Daniel Freyd, directeur des systèmes d’information de Schmidt Groupe, explique comment la mise en place de nouveaux indicateurs a permis d’agir plus efficacement sur l’expérience digitale des salariés, mais également sur celles de très nombreux utilisateurs externes en magasin. Il revient sur la place prise par le sujet dans les échanges avec les autres directions.
Cet article est extrait du Guide “Les défi d’un nouveau monde”, à télécharger ici : Guide Défis « La digital employee experience au Comex »
Vu de la DSI, à quel point le sujet de la digital employee experience vous paraît-il prioritaire ?
C’est un sujet important, d’autant plus qu’il permet de réfléchir plus largement à l’expérience des utilisateurs de nos systèmes d’information au sens large. Je souligne ce point, car en tant qu’industriel qui conçoit, fabrique et distribue les cuisines Schmidt et Cuisinella, notre groupe accompagne deux types d’utilisateurs différents : nos 1 900 collaborateurs internes d’une part, et d’autre part les salariés des concessions qui utilisent également les solutions que nous mettons à leur disposition. Cela représente 5 000 utilisateurs supplémentaires dans ces magasins !
Cette situation justifie d’ailleurs une action forte de la DSI. L’objectif est de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’irritants au quotidien pour ces commerciaux externes. Force est de reconnaître que si le numérique apporte beaucoup de valeur, il peut aussi rapidement mettre beaucoup de freins et provoquer de la charge mentale quand il y a des erreurs ou des frictions à l’usage. En cas de mauvaise expérience, la gêne quotidienne ressentie peut aller jusqu’à des baisses de vente et de motivation, voire du turnover.
Photo : Daniel Freyd, directeur des systèmes d’information, Schmidt Groupe
Concrètement, quelle était la situation et sur quoi avez-vous agi ?
À mon arrivée il y a cinq ans, on m’a fait remonter des tensions, qui devenaient problématiques pour la vente lors des périodes clés, par exemple lors des samedis en fin de mois. Je voyais qu’il y avait un risque de crise, mais il était difficile de brosser un portrait précis de la situation, du fait de l’absence d’indicateurs. Il y avait des symptômes, mais pour être certain d’agir dans le bon sens, il était nécessaire d’en savoir plus.
Nous avons donc mis en place un indicateur de mesure de satisfaction. Avec le parti pris de rester très simple pour l’utilisateur. On lui pose la question : « Comment vous sentez-vous aujourd’hui sur vos outils de travail informatiques ? », et il répond en choisissant entre trois propositions : tout va bien ; moyen ; ça ne va pas. L’enjeu n’est pas de rentrer dans le détail de son expérience, de savoir si c’est la souris, le wifi, ou un logiciel qui pose des problèmes. Le but est plutôt d’avoir un suivi permanent, vivant, qui crée une base quasiment en temps réel de l’usage du système d’information. De façon tournante, tous les utilisateurs se voient donc poser la question une fois par semaine, mais pas toujours au même moment. Et de cette façon, nous faisons le lien entre des événements SI et l’évolution de la satisfaction, de façon beaucoup plus claire.
Vous appliquez la logique de la relation client à l’expérience collaborateur ?
Oui, un tel indicateur, c’est un net promoter score qui soustrait le nombre de détracteurs aux promoteurs, une fois le ventre mou des répondants enlevé. Cela permet d’obtenir une note allant de – 100 à + 100. Quand tout va bien, l’indicateur tourne autour de + 60, quand il y a un problème, d’un coup on voit l’alerte en dégringolant à – 40. C’est un moyen assumé d’être centré sur le ressenti des utilisateurs au quotidien, et non pas sur des logs techniques.
Ensuite, cette approche donne un cap pour piloter la DSI à travers de nombreux aspects : qualité des développements, testing, pertinence des sujets développés, fiabilité des systèmes… La note de satisfaction monte ou descend en permanence. Et nous devons en tirer les conséquences et nous adapter, en permanence également.
Quel impact cela a-t-il pour vos équipes support ?
Sur la partie support, nous avons un help desk interne de huit personnes et le même nombre de collaborateurs pour s’occuper des utilisateurs externes ; sur un total de 90 personnes à la DSI. Pour le support, ce suivi d’indicateurs permet avant tout de se concentrer sur les vrais problèmes à traiter. Comme c’est une approche globale, nous pilotons de cette façon l’impact de toutes les couches IT, des plus basses aux plus hautes : le support a donc une vision plus générale et pertinente de ce qui peut provoquer des demandes d’aide.
Est-ce qu’un tel indicateur est suffisant pour parler de digital employee experience au bon niveau avec le comité exécutif ?
C’est un axe intéressant, mais il y a d’autres points clés. Le groupe Schmidt est une ETI qui, bien sûr, recrute régulièrement. En ce sens, la gestion de l’onboarding des salariés est un moment clé pour bien percevoir ce qui est problématique ou frustrant, avec un regard neuf.
Nous proposons à chaque nouveau collaborateur de bénéficier d’un mentorat avec un membre du comité de direction ou l’un de ses N – 1, qui ne soit pas de la même direction que la recrue. Cela permet d’échanger sur le quotidien et l’expérience, sans avoir le prisme métier partagé. Après quelques mois, les nouveaux arrivants viennent présenter leur rapport d’étonnement au comité exécutif. On découvre alors des réactions parfois étonnantes, mais également des points de tension qui reviennent plus systématiquement, comme la complexité du SI, le nombre d’outils, la difficulté à accéder à l’information… Dans ces cas-là, je suis toujours aux côtés des utilisateurs, car cela permet de passer les bons messages efficacement.
Quels sont ces messages ?
Le message que je porte au comité exécutif dans ce cas-là, sont : quelle gouvernance a-t-on mise autour de tous les outils que l’on utilise ? Qui sont les référents ? Qui embarque les nouveaux arrivants ? Qui explique l’expérience et les outils ? Cela implique non seulement d’avoir une bonne connaissance des outils en question, mais aussi d’avoir bien identifié qui peut jouer ce rôle efficacement.
En complément, la DSI a un rôle important à jouer sur la maîtrise des usages. Nous devons être capables de suivre la pertinence et donc le taux d’utilisation des outils. Rationaliser, supprimer, utiliser différemment… C’est en ayant cette connaissance et cette exigence que l’on peut pousser les métiers à s’organiser autour de key users, de référents… De manière générale, l’un des messages clés sur lesquels je reviens souvent est le fait que le fond du sujet, c’est moins l’outil en lui-même que tout ce qui va en réalité tourner autour.
Quelle écoute avez-vous au comex sur de tels sujets d’expérience utilisateur ?
L’écoute est là quand on amène des preuves concrètes de l’expérience. Il est nécessaire d’avoir des éléments factuels qui permettent de parler, non pas de détails techniques ou de coût de licences, mais de ce que l’utilisateur vit, ressent… Le DSI doit montrer qu’il n’est pas centré sur les outils et la technique, mais justement sur l’expérience quotidienne des utilisateurs et la valeur qu’ils en retirent. Et c’est là que les équipes IT entrent dans le dur, car il faut pouvoir fournir des métriques et ce n’est pas simple. C’est pour cette raison que je martèle à mes équipes que nous devons trouver les moyens pour suivre précisément l’usage de chaque outil, même quand il s’agit du legacy.
Dès que l’on s’éloigne d’un dialogue autour de ces preuves pour le comex, cela devient vite contre-productif. Pour le support par exemple, le sujet du ticketing, et de ses statistiques, est sans doute le meilleur exemple de ce qu’il ne faut pas présenter au comex. Cela peut être encore un réflexe au sein des DSI, mais c’est contre-indiqué. C’est aussi pour cela que j’essaie de développer le business acumen au sein des équipes IT, et l’empathie vis-à-vis des utilisateurs, plutôt que seulement l’expertise technique. Je ne veux plus entendre répondre à un utilisateur : « Il suffit de lire la notice », face à une mauvaise expérience sur un outil. Les smartphones et le SaaS sont passés par là, en étant à chaque fois centrés sur l’expérience utilisateur. On ne peut pas ignorer à partir de là ce qui sert de point de référence à tous les collaborateurs.
Les employés sans bonne expérience digitale fournie par la DSI iront d’ailleurs chercher une expérience tierce et créeront du shadow IT. C’est un point que la DSI se doit de maîtriser, pour une question de cybersécurité autant que de coût. C’est un autre argument audible au niveau du comité exécutif. Or, comme la DSI ne peut pas toujours tout verrouiller ou surveiller, elle doit se montrer proactive et laisser la porte ouverte pour s’appuyer sur les idées qui remontent du terrain. Et ne pas s’arc-bouter sur le dogme du catalogue IT, qui ne joue pas toujours un rôle idéal.
Qu’est-ce qui aide le plus les équipes IT à évoluer en ce sens ?
Le fait de passer le message de façon cohérente et continue pousse au changement. Nous n’avons pas spécialement déployé de formations sur le sujet. Est-ce que cela permettrait d’aller vraiment plus loin dans l’acculturation ? Je ne suis pas certain. En revanche, je vois que les équipes qui ont basculé dans un mode de fonctionnement agile, celles qui réalisent sprint après sprint, basés sur des user stories, parviennent à de meilleurs résultats sur ces sujets. Elles sortent rapidement de la psychologie du support, pour être dans une dynamique de coconstruction et de satisfaction autour d’un livrable.
Par ailleurs, je pense que pour la DSI, la direction des ressources humaines est un allié de poids afin de promouvoir le bon niveau de conviction sur la digital employee experience. Après tout, l’idée est de faciliter la vie des employés, de faciliter leur onboarding, de faire en sorte que la transmission d’information soit simple et que les outils clés soient à disposition avant même le premier jour… Autant de sujets qui pèsent pour la DRH autant que pour la DSI et qui doivent faciliter leur alignement. C’est donc vraiment un bon sponsor, car il permet de faire prendre de la hauteur au sujet.