Plusieurs études pointent les inégalités entre les territoires en France dans l’accès au haut débit. Si elles ne sont pas contestées, partenariats public-privé et patience semblent les seuls moyens d’atténuer les plus criantes.
Début janvier, le bureau d’études Altetia, spécialisé en ingénierie télécoms et systèmes d’information, annonce avoir mis en oeuvre à la mairie de Vincennes « le premier projet d’accueil unique multicanal » (visite physique, téléphone, courrier, e-mail, Internet…) pour gérer toutes les demandes administratives des citoyens. Le numérique pénètre de plus en plus la vie des collectivités et de leurs administrés. Mais un tel service pourrait-il être proposé par une commune rurale de Lozère, de Corrèze ou du Gers ?
Accessibilité renforcée
En septembre 2013, dans son rapport « Les territoires numériques de la France de demain » *, remis à la ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot, Claudy Lebreton écrit : « Force est de constater que les individus ne sont pas égaux face aux technologies numériques. » Outre les inégalités d’usages, le président de l’Assemblée des départements de France évoque « la fracture dont souffrent les territoires ruraux dans l’accès au très haut débit fixe et mobile », jugeant illusoire d’imaginer que la fibre optique pourra être disponible dans tous les territoires, dans un futur proche, et que le risque existe que les zones blanches de la téléphonie mobile deviennent aussi des zones blanches de l’Internet. En décembre, le baromètre 2013 de l’Assemblée des communautés de France (ADCF) et du bureau d’études Ocalia, enfonce le clou.
Si les collectivités interrogées ont fortement progressé en dix ans en matière d’équipements et de ressources consacrées à leurs projets numériques (dématérialisation de procédures financières, gestion du personnel, commandes publiques…), seule une communauté sur dix affirme avoir investi dans la dématérialisation des services aux citoyens. Surtout, les deux tiers indiquent que le réseau mobile n’est pas accessible sur certaines parties de leur territoire, et un quart être intégralement couvert en haut débit (contre un tiers en 2009). Directeur de SFR Collectivités, Cyril Luneau ne conteste pas cette perception : « La demande d’usages a explosé avec l’essor des smartphones, ou en fixe avec le triple play. Ceux qui ne disposent pas d’une qualité de service optimale pour ces besoins croissants s’estiment donc mal couverts. Sur ce plan, des inégalités existent, mais la majorité des départements agit car le numérique est un vecteur d’attractivité. Cependant, les écarts pourraient se creuser si certains investissent massivement pour le déploiement d’infrastructures très haut débit et d’autres pas. » Un risque que pressent également son homologue, Bruno Janet, directeur national des relations avec les collectivités locales d’Orange, pour qui les inégalités se compensent à la fois par des complémentarités techniques et financières (public-privé). « Il y a dix ans, 60 % des Français bénéficiaient d’un accès haut débit. Aujourd’hui, 99,7 % d’entre eux le peuvent grâce à un cocktail de technologies combinant ADSL, montée en débit, satellite… S’ils ne l’ont pas, c’est souvent qu’ils ne veulent pas choisir les solutions satellitaires ! Cet écart comblé, il faut éviter d’en recréer un avec le très haut débit. » Certaines régions l’ont déjà compris. L’Auvergne, par exemple, a signé en 2012 une convention avec Orange pour passer au très haut débit. Une convention-type nationale a été publiée en octobre 2013 pour encadrer les déploiements de réseaux fibre aux abonnés (FFTH) d’Orange et SFR dans 3 500 communes françaises, soit 57 % de la population. La première convention de ce plan « France très haut débit » a été signée par Lille Métropole le 28 octobre, afin de connecter, d’ici à 2020, 85 communes (11 Orange, 70 SFR et quatre tous opérateurs).
Enjeux transversaux
Pour Philippe Sajhau, vice-président Smarter Cities d’IBM France et président du comité Ville numérique du Syntec Numérique, syndicat des professionnels, « ces initiatives vont irriguer en numérique les territoires », transformant, selon lui, les fractures en simples écarts dans l’accès équitable à tous types d’usages, quel que soit l’endroit où l’on habite. « En mutualisant l’organisation au niveau des régions ou des métropoles, chefs de file du développement économique, l’ensemble du territoire sera tiré vers le haut et profitera d’une plus large démocratisation des usages. Sous réserve que ces institutions se dotent de responsables à la vision transversale pour bien cerner enjeux et problématiques. » Pour les acteurs du secteur, il appartient en effet aux collectivités de définir l’étendue de leurs besoins actuels (dématérialisation des appels d’offres, état civil…) et futurs (e-santé, e-formation…), en vertu d’un cahier des charges et d’un calendrier précis, en vue d’élaborer des plans d’investissements partagés entre public et privé. Car, c’est vers elles, d’abord, que se tournent leurs administrés ou les entreprises, en cas de difficultés d’accès aux réseaux.
Dans le Limousin, par exemple, jugé « non attractif » en 2000 par les opérateurs de télécommunication, un syndicat mixte, Dorsal, s’est spécifiquement créé pour bâtir un schéma directeur haut débit, puis a délégué en 2005 la réalisation et la gestion du réseau pour vingt ans à Axione Limousin, filiale d’Axione Infrastructures, avec trois objectifs : dégroupage ADSL, résorption des zones blanches ADSL et développement du très haut débit pour les entreprises. Le coût total du projet devrait avoisiner 85 millions d’euros, financé à 55 % par le concessionnaire et 45 % par des fonds publics. A son achèvement, 99 % de la population et 100 % des sociétés de plus de vingt salariés bénéficieront du haut débit. 90 % des entreprises de plus de 100 personnes seront raccordables à la fibre optique. Cette ambition facilite les expérimentations (lire encadré). Mais, pour Jacques- François Marchandise, directeur de la recherche et de la prospective de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing), la réduction des inégalités ne doit pas se limiter aux seules infrastructures : « Il est nécessaire de favoriser une meilleure maîtrise des enjeux et cultures numériques par les acteurs et décideurs des territoires. La question n’est pas seulement de faire du “plus numérique” mais du “mieux numérique”, avec des “indicateurs de développement humain” numériques permettant de comprendre la pertinence des politiques publiques dans des champs comme l’innovation, l’inclusion, la contribution, les mobilités… L’humain reste l’investissement d’avenir le plus important. »
* www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/ 134000628/index.shtml
Photo : Jacques Léone
Cet article est extrait du n°7 d’Alliancy, le mag