L’économie américaine est la championne du monde. Depuis les années 90, elle croît plus vite que celles des autres pays « riches ». Avant le tournant du siècle, elle représentait deux cinquièmes du PIB cumulé du G7. Aujourd’hui, elle en porte près de la moitié. Même les crises mondiales, financière en 2008 ou pandémique en 2020, ne l’ont finalement que peu affectée sur le plus long terme. Ne serait-ce qu’entre 2013 et 2019, la France aurait ainsi perdu 7 points de productivité par rapport à son alter ego outre-Atlantique. Le rival chinois lui-même est à la peine : alors qu’il avait atteint 75 % du niveau de celui de l’Oncle Sam en 2021, le PIB nominal de l’Empire du Milieu n’en représente maintenant plus que les deux tiers. Les raisons de ce succès sont multiples, mais l’un des leviers de puissance américains est sans conteste d’être un véritable juggernaut technologique. Une position qui est non seulement un facteur d’influence majeur sur les autres économies, mais qui, en plus, a débloqué la productivité de ses propres organisations. L’élection présidentielle du 5 novembre changera-t-elle cette situation ?
Les tensions politiques aux États-Unis n’ont jamais été aussi élevées, et la campagne des prétendants à la présidentielle, l’ancien président Donald Trump et l’actuelle vice-présidente Kamala Harris, n’a fait qu’empirer la fracture entre deux camps de plus en plus irréconciliables. Toutefois, ce conflit à couteaux tirés se concentre principalement sur des sujets de politique intérieure et culturelle. Les deux candidats se retrouvent – même si ce n’est que du bout des lèvres – sur leur volonté de rester une hyperpuissance technologique et d’imposer la sécurité nationale américaine, en termes d’approvisionnement ou de contrôle des données, à leurs partenaires ou rivaux. Dans les grandes lignes et au-delà de toute autre considération politique liée à d’autres affrontements géopolitiques, aucun des deux présidentiables ne remettrait donc en cause la domination actuelle.
Dans un article publié récemment dans The Conversation, Anjana Susarla, professeure en systèmes d’information de l’Université de l’État du Michigan, a détaillé les décisions et promesses que les deux candidats ont pu mettre en avant concernant le futur numérique des États-Unis. S’il y a parfois des différences de parti pris, on remarque que celles-ci restent à la marge de leurs stratégies.
D’abord, concernant les risques des usages de l’intelligence artificielle et de leur réglementation. Kamala Harris s’est ainsi illustrée en insistant sur la nécessité d’encadrer les biais algorithmiques et les risques d’abus, en matière de désinformation ou de discrimination. L’administration Biden, dont elle fait partie depuis quatre ans, a légiféré en ce sens, notamment en pointant « les risques inacceptables d’atteinte aux droits civils et humains et au bien-être des individus » que pouvaient présenter certains systèmes d’IA. Si Donald Trump a, de son côté, annoncé vouloir abroger un décret emblématique de Joe Biden en la matière, il a aussi tenu un discours plus ferme récemment sur les risques et dérives liés à l’IA. Il n’a de toute façon pas attendu la campagne électorale pour soutenir le développement de l’intelligence artificielle. En 2019, son administration avait par exemple fait passer un décret pour mettre en place des instituts nationaux de recherche sur l’IA et doubler les investissements en ce sens.
Ces dernières semaines, le dirigeant populiste s’est surtout différencié à travers son soutien aux crypto-monnaies, au plus grand plaisir des « tech bros », cercles d’entrepreneurs sensibles à cette thématique, qui lient souvent le sujet à d’autres considérations culturelles. Mais c’est plutôt la position des deux candidats sur les pratiques antitrust de leur pays qui pourrait avoir un impact sur l’économie numérique mondiale.
Les administrations Trump et Biden ont l’une comme l’autre intenté des actions contre des géants, notamment Google, pour attaquer les « effets anticoncurrentiels » de leur position dominante. Kamala Harris pourrait vouloir donner suite aux élans récents poussant à un démantèlement de Google, à l’instigation de la jeune présidente de la Federal Trade Commission, Lina Khan, très critique des Gafam. Donald Trump, de son côté, semble plus prompt à faire du sujet des droits de douane vis-à-vis de la Chine, ou même de nations alliées, l’alpha et l’oméga de son approche concurrentielle, en se réjouissant beaucoup plus de la domination de ses champions nationaux.
Finalement, ce ne sont donc peut-être pas les futurs choix de politiques publiques par l’un ou l’autre des présidentiables qui pourraient le plus influer sur la domination du juggernaut technologique américain. Les comportements politiques toxiques, outranciers et extrémistes, qui se sont multipliés depuis l’attaque du Capitole le 6 janvier 2020, signent de plus en plus l’incapacité à coopérer de deux franges de la population américaine et de ses représentants politiques. Peut-être que cette situation pourra rester sous contrôle durant le prochain mandat présidentiel, mais il se pourrait également que les résultats de cette élection mettent le feu aux poudres. Jusqu’à affaiblir durablement le mastodonte économique et sa capacité à diriger les affaires du monde technologique ?