Cécile Damave observe également un développement de fermes connectées, dans une dynamique collective et collaborative regroupant des agriculteurs s’emparant des sujets de données. « Ces réseaux peuvent aujourd’hui avoir un périmètre quasiment mondial grâce aux outils numériques. »
Dans l’univers de la santé également, les données sont le sujet du moment, comme l’est la préoccupation à l’égard de la confiance. Pourquoi ? Car ce dernier est un des premiers secteurs d’application de l’intelligence artificielle, comme peut en témoigner le professeur Bernard Nordlinger, co-auteur avec Cédric Villani d’un ouvrage consacré à la santé et l’IA.
Et le médecin d’insister sur l’importance de ne surtout pas manquer « le défi de la confiance », vis-à-vis des professionnels de santé, mais aussi du grand public, notamment en ce qui concerne l’utilisation (protégée) de leurs données de santé.
« Le défi de la confiance »
La France développe d’ailleurs en la matière un entrepôt national des données de santé, le Health Data Hub. Son but est de « faciliter l’accès à des chercheurs sans avoir à passer par les méandres actuels, administratifs notamment. »
De manière plus générale, les usages des données sont multiples, comme par exemple pour l’aide au diagnostic. « Cela ne remplacera jamais le docteur, et ce n’est pas souhaitable » prend cependant soin de préciser Bernard Nordlinger.
Et les spécialités exploitant de l’imagerie sont les premières concernées par l’IA et les données, mais aussi l’anatomie pathologique, la dermatologie, l’ophtalmologie, ainsi que la psychiatrie, sans oublier bien sûr l’industrie du médicament et des essais cliniques.
Aux craintes légitimes autour de la confiance, Bertrand Pailhes, coordonnateur national pour la stratégie d’intelligence artificielle, répond notamment par la nécessité de transparence, y compris de la part de l’Etat amené à traiter des données des citoyens.
En matière de santé, il rappelle que la philosophie de la stratégie numérique de santé et de l’espace numérique de santé est de parvenir à « délivrer des services aux usagers. » Car cet espace « ne sera utilisé que s’il propose des services à valeur pour les usagers. »
Mais comme le rappelle le titre de l’ouvrage « Tous acteurs des données », ce sujet n’est pas seulement celui de l’agriculture et de la santé. Godefroy de Bentzmann milite donc en faveur d’initiatives permettant de faire progresser l’acculturation à l’égard des données. A tous les échelons.
Acculturer les directions générales à l’importance de la donnée
« Dans une entreprise, ce n’est pas le sujet d’un chief data officer. Si la direction générale, le management, et en même temps les équipes techniques, ne sont pas imprégnés, rien ne se fera. Il est donc nécessaire aujourd’hui d’acculturer les directions générales à l’importance de la donnée. Pour être conforme à la régulation, évidemment, mais aussi pour tirer parti de la valeur potentielle des données et faire en sorte que tous les employés soient à même de comprendre et d’être acteurs de la création de valeur. »
Henri Isaac insiste sur la création « d’une culture démocratique autour de la question des données », qui suppose de diffuser la culture de la donnée dans toute la société, et de sortir donc des cercles d’experts. La finalité : « accéder à une nouvelle forme de démocratie reposant sur la transparence par les données. Et cela ne peut pas être le fait d’une petite minorité de personnes. »
« Le contrôle de l’action publique, l’évolution des politiques publiques, leur évaluation passeront de plus en plus par un traitement de données ». Encore faudra-t-il disposer des compétences nécessaires pour y parvenir.