Lancey, jeune pousse grenobloise crée en 2016 qui propose des radiateurs capables de stocker l’énergie électrique pour la réutiliser intelligemment, vient de lever 8 millions d’euros, notamment auprès d’Engie New Ventures. Raphaël Meyer, son fondateur, détaille les modalités de la transformation de son entreprise en scale-up, le passage critique de la vente aux particuliers et les enjeux de développement de la pépite française.
En tant qu’entrepreneur, quel est aujourd’hui votre ressenti vis-à-vis de cette levée de fonds de 8 millions d’euros ?
Raphaël Meyer. Être une start-up revient à courir un marathon au rythme d’un sprint. C’est donc un grand soulagement pour Lancey d’être non seulement parvenu à passer le cap décisif des trois ans d’existence, mais aussi d’avoir réussi cette série A. Dans notre secteur du hardware « sérieux », la quête principale est d’être reconnu comme un acteur fiable et pérenne. Cette levée de fonds, en particulier avec la signature d’un groupe comme Engie, apporte une grande crédibilité. Tout le monde sait qu’ils sont très actifs et engagés vis-à-vis des start-up et personne ne peut dire qu’ils ne savent pas mener une due-diligence ! Pour autant, cette satisfaction n’est pas du triomphalisme : notre quotidien d’entreprise industrielle ne change pas et il y a beaucoup de travail devant nous.
Au-delà de l’investissement, qu’implique cette marque d’intérêt de la part d’Engie ?
Raphaël Meyer. Cela ouvre des possibilités très intéressantes pour pouvoir nous appuyer sur leur réseau commercial, vis-à-vis des particuliers. En effet, notre objectif est de passer à un modèle BtoC dès 2020, mais nous ne souhaitons pas nous lancer dans de la vente en magasin ou sur internet – synonyme de gros volumes mais aussi de péril en matière d’expérience client. Même si l’installation des radiateurs Lancey est simple, nous voulons éviter tout potentiel « bad buzz » et proposer un véritable accompagnement. Le réseau Engie permettra cela dans une approche BtoBtoC. Nous regardons pour avoir également plus de partenaires différents, mais nous sommes déjà très heureux d’avoir pu sanctuarisé cet co-exploitation de notre produit, vu que nous partageons la même vision sur la neutralité carbone.
Vos radiateurs proposent de stocker l’énergie et de la réemployer intelligemment. Comment cela fonctionne-t-il exactement ?
Raphaël Meyer. Chacun de nos radiateurs électriques est doté de batteries lithium-ion pour une capacité de 800 Wh. C’est l’équivalent d’une très grosse batterie de vélo électrique. Cela offre la possibilité de stocker l’énergie électrique – notamment renouvelable, par nature intermittente – quand elle est produite et de la réutiliser à un autre moment, plutôt que de consommer l’électricité du réseau en « heure de pointe » quand elle est la plus chère et la plus polluante. Le radiateur intègre des capteurs et un energy management system permettant d’analyser à la fois la production d’énergie et la consommation des appareils électrique du bâtiment pour optimiser automatiquement le stockage et la réutilisation. Cette fonction stockage est universelle et bidirectionnelle, l’énergie peut donc être réinjecter vers n’importe quel autre usage et équipement. En termes de capacité, cela correspond par exemple à une journée d’énergie pour un réfrigérateur ou plusieurs heures de chaleur pour un logement moyennement isolé. Cette possibilité technologique peut ainsi faciliter les démarches d’autoconsommation.
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Qu’est-ce qui vous fait dire que l’opportunité business est réelle auprès du grand public pour de telles pratiques ?
Raphaël Meyer. D’abord, la question de la transition énergétique a pris une grande importance dans le débat public ces dernières années. Mais à titre individuel, beaucoup de personnes sont dans une phase de frustration et de désarroi, car elles ont l’impression malgré leur bonne volonté d’être confrontées à des contraintes trop fortes ; pour leur voiture, pour leur habitation… Le fait d’offrir des solutions technologiques simples comme la nôtre, cela libère. Ensuite, nous proposons une réelle efficacité économique, de nature à renforcer le parti-pris écologique. Avec ce système de stockage et de réutilisation de l’électricité, on parle de retour sur investissement en 4 à 5 ans pour un logement français moyen en termes d’isolation. C’est extrêmement court quand on sait que certains ROI dans le secteur du bâtiment se calculent sur 30 ans ou plus. Notre doctrine, c’est bien qu’il n’y ait pas de à choisir entre « fin du mois et fin du monde » comme on a pu l’entendre tout au long de l’année écoulée. Le prix grand public n’est pas encore fixé, mais l’objectif est qu’il soit inférieur à 1000 euros pour la version la plus haut de gamme du produit et que l’ensemble soit très accessible. Toutefois, nous n’avons pas l’arrogance de croire que nous avons réponse à tout : ce qu’il manque aujourd’hui, c’est un vrai effet de filière adaptée, qui permette de diffuser cette efficacité écologique à tous les niveaux, par exemple en couplant l’offre de radiateur intelligent avec l’installation de panneaux solaires. C’est ce genre de pratique qui fera vraiment la différence auprès du grand public.
L’utilisation de batterie est-elle en soi vraiment écologique ?
Raphaël Meyer. C’est un pas en avant même si nous ne sommes pas encore 100% satisfait. Par soucis de performance et d’efficacité économique, nous utilisons des batteries Lithium-Ion qui, si elles n’utilisent pas de « terres rares », contiennent tout de même des éléments comme le cobalt que nous jugeons problématiques. Idem sur le recyclage, pour lequel nous voulons aller plus loin. Nous avons d’ailleurs initié avec La Poste, un programme de réutilisation de batteries de vélo électrique, sans remanufacturing, qui a été dévoilé au CES 2019 à Las Vegas. Concrètement, nous multiplions ainsi par trois la durée de vie des batteries. L’étape suivante, ce sera de permettre le recyclage à 100% du carbonate de lithium, qu’on ne sait pas recycler aujourd’hui. Nous y travaillons très sérieusement avec le spécialiste français du recyclage, SNAM. Enfin, nous regardons de près les alternatives au Lithium-Ion, qui s’annoncent basées sur des matériaux plus abondants et neutres écologiquement, comme le Sodium-Ion.
Avec votre levée de fonds, vous visez le marché nord-américain : est-il autant sensible à ces enjeux ?
Raphaël Meyer. La principale adaptation que nous mettons en place pour le marché américain concerne les typologies de forme pour le radiateur et une prise en compte des surfaces de logement, bien différentes de celles des européens. L’un des points structurants va être également de pouvoir proposer plus qu’un radiateur, avec un système de génération chaud/froid : c’est une étape importante de notre roadmap. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il y a vraiment une avance européenne sur ces aspects énergétiques et notamment sur les concepts liés à l’autoconsommation. Pour une fois, on ne parle pas de leadership technologique des GAFA mais de l’Europe ! Nous espérons donc que les avantages économiques et écologiques de technologies comme la nôtre vont accélérer la transition énergétique sur un marché qui s’avère colossal. Nous nous sommes donnés trois ans avec notre partenaire canadien Stelpro, qui s’occupera de la fabrication, pour être présent de façon massive et sur tous les canaux de distributions et sur les deux marchés : USA et Canada. Pour l’export sur d’autres pays européen comme le Royaume-Uni, nous resterons en revanche sur de la fabrication made in France.
A quoi d’autres vont être consacrés les 8 millions d’euros levés ?
Raphaël Meyer. Nous engageons notre transformation en scale-up industrielle. Durant cette mue, nous allons multiplier par presque 10 notre capacité de fabrication et notre capacité commerciale. En ce sens, 2020 sera une année charnière tant du point de vue de la R&D, sur le sujet du recyclage et de la génération de froid, que de l’effort de recrutement. Actuellement, nous sommes un vingtaine, mais nous recrutons 1 à 2 personnes par mois et le rythme va s’intensifier. Nous avons besoin de développer notamment notre force commerciale et marketing pour faire connaître le nom de Lancey et anticiper l’hyper-croissance des ventes. Nous voulons garder un modèle « FabLess », c’est-à-dire sans posséder en propre des usines, mais cela ne nous empêche pas d’avoir un objectif industriel clair : l’an prochain, nous devons avoir fournis 5000 radiateurs au minimum, pour atteindre ensuite les 100 000 radiateurs posés sous cinq ans et prouver que notre vision industrielle et sociétale est réaliste.