Depuis l’annonce du plan Deeptech par le gouvernement en début d’année dernière, les initiatives pour pousser les scientifiques à entreprendre se sont renforcées. Parmi elles, la formation DeepTech Founders, fondée en 2018 par deux scientifiques-entrepreneurs, Xavier Duportet (fondateur d’Eligo Bioscience et d’Hello Tomorrow) et Robert Marino (CEO de Qubits Pharmaceuticals). Alliancy s’est entretenu avec Robert Marino pour comprendre cet engouement pour la DeepTech en France et mesurer l’impact de la crise sur ce secteur.
Alliancy. Quel est l’objectif de votre formation « DeepTech Founders » ?
Robert Marino. L’idée de créer DeepTech Founders est venu à Xavier Duportet en 2018, à force d’être sollicité par de nombreux fondateurs de start-up et des entrepreneurs dans le cadre du réseau Hello Tomorrow, qu’il a fondé en 2011. Notre objectif est de permettre à des scientifiques entreprenants de mieux appréhender ce qu’est la création d’une start-up deeptech, de les aider s’ils se décident à se lancer, de les connecter à tous les acteurs de l’écosystème et de soutenir la croissance des jeunes pousses déjà créées. Au cours d’une formation accélérante de six mois, ces scientifiques se rendent compte par eux-mêmes s’il est possible de se lancer et si leur invention répond à un vrai besoin sociétal.
Notre intention n’est pas de recréer un parcours académique classique, mais bien une formation pratique qui permette de réduire la distance à l’entreprenariat. Pour cela, nous mobilisons une communauté de scientifiques qui ont créé des entreprises pour faciliter les retours d’expérience. C’est important d’avoir un maximum de partages car personne n’a encore trouvé de recette magique. Il y a de nombreuses choses à savoir sur les périodes difficiles à surmonter, mais aussi les moments les plus valorisants. La multiplicité des retours est très enrichissante pour ceux qui souhaitent se lancer et cela permet de démystifier l’aventure entrepreneuriale : c’est faisable mais pas simple !
Il y a seulement 300 start-up deeptech créées par an en France et nous pensons que le plus gros frein pour se lancer, c’est le manque d’informations, de relations dans l’écosystème et de communication. L’entrepreneuriat est extrêmement compliqué et c’est d’autant plus le cas en matière de Deeptech car le temps de développement d’un produit est très long. En réalité, les briques technologiques sont là et le scientifique sait que c’est faisable mais c’est très difficile de se lancer sans savoir si le projet va aboutir et si cela en vaut vraiment le coup. Cela demande beaucoup de ténacité car les problématiques technologiques et scientifiques autour de la Deeptech sont marquées par l’incertitude. En R&D, la peur de l’échec est normale mais par contre, si un projet marche, les entrepreneurs peuvent s’assurer d’être les seuls sur leur marché.
Le montant des levées des Deeptech a doublé en trois ans dans le monde… Est-ce que vous avez constaté un regain d’intérêt des investisseurs pour la Deeptech ?
Robert Marino. Oui, complètement. Le numérique pur commence à ralentir en termes de profitabilité et les boîtes sont de plus en plus chères. Une bulle numérique commence à se créer, il faut donc trouver de nouveaux relais de croissance. En France, l’entrepreneuriat scientifique a toujours été très présent. Mais aujourd’hui, c’est une tendance qui redevient à la mode. En 2009, l’Etat a lancé le Fonds national d’amorçage, puis le plan Deeptech l’année dernière. Cela a permis de relancer l’intérêt pour les entreprises issues des laboratoires de recherche. C’est aussi un effet direct de la diminution du coût de recherche qui permet de faire des découvertes sans avoir nécessairement besoin de laboratoires de recherche académiques.
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Par exemple, aujourd’hui faire du hardware quantique sans être adossé aux laboratoires de recherche académiques est quasi impossible, étant donné les moyens élevés nécessaires. Mais dans d’autres domaines comme en biotech, il existe de nouveaux moyens pour innover qui ont vu leurs coûts s’effondrer, notamment le séquençage de l’ADN. Il n’y a bien sûr pas de Deeptech possible sans excellence scientifique au départ. Mais c’est plutôt positif de voir des entrepreneurs qui partent des besoins du marché pour développer une technologie et ouvrir de nouveaux partenariats.
De manière générale, les problématiques liées à la transformation des mentalités dans les laboratoires de recherche sont les mêmes que celles rencontrées dans les grands groupes en matière de transformation numérique. Ce n’est pas une tâche facile mais cela commence à prendre.
Est-ce que les chiffres encourageants de la Deeptech en début d’année ont été ternis par la crise ?
Robert Marino. L’écosystème de la Deeptech, et plus généralement des start-up, est encore en pleine situation d’incertitude. Pour l’instant, les investisseurs sont plutôt attentistes et ils ne veulent surtout pas rater les bons deals. Il faudra voir comment la crise évolue les prochains mois. Pour DeepTech Founders, le confinement nous a poussé à rendre notre programme 100% digital, en facilitant d’autant plus l’accès aux projets sur tout le territoire. C’était aussi une période avec plus de temps pour se recentrer sur nos projets, dont 22 ont déjà levé plus de 30 millions d’euros et créés plus de 100 emplois. Nous avons relancé récemment les candidatures pour notre 5ème promotion en octobre. Donc, nous saurons à ce moment là, si la crise a signifié six mois de blanc pour les projets de création de start-up deeptech.
Il y a tout de même eu pas mal de belles levées, à l’image des 46 millions d’euros levés par DNA Script fin juillet. Des engouements ont été remarqués pour certains secteurs à impact positif comme la santé. Et sur autres domaines comme le quantique, les investisseurs avec qui je me suis entretenu ont répondu que, de toute façon, les boîtes dans lesquelles ils ont investi auront sorti des produits dans au moins cinq ans – c’est à dire au moment où la crise sera sûrement terminée. L’avantage de la Deeptech c’est que son temps de développement est plus long, elle est par conséquent moins impactée par les crises.
De plus, l’Etat, par le biais de Bpifrance, a annoncé son soutien financier. Les fonds publics nous mettent au chaud pendant six à huit mois mais la situation reste quand même compliquée, surtout si une deuxième vague se manifeste. Et ceux qui ne bénéficient pas de ces fonds sont plus en danger et essayent de renforcer leur propre capital. Il y aura peut être une petite crise de liquidités chez les start-up et moins de levées de fonds mais c’est encore trop tôt pour l’affirmer. Autre avantage : il y avait avant le covid beaucoup de fonds qui ont été renouvelés. C’est un énorme coup de chance et l’argent disponible aujourd’hui a permis de réduire l’impact de la crise.
Quelles réponses peuvent apporter les initiatives deeptech face à la crise ?
Robert Marino. De nombreuses start-up se sont rendues compte que leurs technologies pouvaient répondre à des cas d’usage en lien à la gestion de la crise. Nous en avons vu beaucoup travailler sur des tests de dépistage du covid rapides comme Easy Life Science par exemple. Pour d’autres, cette crise a été l’occasion de valider leur modèle. C’est notamment le cas de ma start-up Qubit Pharmaceuticals qui a démontré que l’alliance de la physique quantique et du HPC peut aider à la découverte de nouveaux médicaments.