La sixième édition à l’hippodrome de Longchamp de la Rencontre des entrepreneurs de France a donné l’occasion à une centaine d’intervenants de débattre sur le thème du pouvoir. La question numérique tenait une bonne place. Reportage.
Si le bruit des sabots des chevaux galopant et se tirant la bourre était absent, l’intérêt n’en était pas moindre, ces lundi 26 août après-midi et mardi 27 août à l’hippodrome de Longchamp, en lisière du bois de Boulogne.
Pour la sixième année, La Rencontre des entrepreneurs de France (La REF), organisée par le Medef, se déroulait dans l’enceinte de courses de chevaux, dans une ambiance chic, détendue et attentive.
Attentive car il était nécessaire de l’être avec les vingt débats et keynotes programmés et la centaine d’intervenants recensés qui se sont succédé pour les animer. Les discussions, retransmises également sur les écrans géants, bordés par le terrain de courses d’un côté et la tribune de l’autre, ont porté autour du thème du pouvoir, comme celles intitulées La nouvelle carte des pouvoirs, Le pouvoir des jeunes entrepreneurs ou Le pouvoir à parité ?
Ainsi les réflexions ont porté sur les découvertes scientifiques et technologiques qui changent notre manière de comprendre le monde et ce dans tous les segments de la société. Mais ces avancées s’accompagnent de questions éthiques, sociales et environnementales. Ces changements sont-ils forcément positifs ? Comment la science et la technologie peuvent garantir un avenir durable et équitable ?
Réussite entrepreneuriale et crainte des fake news
Les gradins n’étaient évidemment pas remplis comme un jour de Prix de l’Arc de Triomphe, mais le public a manifesté sa présence par des applaudissements spontanés lorsque certains intervenants faisaient particulièrement preuve d’éloquence ou d’à-propos. Comme Hélène Duby, cofondatrice et directrice générale de la société d’exploration spatiale The Exploration Company. Sa société est passée de quatre salariés à cent cinquante en trois ans et cumule déjà 750 millions d’euros de contrat. Les présentations chiffrées faites, la compagnie d’Hélène Duby souhaite faire du fret spatial à l’horizon de la fin 2027 grâce à une capsule réutilisable sur le modèle des aéronefs de SpaceX. Et à la question récurrente qu’est-ce qu’on va faire là-haut ? la directrice générale s’est gagné les faveurs du public en faisant remarquer que « la rentabilité des missions Apollo a été de 700 % ! »
Éric Rochant a lui aussi su conquérir son public dans un autre débat nommé Le Pouvoir du faux à l’assaut de la démocratie. Le scénariste, réalisateur, producteur et showrunner (Les Patriotes, Le Bureau des légendes…) a regretté de constater que « la vérité n’intéresse plus personne. » Face à l’avalanche du faux, des fakes news, des deepfakes, alimentés par des IA de plus en plus puissantes, il signale que le problème de « la vérité est qu’elle n’est pas révélée, il faut aller la chercher. » Et que la plupart du temps, « elle est difficile à entendre et ne va pas dans notre sens ou nos désirs. » Et le cinéaste de conclure : « la vérité est une fiction parmi d’autres. Elle est une contrainte dont nous ne voulons plus, aliénés que nous sommes par les réseaux sociaux. »
Une deepfake pour faire acheter à son boss des cryptomonnaies
Dans ce même débat, Jacques Pommeraud, président-directeur général d’Inetum, une société de 28 000 collaborateurs répartis dans 29 pays du monde qui promeut « l’impact digital », pense que ce règne du faux qui s’annonce concerne les entrepreneurs au premier chef : « Il y a moins d’un mois, mon supérieur a reçu un coup de fil par Facetime de ma part lui demandant d’acheter des cryptomonnaies. Heureusement il a eu la présence d’esprit de m’appeler avant d’exécuter tout ordre. » Contrairement à ces dirigeants d’une multinationale de Hong Kong qui se sont fait dérober 25 millions d’euros au début de l’année par des escrocs utilisant des deepfakes pour se faire passer pour des cadres supérieurs de cette société. Si l’on devait résumer les interventions sur ce débat à propos du faux, ce serait « et on n’a encore rien vu. »
Savoir, c’est pouvoir ?
Après une pause repas « food trucks » sur la pelouse jouxtant la tribune, la concentration revient vite de mise avec les derniers débats lors de la troisième demi-journée. Au menu : Les contre-pouvoirs ont-ils encore du pouvoir ? Le pouvoir de l’engagement, quand les patrons s’engagent et Savoir, c’est pouvoir ? C’est ce dernier débat qui nous a particulièrement intéressé. Il est présenté ainsi dans le programme : « Le savoir est devenu non seulement un élément de productivité économique mais aussi un élément de légitimation des décisions politiques. Pour autant, le savoir tel qu’il était transmis auparavant s’accompagne de plus en plus d’un savoir partagé, transmis via les réseaux sociaux, qui confère à ses promoteurs un nouveau pouvoir. Comment le contrôle et l’accès au savoir façonnent-ils les relations de pouvoir ? »
Pour y répondre, Charlotte Campanella, présidente France de Galileo Global Education demande de faire appel plus que jamais à l’esprit critique, au discernement et au savoir-faire. Tandis que Pierre Louette, président-directeur général du groupe Les Echos-Le Parisien répond ainsi à cette question, Savoir, c’est pouvoir ? qui pourrait figurer au bac de philosophie : « Nous sommes passés en trois cents ans d’une situation de confiscation du savoir qui était peu partagé et une corrélation très forte entre savoir et pouvoir. La société s’inscrivait ainsi dans une verticalité à la fois du savoir et du pouvoir. Aujourd’hui, nous sommes dans l’horizontalité qui fournit un terreau de propagation aux faits alternatifs. » Et le PDG du groupe de presse de regretter la perte tendancielle de ses deux notions, le savoir et le pouvoir. Ce n’est pas tout à fait l’avis de Gaspard G, vidéaste, créateur de contenus et entrepreneur. Pour lui, le fait que chacun puisse être un passeur de savoir permet une meilleure représentation de chacun dans la société.
30 000 personnes utilisent ChatGPT tous les jours chez l’Oréal
Une autre question, Technologie et IA, quel pouvoir de contrôle ? diffusée sur la télé des Entrepreneurs de France, a aussi retenu notre attention. Camille Kroely, chief officer digital and marketing chez L’Oréal France a, au préalable, détaillé l’utilisation de l’IA chez la marque de luxe comme outil de personnalisation de l’expérience client, mais aussi de simplification des process au niveau marketing ou même lors des tests de coloration capillaire en laboratoire. Elle a ensuite énuméré certains des sept principes de bonne gouvernance de l’IA chez l’Oréal comme la surveillance humaine, la non-discrimination et l’équité, ou la confidentialité des données. Le résultat, c’est qu’il est nécessaire d’acculturer les salariés à ces évolutions rapides de la technologie. Ainsi, 150 000 heures de formation au digital ont été dispensées pour les employés de l’Oréal en 2023, révèle Camille Kroely et 30 000 d’entre eux utilisent au quotidien une version sécurisée de ChatGPT. Gageons que 2024 battra ces records.