Replacer la RSE au cœur des projets IA, un enjeu majeur 

 

L’IA offre d’importantes opportunités pour les modèles d’affaires, les processus internes, l’innovation, les compétences… Pourtant, l’urgence et le manque de réflexion globale en freinent l’impact et amplifient des risques stratégiques et sociétaux évitables. En mobilisant la RSE comme acteur clé et en alignant IA et ESG, les entreprises peuvent transformer ces défis en opportunités pour renforcer leur compétitivité, leur résilience et leur impact positif à long terme. 

 

Alors que l’IA est omniprésente, son intégration dans une stratégie durable est encore largement guidée par des impératifs technologiques et tendances du marché, plutôt que par une vision alignant innovation, responsabilité et transformation. Tel est le constat dressé par Ana Semedo, Responsable IA au sein de l’Institut G9+ et Managing Partner chez I L Expansions, dans un rapport intitulé « AI for Green & Green for AI – Complément RSE&IA ». Ce rapport de l’Institut G9+ a été publié en partenariat avec le Cigref, le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), le Hub France IA, Numeum / Planet Tech Care et la FFSCN (Fédération Française des Sociétés de Conseil Numérique). Neuf entretiens, réalisés avec des personnes en charge de la RSE dans de grands groupes français, ont permis d’explorer des thèmes essentiels : la relation entre RSE et technologies et entre RSE et innovation, la place de la RSE dans les organisations, les projections à moyen et long terme, les craintes liées à l’éthique et à l’environnement… 

 

IA : construire une vision alignée sur les besoins métier plutôt que de succomber à la « fabrique de l’émerveillement » 

 

Le rapport commence par dénoncer la « fabrique de l’émerveillement » poussée par le marketing irrésistible des majors technologiques. « L’IA illustre une dynamique qui s’est amplifiée depuis le Web et surtout le Web 2.0 : les innovations sont introduites via un marketing séduisant et massif des majors technologiques, souvent orientées vers les équipes techniques, numériques, achats. L’IA, perçue comme sujet technologique, s’oriente vers ces directions, avec une faible implication d’autres métiers », déclare Ana Semedo. La conséquence est simple : au lieu de construire une vision alignée sur les besoins et atouts de l’entreprise, ces technologies sont utilisées « comme des produits standardisés », réduisant leur potentiel transformateur. Qui plus est, l’IA s’accompagne très fréquemment de problématiques habituellement confiées à la RSE, comme les thématiques de l’équité, de l’inclusion, de la diversité. Or, ces enjeux sont souvent réduits à une question de conformité et relégués au service juridique. 

 

Une surconsommation intenable en énergie et en infrastructures

 

Par ailleurs, l’adoption extrêmement rapide de l’IA impacte le corps social de l’entreprise, divisant les collaborateurs et amplifiant les tensions organisationnelles. « Quels bénéfices pour ceux qui l’adoptent ? Quels impacts pour les autres, leur carrière, leur engagement ? Quelles conséquences sur l’efficacité des formations, rapidement obsolètes, et sur le sentiment croissant d’être ‘toujours en retard’ », questionne Ana Semedo. Enfin, l’adoption massive de LLM et d’IA gourmandes en calcul intensifie une surconsommation intenable en énergie et en infrastructures. « Bien que largement commentée, cette surconsommation reste déconnectée des décisions et actions. Les effets rebond, amplifiés par des usages et des inférences croissants, sont également sous-estimés. Ainsi, plus nous cédons à l’émerveillement face à ces outils, plus nous contribuons à une dynamique énergétique insoutenable », commente Ana Semedo. En France, alors que de nombreux plans sociaux ont lieu, réduire l’IA à un simple levier de productivité ne ferait qu’aggraver la situation. « Libérer un regard créatif et audacieux, c’est ouvrir la voie à des transformations majeures : repenser les chaînes de valeur pour réinternaliser des activités, concevoir des produits et services respectueux de la planète, décarboner les processus, acquérir de nouvelles compétences et replacer l’intelligence collective et la technologie au cœur des enjeux sociétaux et environnementaux, sans compromettre la performance économique », rappelle Ana. Semedo. 

 

Quatre recommandations pour atteindre une IA raisonnée 

  

La RSE peut apporter à cette vision un regard précieux, contribuer à poser les bonnes questions dès l’amont et à mieux maitriser les risques. Dans ce contexte, le rapport formule quatre recommandations stratégiques pour atteindre une IA raisonnée. La première recommandation est de faire émerger une « RSE conceptrice ». Cela consiste à intégrer la RSE dès l’amont des projets IA pour transformer les chaînes de valeur et coconcevoir des usages alignés sur les valeurs ESG. « À mesure que l’IA redéfinit les frontières de l’innovation, intégrer la RSE dès l’amont des projets technologiques devient une nécessité stratégique. Une ‘RSE conceptrice’ contribuera à repenser les processus, les produits et les chaînes de valeur à travers le prisme de la durabilité. Ce positionnement audacieux place la RSE au cœur de l’innovation et de la transformation, en alliant impact environnemental, cohésion sociale et performances économiques », peut-on lire dans le rapport. La « RSE conceptrice » repose aussi sur un changement culturel et organisationnel profond. Sa mission peut être confiée à une fonction spécifique ou à un collectif. Elle ne remplace pas les métiers, mais agit comme un partenaire stratégique, orientant les entreprises vers des modèles économiques résilients et durables. Elle implique notamment d’adopter une approche systémique de la durabilité, de mettre en place une mesure d’impact net ambitieuse et de transformer la RSE, souvent perçue comme un frein à l’agilité technologique, en un levier d’innovation et d’accélération durable. 

 

Piloter l’impact environnemental de l’IA 

 

La deuxième recommandation formulée par le rapport est de piloter l’impact environnemental de l’IA. Pour cela, la mise en place d’une gouvernance claire et ambitieuse est nécessaire. La première étape est de comprendre précisément les effets que l’IA génère, tout en identifiant les limites actuelles : comprendre les impacts réels, dans toute leur diversité, prendre conscience des limites actuelles (lacunes dans les moyens de mesure, le recyclage, l’économie circulaire…) et dépasser la confusion entre « numérique responsable » et « IA responsable », ce qui implique d’adopter des cadres spécifiques pour l’IA. Pour réduire l’impact environnemental et garantir une cohérence éthique, il est par ailleurs essentiel de développer un modèle global, cohérent avec les valeurs de l’organisation. Ce modèle repose sur plusieurs axes stratégiques comme la promotion de l’IA frugale, en s’inspirant par exemple d’initiatives comme l’AFNOR SPEC IA Frugale. Cela passe aussi par la maîtrise des risques éthiques, en garantissant que les projets IA intègrent dès leur conception des mécanismes juridiques, organisationnels et pratiques pour limiter les biais, assurer l’équité et respecter les valeurs organisationnelles. Enfin, au-delà de la sensibilisation, la mise en œuvre de programmes de formation avancés sur les impacts environnementaux et éthiques (biais, équité, transparence…), permet de renforcer l’engagement des collaborateurs envers des pratiques alignées avec les valeurs de l’entreprise.  

 

Transformer la CSRD en levier stratégique et construire un socle solide et cohérent 

 

La troisième recommandation consiste à transformer la CSRD en levier stratégique. Il est nécessaire pour cela d’exploiter cette directive afin de mobiliser l’intelligence collective, améliorer la gouvernance des données et renforcer l’alignement entre innovation et durabilité. Enfin, la quatrième recommandation est de construire un socle solide et cohérent qui accompagne les entreprises dans leur transition. Ce socle repose sur trois axes principaux : la gouvernance technologique, la mobilisation collective et les partenariats stratégiques. 

« Ce socle de fond vise à ancrer les transformations dans des pratiques solides, collaboratives et alignées sur les valeurs ESG. Il garantit que la mise en œuvre des recommandations transformatrices se fait dans un cadre structuré, assurant ainsi la durabilité et l’efficacité des actions entreprises », conclut Ana Semedo.