Comment définir « le travail » en 2018 ?
La plupart d’entre nous utilisent le mot « travail » quotidiennement ; mais qu’entendons-nous par le mot travail, signifie t’il pour tous la même chose quand nous l’employons ?
Pour beaucoup, travailler signifie pourvoir à ses propres besoins et à ceux de sa famille. D’un point de vue économique le travail est l’activité qui fait augmenter le PIB d’un pays. Le travail en lui-même n’a pas de connotation positive ou négative pour le travailleur. C’est juste, « une affaire de sous ».
Pourtant le travail est bien plus que ça. Nous pouvons, par exemple, avoir beaucoup de « travail » à faire pour préparer une fête d’anniversaire, décorer un salon ou pour construire une remise à outils au fond du jardin. C’est un autre genre de travail, plus positif que celui d’« aller au travail ». C’est un travail que l’on fait pour soi-même et les autres, non pas pour l’argent, et souvent, cela ressemble plus à de l’amusement.
Certaines personnes perçoivent leur travail rémunéré comme gratifiant au-delà du salaire qu’elles perçoivent. Elles conçoivent le travail comme un moyen de s’épanouir, d’accomplissement personnel. Pour des raisons évidentes, cette manière de voir le travail est plus répandue parmi les cols blancs que parmi les travailleurs à la chaîne dans les usines.
De nombreux ouvriers vivent plus le travail comme une souffrance qu’autre chose, un mal nécessaire en somme. « Dieu merci c’est le week-end », « Prends ce travail et fous le camp ». Ce sentiment est tellement répandu dans la culture populaire que s’en est devenu un thème récurrent. Dans certaines régions du monde le sentiment que « le travail c’est l’enfer » peut être hyperbolique ; dans d’autres, particulièrement dans les pays en voie de développement, le travail est réellement douloureux, dangereux, fastidieux et abrutissant. Aujourd’hui, même dans les pays développés, persiste un sentiment commun que le « travail » équivaut à « faire quelque chose qui me déplait ».
Aux côtés des « métiers – métier » comme ceux de l’usine, il y a toujours eu des métiers difficiles, éprouvants, chronophages… Mais qui ne sont généralement pas considérés par ceux qui les pratiquent comme quelque chose que l’on n’aimerait pas faire. Ces types de métiers peuvent avoir une dimension créative, intellectuelle, des professions qui seront perçues plus comme une vocation qu’un travail. Des études récentes suggèrent même qu’un travail impliquant davantage de contrôle du salarié – et donc un engagement plus élevé de celui-ci – est moins perçu comme un travail.
D’une certaine manière, ce genre de travail s’apparente à l’agriculture préindustrielle ou aux métiers qualifiés où les travailleurs vendaient- et dans de nombreux cas consommaient- le fruit de leur labeur. Je pense que le travail – et même le travail en usine – du futur ressemblera plus à ce genre de travail que celui plus « mécanique » des blouses bleues de notre époque.
Hommes, machines et peur
Depuis la Première Révolution Industrielle (« l’Industrie 1.0 »), au moment où la mécanisation, l’eau et la machine à vapeur ont amorcé l’automatisation du travail agricole et d’autres professions jusqu’alors effectuées manuellement, les travailleurs redoutaient que les machines volent leur gagne pain les rendant ainsi incapables de pourvoir à leurs propres besoins et à ceux de leurs proches. Une mise en garde typique de l’époque émise par des travailleurs américains du secteur du textile déclarait : « Jamais (avant l’avènement des machines et des engins à vapeur) l’esprit humain n’avait élaboré de moyen aussi efficace pour se passer du travail des pauvres. »
Au cours de la Deuxième Révolution Industrielle (l’Industrie 2.0 »), John Maynard Keynes a écrit de nombreuses choses sur le thème du «chômage technologique». Le concept a gagné en popularité dans certains pays, notamment aux États-Unis, à mesure que le chômage augmentait – jusqu’à ce qu’il retombe après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Trois décennies plus tard, alors que l’essor des ordinateurs inaugurait «l’Industrie 3.0», John F. Kennedy déclarait « le principal défi des années 1960 sur le plan national est de «maintenir le plein emploi à un moment où l’automatisation (…) remplace les hommes».
Aujourd’hui Internet a permis l’apparition de « l’Industrie 4.0 » – incluant les robots qui constituent une part croissante de ses technologies connectées – et a donné naissance à de nouvelles peurs. Représentants de l’Industrie 4.0, les robots portent ainsi le fardeau de la dernière peur « des robots voleurs de travail ». Pour les personnes qui pensent que les avancées technologiques menacent l’emploi, les robots sont doublement effrayants. Ils ne font pas que « voler nos métiers », ils nous ressemblent. Au point que les robots représentent pour certains, une sorte de jumeau maléfique de l’humanité.
La technologie créé des emplois, mais…
Malgré les peurs, les avertissements, les discours de politiciens etc., l’Histoire prouve que les avancées technologiques- dont celles qui ont permis les révolutions industrielles- sont en vérité créatrices d’emploi. Même ma propre expérience à Universal Robots, et quand bien même nous sommes fabricants de robots – les plus grands voleurs d’emploi supposés – j’ai pu constater comment les technologies d’automatisation créent de l’emploi. Dans les faits, les usines qui ont déployé nos robots collaboratifs augmentent leurs effectifs de manière significative et non pas l’inverse.
Cependant cela implique des déplacements. Les nouveaux postes créés par l‘entreprise lors de l’avènement de technologies disruptives le sont dans des domaines différents. De plus, ces nouveaux emplois sont souvent créés dans des aires géographiques différentes. Les villes de la « rust-belt » par exemple, ont commencé à perdre des emplois alors que la Silicon Valley et d’autres centres du high-tech en ont gagné. Il en résulte des gains d’emplois nets, mais des pertes locales qui, à défaut d’une formation professionnelle ciblée et d’autres initiatives, peuvent entraîner des troubles et, bien sûr, une plus grande peur de la technologie.
Les emplois contre les tâches
Un moyen plus nuancé d’appréhender les effets de l’automatisation sur le travail humain est de parler de « tâches » plutôt que d’« emplois ». L’automatisation ne « vole pas à proprement parlé des emplois ». Cependant, cela rend certaines tâches redondantes – et donc susceptibles de disparaître – tout en en créant de nouvelles. Selon un article récent de la Harvard Business Review sur les tâches automatisées, entre 20% et 80% d’un travail donné peut impliquer des tâches automatisables, mais aucun emploi n’est automatisable à 100%. Cela signifie que quelques emplois seront plus perturbés – et donc davantage susceptibles de changer – que d’autres. Néanmoins, ce ne seront pas les emplois dans leur entièreté (définis comme une collection de tâches) qui disparaitront à cause de l’automatisation.
La prochaine révolution individuelle
La promesse de la dernière révolution industrielle, l’Industrie 4.0, n’est pas seulement l’automatisation complète de l’usine. Elle implique également l’automatisation de la commande des clients, des flux d’approvisionnement en composants, de l’entreposage et d’autres aspects logistiques – et l’intégration de tous ces sous-systèmes dans un environnement de production de biens total qui n’implique pratiquement aucun travailleur humain.
Une telle configuration d’« extinction de l’usine » est bénéfique puisqu’elle permet de produire rapidement les biens que la population demande, avec une qualité constante et des prix inégalés.
Ironiquement, au moment même où l’Industrie 4.0 a commencé à gagner du terrain dans les processus de fabrication réels, une tendance de consommation mondiale assez différente a émergé. Des bières artisanales aux produits de luxe faits main et parfois complètement personnalisés, les produits qui disposent sans équivoque de la signature de l’homme connaissent une demande croissante. Ces produits ne sont pas uniquement les articles de luxe artisanaux traditionnels. Ils incluent également les marchandises qui ne peuvent être fabriquées qu’en faisant appel à des techniques sophistiquées de fabrication. Et les signes de leur popularité croissante sont partout, des supermarchés aux magasins d’électronique, en passant par les concessionnaires automobiles.
Je pense à cette tendance du « retour de la touche humaine », et je crois que celle-ci est motivée par le besoin fondamental de l’humain de se connecter avec les autres. Non pas avec des simulations sous forme de robots, d’intelligence artificielle où autres. Mais avec des êtres humains, au corps d’humains, aux expériences humaines, aux faiblesses humaines et aux histoires authentiques. C’est quelque chose que la technologie ne peut pas remplacer, n’étant simplement pas elle-même humaine.
Un nouveau type d’usine…
La demande de masse pour la touche humaine, ou ce qui est souvent décrit comme une « personnalisation de masse », ne sera jamais satisfaite par la fabrication à grande échelle ni par les petits artisans. Aujourd’hui, nous voulons la qualité et la sophistication qui va avec les productions mondiales, sans pour autant délaisser la touche humaine, que l’on retrouve dans la miche de pain authentiquement artisanale. Dans les voitures que nous conduisons, les vêtements que nous portons et les expériences dans lesquelles nous nous investissons, nous voulons une sophistication en matière de conception, d’ingénierie et de fabrication ; mais nous voulons également une personnalisation de plus en plus radicale. En d’autres termes, nous voulons faire l’expérience de l’humain dans les productions de masse.
J’ai mentionné précédemment le type de configuration de fabrication qui sera nécessaire pour répondre à la demande de l’industrie 5.0., et je continuerai à utiliser ce terme ici. La configuration de l’Industrie 5.0 fabriquera des produits avec une forte valeur ajoutée – où la valeur ajoutée constitue exactement la « touche humaine » dont j’ai parlé plus tôt. La manière dont la touche humaine s’exprime dans un produit donné dépendra du produit. Cela pourrait être l’histoire vraie de l’implication d’une personne experte dans la production d’un article d’habillement. Il peut s’agir d’une certaine qualité de fabrication que les machines, aussi sophistiquées soient-elles, ne peuvent produire sans guidage humain – une qualité que les personnes peuvent sentir lorsqu’ils utilisent le produit.
Le type d’usine nécessaire pour produire ces biens à une échelle et à un coût qui rendent la production économiquement viable dépendra de la technologie. Mais pas la technologie qui fonctionne sans intervention humaine dans une « usine éteinte ». Ce sera la technologie qui collaborera avec les employés et qui servira d’outils leur permettant de contribuer à la valeur ajoutée du produit, lorsque la touche humaine est impliquée.
… et un nouveau type d’employé
Les employés qui seront requis dans la configuration de l’Industrie 5.0 sont ceux qui ont une valeur particulière à ajouter au produit en question. Ils n’ont pas besoin d’être des scientifiques expérimentés ou des chirurgiens du cerveau. Cependant, ils doivent avoir une expertise dans un domaine qui est nécessaire pour donner au produit le degré de contact humain exigé par le marché. Ils peuvent pratiquer un métier ou utiliser un œil averti ou d’autres sens pour évaluer, travailler et faire des ajustements. Ils peuvent avoir une compréhension spéciale des matériaux et des processus de fabrication. Ils peuvent être experts dans la pratique de la créativité.
Ceux qui ne seront pas nécessaires, ce sont les employés qui passent leurs journées à effectuer des tâches ennuyeuses, répétitives ou dangereuses. Les robots et autres machines peuvent, et le feront mieux. Les jours de travailleurs de ligne old-school seront terminés.
Le travail d’usine en 2035
En 2035, l’Industrie 4.0 et ses extinctions d’usines seront une part vitale du produit fabriqué. Le monde a besoin de millions de produits qui ne requièrent aucune « touche humaine » pour avoir de la valeur. Un support d’étagère utilitaire n’a pas besoin de contact humain, pas plus qu’un microprocesseur. Ces produits seront fabriqués dans le style des « usines éteintes » avec peu ou pas de cols bleus traditionnels. Et les sociétés qui veulent être prêtes pour cet état de choses devraient probablement plutôt éduquer les jeunes à programmer et opérer des technologies d’automatisation.
Cependant, il y aura aussi beaucoup plus d’Industrie 5.0 en 2035, et ces usines embaucheront des employés sur le terrain. Pour faire appel uniquement aux talents humains tels que la créativité, l’art, la compréhension des matériaux et des processus, les goûts exigeants, la compréhension de diverses coutumes et le jugement complexe, ces emplois n’auront rien à voir avec les emplois d’usine auxquels nous pensons aujourd’hui. Ils ressembleront davantage aux « emplois plaisir » dont j’ai parlé au début de ce document.
Ce seront des emplois pour les êtres humains – pas pour les machines. Ce sera des emplois qui défient l’ancienne définition du travail comme «faire des choses que je n’aime pas faire». Ils n’assureront pas le fait que les personnes aiment leur travail partout – ils ne conduiront à aucune utopie. Mais je crois que ces emplois et ces tendances de l’emploi associées aideront à humaniser le travail et faire du monde un endroit meilleur pour travailler.
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