Alliancy

Profils hybrides, engagement métier, La Fabrique de l’industrie décrypte la recette des succès de transformation

>> Cet article est issu du Carnet d’expérience à télécharger « Industrie : comment les DSI créent plus de valeur avec les métiers ? »

Sonia Bellit, économiste et cheffe de projet partage les analyses récentes faites par La Fabrique de l’industrie sur les clés du succès de la transformation vers l’industrie 4.0. Elle revient notamment sur les témoignages remontés par les entreprises et ce qu’ils disent, en creux, de la relation IT-métier en interne. 

Sonia Bellit, économiste et cheffe de projet

Que montrent les études que vous avez récemment menées, quand on prend l’angle d’analyse de la relation IT-métier dans l’industrie ? 

Ce que l’on voit déjà de manière générale, est que les grandes entreprises témoignent davantage sur le sujet que les plus petites, alors que celles-ci ont également des expériences souvent très intéressantes à partager. Mais au-delà, dès que l’on évoque le sujet de la relation IT-métier, on revient très vite sur la question de la gouvernance.

A lire aussi : Pour mieux innover et se protéger, Michelin travaille sa relation IT-métier

Nous avons mené des cas d’étude1, par exemple auprès du constructeur d’ascenseurs Kone, qui ont montré que pour avoir de l’efficacité dans la mise en œuvre de nouveaux projets, l’entreprise doit mettre en place des approches ad hoc de gouvernance, capables de réunir tous les aspects de ses forces vives autour de la table. En résumé, l’un des enseignements de nos études est la façon dont le changement est piloté auprès des différentes équipes, aussi bien métiers qu’IT, facteur central de succès de projets de transformation ambitieux. 

Les industriels sont-ils toujours autant confrontés aux enjeux de silos entre leurs métiers et leurs spécialistes de l’informatique et du numérique ? 

C’est un des points qui revient en creux dans les analyses, alors que transparaît très nettement un autre aspect, celui du besoin important de profils hybrides dans les équipes. Je me souviens par exemple d’un très beau cas au sein du spécialiste de la détection par infrarouge Lynred, qui montre à quel point avoir ce type de mixité « numérique - métier » dans les équipes mais aussi au niveau des individus eux-mêmes, facilite la mise en œuvre des projets. Dans leur cas, un data scientist qui a eu par le passé un parcours métier et qui connaît très bien les sujets de fiabilité des processus a été par exemple un vrai élément différenciateur. 

[bctt tweet= »« L’entreprise doit être capable de créer spécifiquement des indicateurs pour mesurer la proof of value métier. »  » username= »Alliancy_lemag »]

Est-ce que cela ne revient pas à dire qu’il faut trouver des moutons à cinq pattes ? 

Effectivement, le problème vient du fait que ces profils ne soient pas forcément courants dans toutes les entreprises. Les industriels sont en première ligne face au défi de pénurie de compétences, que ce soit sur le tronc commun de leurs métiers historiques ou sur l’attractivité vis-à-vis des talents du numérique. Mais c’est aussi une discipline à avoir pour l’entreprise : se donner les moyens de repérer ces profils hybrides en interne et capitaliser sur eux, notamment en les valorisant au bon niveau et en ne les laissant pas se faire piéger dans des silos par la seule force des habitudes. Il faut provoquer la transversalité. 

Ce thème des silos revient-il dans les préoccupations des entreprises industrielles ? 

C’est clairement une dimension importante que les industriels cherchent à adresser, notamment avec de nouveaux partis pris organisationnels pour faire bouger les lignes2. En particulier, l’émergence des digital labs ou des data factories est un moyen de plus en plus courant pour adresser le problème. La réalité en effet, c’est que quand on veut mettre un projet 4.0 dans les usines, on va faire face à des projets très spécifiques : on va souvent adresser des types de métier différents qui ont des objectifs au quotidien eux aussi très différents.

Un cariste qui a des objectifs en termes de « pièces par heure », va se trouver autour de la table avec un gérant de stock pour qui l’enjeu est surtout de maîtriser et limiter son stock… Comment une application moderne peut-elle modéliser cette variété des exigences au sein d’un même projet ? Comment la plateforme et le système d’information, sont-ils à même de prendre en compte cette réalité ?  

[bctt tweet= »« Il y a de très beaux exemples en Corée du Sud. »  » username= »Alliancy_lemag »]

C’est ce qui ressort de notre étude récente : l’importance de l’engagement métier, notamment autour du design thinking. Quand on prend les exemples de PSA et l’Oréal notamment, on voit spécifiquement à quel point avoir des approches itératives systématiques liant les équipes IT et leurs différents métiers, a été un facteur de transformation intense. Il s’agit de méthodologies, mais pas seulement. Pour prendre en compte ces remontées de collaborateurs, il doit également y avoir un changement de posture afin de ne plus se baser sur la « proof of concept » qui a souvent été mise en avant pour innover dans les entreprises. Au contraire, des organisations comme Lynred montrent à quel point c’est maintenant la « proof of value » qui joue sur l’engagement métier. Autrement dit, l’entreprise doit être capable de créer spécifiquement des indicateurs pour mesurer cette proof of value métier. 

A lire aussi : Chez Naval Group, les enjeux de « scale-up » sont au cœur de la proximité IT-métier

Pour vous, quelles sont les technologies qui changent le plus la donne dans la transformation de l’industrie ? 

Le premier réflexe est de parler de l’internet of things. Mais dans la réalité, on voit que l’impact est assez déséquilibré. Dans les témoignages, les grandes entreprises sont surreprésentées et, en parallèle, on est encore souvent sur des projets au spectre limité, qui sont loin de révolutionner la façon de produire avec l’intelligence artificielle ou de réinventer les modèles d’affaires par exemple. Les entreprises en sont au stade de l’amélioration incrémentale de l’existant et en conséquence, on a beaucoup de mal à voir les chiffres pour un ROI majeur : les expérimentations sont là, mais la nécessité d’industrialiser reste évidente. Ce qui nécessitera encore des investissements assez importants pour véritablement rentrer dans l’industrie 4.0. 
Si l’on se détache de cette technologie en particulier, le sujet majeur est donc plutôt la transformation du système d’information dans son ensemble, pour sortir d’une IT qui fonctionne de façon très traditionnelle. Ce type de SI a un impact énorme sur la perception qu’en ont les métiers et donc sur la nature de leur relation au digital et à l’innovation. 

[bctt tweet= »« L’empathie vis-à-vis du ressenti des équipes sur le terrain est plus que jamais nécessaire. »  » username= »Alliancy_lemag »]

Où aller chercher l’inspiration pour de tels changements ? 

Je pense déjà qu’il y a un fort intérêt à aller voir au-delà de nos frontières. Il y a notamment de très beaux exemples en Corée du Sud. Ensuite, les offreurs de solutions peuvent vraiment aider pour trouver ces exemples. Il peut être tentant de porter un regard sévère sur la posture de ces prestataires qui feraient de trop belles promesses, mais il faut être réaliste, vu la complexité des technologies et des changements à mettre en place, il ne faut pas fermer la porte : la transformation viendra aussi de ces partenaires ; et ce sera encore plus vrai pour les petites entreprises industrielles, qui sont souvent elles-mêmes dans la chaîne de valeur des plus grandes. Tous les types d’offreurs ont d’ailleurs leur rôle à jouer : ce ne sont certainement pas les Gafam qui vont changer la donne dans toute l’industrie. 

Quels vont être vos points d’attention pour les mois à venir ? 

Je vois plusieurs sujets qui vont rester clés pendant un moment. À commencer par l’attention portée à l’expérience utilisateur : le contrôle par les applications, la sensation de mesure de leur productivité, l’ergonomie. On est encore loin du compte par rapport à l’adoption recherchée des solutions digitales et les effets sur le travail quotidien. L’IT doit penser ces détails dans leur complexité. Je me souviens par exemple d’un projet où des grutiers qui devaient être assistés par de l’intelligence artificielle dans leur gestion des imbroyables d’un centre de déchets.

Cette initiative a été très mal vécue, car le besoin de suivi vidéo pour y parvenir a été ressenti comme de la contrainte et de la surveillance et que le projet avait été pensé avant tout techniquement, il était abouti de ce point de vue, mais de façon insuffisante dans l’accompagnement, la pédagogie et le partage. On voit ce genre de retour sur de nombreux types de projets, que ce soit pour l’assistance aux préparateurs de commande ou la mise en place de combinaisons intelligentes chargées de renforcer la sécurité des opérateurs. L’empathie vis-à-vis du ressenti des équipes sur le terrain est plus que jamais nécessaire. Elle doit commencer avant même la phase des tests, avec une participation active du métier. 

Quitter la version mobile