Autour de la data, métiers et département IT doivent plus que jamais s’entendre pour mettre en place une stratégie cohérente et permettre à l’entreprise d’accélérer sa transformation. Car quand cela coince, les arbitrages ne se feront pas toujours en faveur du leadership d’une DSI en pleine mutation. Franck Dupin, chief data officer de Rexel, revient sur son expérience en la matière.
Il y a 5 ans déjà Patrick Bérard, Directeur Général du groupe Rexel, expliquait à Alliancy la transformation fondamentale dans laquelle s’était lancée son entreprise. La philosophie même de l’activité devait alors être refondue, pour « éviter de devenir le prochain Kodak ». Le chemin a été intense : le digital apporte aujourd’hui plus de 14% des 13,3 milliards d’euros de vente du spécialiste des équipements du monde du matériel électrique… issues d’un site qui fédère près d’un million de visiteurs mensuels.
Aller plus loin que la digitalisation
Cette digitalisation progressive n’est cependant qu’un premier pas, que Rexel doit faire entrer en synergie avec son ambition de proposer de véritables « solutions » cohérentes, multi-marques, multi-services, à ses clients professionnels, plutôt que seulement une addition de produits. En filigrane, l’entreprise repense donc toute son expérience client pour traduire cette proposition de valeur. « Comme beaucoup de grandes structures, Rexel fait face au monde qui change en BtoB, jusque dans les bâtiments et les chantiers, dans la continuité de ce que les gens ont vécu en BtoC » a ainsi témoigné Franck Dupin, chief data officer de Rexel, lors d’une matinée organisée par le jeune éditeur français Akéneo en fin d’année. « En tant que chief data officer, je suis par extension en charge de l’expérience client et de l’expérience produit, qui sont aujourd’hui lié profondément au fait d’accéder à de l’information numérique. Or, la complexité du BtoB créé une attente à combler vis-à-vis de ce point, pour les marques comme pour les distributeurs, qui va bien au-delà de la traditionnel référence produit, si on veut imaginer une « solution » intelligente et utile » explique-t-il.
En quelques années, Rexel a donc dû repenser en profondeur sa stratégie data, consciente du risque de « désynchronisation fatale » qui allait finir par se présenter entre ces attentes – presque inconscientes – du côté de ses clients électriciens et installateurs et la réalité de catalogues produits complexes et d’agences qui travaillaient sans aucun « contenus » autour des produits. « Le point de départ a été de se dire qu’il fallait adopter des réflexes BtoC et une stratégie de contenu. Mais cela nécessite de collecter et d’harmoniser les sources de données, pour avoir une vérité unique au niveau de notre information » détaille Franck Dupin. Au-delà de cette conviction, se joue alors pour Rexel un choix auquel sont confrontés de très nombreuses entreprises : comment porter un sujet data qui tend historiquement à tomber dans le pré-carré de la DSI ?
« Est-ce vraiment du « Master Data Management » vu par le prisme IT, dont a besoin un chief data officer à ce stade ? La réalité c’est que les métiers ont acquis énormément d’expertise sur la partie data en quelques années et cela génère une très grande frustration sur des roadmaps IT sclérosée, sans interface métier et marketing au point, et qui continue de s’étendre interminablement sur des années et des années » épingle Franck Dupin.
[bctt tweet= »Franck Dupin (Rexel) « Comme beaucoup de grandes structures, Rexel fait face au monde qui change en BtoB, jusque dans les bâtiments et les chantiers, dans la continuité de ce que les gens ont vécu en BtoC » » username= »Alliancy_lemag »]Une autarcie des métiers sur la data produit ?
En termes de stratégie data, c’est bien ce sentiment d’être coincé, qui a poussé le CDO a demander la mise en place d’un outil complètement à la main des métiers, permettant de se passer de la vision IT sur la data produit. Quitte d’ailleurs à se lancer sur de l’innovation avec des jeunes acteurs locaux, comme Akeneo, qui en 2015 lors des premiers choix de Rexel, comptaient seulement quelques salariés à Nantes. « On leur a demandé beaucoup, très vite, mais cela nous a permis de nous prouver que l’outil était suffisamment solide pour ce que nous voulions faire » reconnait le CDO de Rexel. Lui qui interdit aujourd’hui à ses équipes d’utiliser Excel pour ne pas « industrialiser l’erreur » autour des données, insiste sur l’importance d’avoir laissé les métiers à la manœuvre avec un tel logiciel de PIM (Product Information Management). « La capacité à créer de nous-même en quelques minutes les nouveaux attributs pour nos produits plutôt que d’avoir à gérer une relation compliquée et lente avec l’IT a été essentielle. Après avoir défini nos standards, nous sommes passés en quelques mois de 50 000 attributs produits chez Rexel… A plus de 8 millions ! » indique-t-il. De quoi changer en profondeur la granularité de l’information et, en rebond, l’expérience utilisateur sur le site. Face à cette proactivité, les fournisseurs de Rexel se sont d’ailleurs adaptés au pas de charge, et cela a servi de déclencheur pour que les acteurs de l’écosystème de l’entreprise se mettent à travailler ensemble vers des objectifs de standardisation beaucoup plus poussés.
Le message pour la DSI est clair : l’adaptation aux rythmes et ambitions métiers ne doit plus rester une vague promesse chez les entreprises aux activités traditionnelles, au risque de voir se multiplier des court-circuitages en règle sur des sujets pourtant stratégiques, comme la vision et la cohérence data des produits de l’entreprise. Le cas de Rexel prouve en tout cas que les arbitrages en ce sens peuvent rapidement remonter au plus haut niveau. Franck Dupin ne s’en cache pas : « Notre parti pris a fonctionné parce que nous avons pu fonctionner en autarcie complète sur ce projet. En tant que CDO j’ai pu faire tous les choix qui s’imposait ; et ce parce que le directeur général lui-même nous a encouragé dans ce sens, avec beaucoup de bienveillance ».