Suez développe depuis trois ans une politique d’accélération de sa transformation data au travers de cas d’usage sponsorisés par les métiers. Témoignage de la Chief Data Officer de Suez, Chafika Chettaoui.
Quelle place occupe la data chez Suez ?
La donnée a toujours été présente chez Suez, un groupe centenaire. Pour opérer nos activités, nous exploitons de nombreux capteurs. Par conséquent, nous collectons énormément de données, pour du monitoring, des tableaux de bord, et par exemple pour de la détection de fuites d’eau, ou l’optimisation de nos parcours de collecte de déchet. Le management de la data appartient à l’ADN de Suez.
Ce qui est nouveau, c’est de casser les silos et de rendre la data encore plus intelligible en combinant des données de différents domaines et différentes régions. En effet, Suez est un groupe décentralisé où chaque service possède sa propre donnée. La transformation consiste donc à ouvrir et à adopter un langage commun entre les régions, à démocratiser l’usage de l’intelligence artificielle pour améliorer la prise de décision de nos opérations et à offrir à nos clients des solutions innovantes et différenciantes sur le marché. Notre objectif est ainsi de capitaliser encore plus sur la donnée pour être véritablement data driven.
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Vous développez des usages des données tant externes qu’internes ?
Notre département SES, Suez Smart Solution, propose des offres digitales auprès du marché. Depuis longtemps, il a intégré de l’intelligence artificielle dans les systèmes dans le cadre des services fournis à nos clients.
Depuis trois ans maintenant, nous développons de l’IA pour des usages internes d’amélioration de la performance. Nous accélérons ainsi la transformation du groupe. Après le customer centric, nous avons élargi à l’employee centric grâce à la démarche d’amélioration de la performance que la direction de la data, le data office, a menée.
Quel est votre rôle dans cette transformation en tant que Chief Data Officer ?
Je suis CDO fédérateur. Le terme fédérateur est important. Notre rôle au data office est de fédérer une communauté et d’accélérer la transformation culturelle. La deuxième mission est d’être un accélérateur. Nous intégrons une équipe de delivery. Ainsi, lorsqu’une idée émerge localement, nous l’accélérons sur six mois afin de démontrer la valeur dans le cadre d’une approche de type test & learn.
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Enfin, nous avons une fonction de transformateur. Nous menons en effet directement des projets transversaux, comme celui ayant trait à la digitalisation de nos usines et process. Dès lors qu’un projet concerne plus d’une BU, nous en assurons la conduite en central.
De quels profils disposez-vous pour mener ces missions ?
Nous restons une petite équipe qui va continuer à s’étoffer en fonction de la maturité et des besoins, une vingtaine en intégrant les externes. Nous faisons aussi appel aux expertises du groupe pour mener à bien nos projets quand cela est nécessaire. Cet effectif regroupe trois catégories de profils : la direction de projet data, le data engineering pour l’industrialisation et l’architecture notamment, et enfin la data science. Nous avons d’ailleurs développé une plateforme de data science pour en accélérer les usages et réduire le TTM de la production de produits IA : CoDAI [NDLR : Collaborative Data & Artificial Intelligence].
Quelle est la fonction de cette plateforme ?
CoDAI est développée sur Azure ML et répond à plusieurs besoins. Elle permet aux data scientists du groupe de disposer d’un environnement pour développer et scaler leurs projets. Mais c’est également un catalogue de projets IA. Ainsi, chacun dans le groupe dispose d’une visibilité sur les produits IA déjà développés et qui sont susceptibles de l’intéresser pour son métier et pour nos clients.
Justement, en termes de projets, qu’avez-vous mis au point chez Suez ?
Étant donné la richesse des données que nous générons, les cas d’usage sont très divers.
Les différents projets ont en commun d’être tournés vers les opérationnels. Il s’agit par exemple de la prédiction de la pression de l’eau dans les réseaux, qui peut générer des fuites. Nous avons travaillé avec une start-up et ses data scientists pour équiper le réseau en capteurs et définir des modèles de prédiction de la pression. Cela nous permet de réguler la pression en amont afin de prévenir les risques de fuite.
Nous déployons aussi des projets plus complexes, comme ceux autour de la computer vision. Cela nous permet d’aider les opérateurs à détecter les objets indésirables sur les chaînes de traitement. Cette expérience acquise dans la computer vision nous permet d’appliquer cette technologie à une multitude d’autres usages. Nous avons d’ailleurs développé un programme de computer vision spécifique au traitement des déchets.
À ces cas d’application avancés s’ajoutent des projets plus traditionnels autour de la segmentation de la clientèle, de la maintenance prédictive de nos pompes, etc. Notre portefeuille de cas d’usage est extrêmement large. C’est la richesse des données dont nous disposons qui nous le permet.
Pour déployer votre démarche data, quelles étapes avez-vous suivies ?
Nous avons développé deux programmes. Le premier est bottom-up. Il permet à des BU qui ont des idées, mais pas l’expertise en IA et data, de se tourner vers le data office pour accélérer leurs projets. C’est le programme d’accélération. Bien sûr, nous challengeons les BU sur les ROI. Chaque année, ce sont 60 à 70 idées qui sont proposées. Nous en sélectionnons quinze. Chaque projet est soumis à une analyse de la donnée et du ROI, et sous condition d’un sponsorship. Le sponsor s’engage à financer 50 % des coûts. Le métier consacre de l’argent et des ETP métier au projet pour délivrer le projet en mode agile.
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Nous avons par ailleurs des programmes top-down. Ils consistent à s’aligner sur la stratégie du groupe Suez. Or, depuis deux ans, nous avons un nouveau DG. Et je constate qu’une stratégie digitale et data est souvent efficace lorsqu’une nouvelle direction se met en place. Le data office s’est donc aligné sur la nouvelle stratégie. Dans ce cadre, nous avons mené des projets majeurs, définis par le Comex, d’amélioration de la performance et de réduction de CAPEX.
Le data office se positionne ainsi entre la demande et la stratégie. Nous aidons la demande pour le test & learn et l’acculturation. Et dans le même temps, nous contribuons à délivrer la stratégie du groupe.
Suez mène sa politique data depuis trois ans. Quels chantiers reste-t-il à mener ?
Après seulement trois ans, il nous reste beaucoup à réaliser, sur tous les axes que sont la technologie, l’organisation, l’analytics et la culture. Depuis trois ans, la culture s’est améliorée, grâce notamment aux programmes d’acculturation des dirigeants. L’acculturation est bonne. Parfaite ? Pas encore, mais la prise de conscience de l’importance de la data et de la nécessité de nommer des lead data officers dans les métiers est là.
La prise de conscience sur l’engagement financier n’est en revanche pas encore pleinement aboutie. Et outre la culture, nous devons aussi progresser sur l’internalisation des compétences d’ingénierie data. Nous n’avons pas encore la taille critique en ce qui concerne l’équipe de delivery. Cela passe par des recrutements et par la montée en compétences de nos citizen data (des collaborateurs internes qui souhaitent monter en compétences sur les expertises data techniques). Il nous faut aussi progresser sur l’organisation avec des rôles de data steward et la supervision de la qualité au quotidien.