Comment améliorer la diffusion de l’innovation dans l’entreprise ? Avec des témoignages d’entreprises comme Vinci, JC Decaux, EDF ou encore Icade, la communauté Alliancy Connect est revenue sur l’enjeu d’acculturation à l’innovation dans les organisations.
Le sujet bénéficie d’une abondante littérature et en la matière, les spécialistes appellent surtout à ne pas confondre toutes les formes d’innovation, comme l’a rappelé Jean-François Gallois, professeur à CentraleSupélec et ancien directeur général du Paris&Co, l’agence de développement économique et d’innovation de Paris. A l’occasion du dîner-débat de la Communauté Alliancy Connect sur le thème, ce spécialiste a ainsi pointé le monde qui existe entre l’innovation incrémentale, sur laquelle les entreprises s’appuient depuis toujours pour améliorer leur activité existante sur leur marché, et, d’autre part, des formes d’innovation qui vont provoquer des ruptures beaucoup plus importantes dans l’organisation.
Avoir une direction de l’innovation ou non ?
C’est en effet bien l’intégration de l’innovation sans choc qui interroge les organisations. Par extension, le rôle des directions de l’innovation dans l’équation est souvent fantasmée. Toutes les entreprises n’en sont pas dotées et derrière un même titre de nombreux directeurs de l’innovation n’ont pas les mêmes périmètres d’intervention. Pas plus que tous les membres de leur Comex les mêmes attentes vis-à-vis d’eux !
Lors de la soirée réunissant la Communauté Alliancy Connect, deux d’entre eux ont pu partager leur expérience. « On connait tous l’expression qui veut que la sécurité soit l’affaire de tous… C’est le même combat pour l’innovation » résume Arnaud Coll, directeur de l’innovation du cabinet de conseil Ippon Technologies, membre de la communauté et coconcepteur du thème de la soirée. Son poste a été créé récemment, mais le responsable identifie clairement la question de la relation avec les métiers, ainsi que la définition des attentes et des moyens, comme étant autant de sujets clés pour donner du sens à une direction de l’innovation.
Constat partagé par Nicolas Bellego, directeur de l’innovation de l’opérateur immobilier Icade, qui dirige également le start-up studio Urban Odyssey, soutenue par l’entreprise. « Malgré des avantages évidents, l’innovation venue des start-up n’est pas non plus une potion magique. D’où l’idée de s’appuyer sur deux piliers : un interne, en lien avec le métier, pour porter directement des projets en mode entrepreneurial ; et un « new business » avec Urban Odyssey où l’on investit en amorçage pour créer un effet levier venant de l’extérieur mais avec une forte proximité vis-à-vis de notre activité » décrit le directeur de l’innovation.
L’absence de direction de l’innovation n’est pour autant pas le signe d’un manque d’intérêt d’une entreprise pour l’innovation, bien au contraire. « Chez JCDecaux, il n’y a pas de direction de l’innovation et ce n’est pas un hasard ! Pendant 40 ans, Jean-Claude Decaux a été au cœur de la démarche d’innovation de l’entreprise qu’il a créée. Depuis, nous avons mis en place une logique très distribuée, l’innovation devant se retrouver partout dans l’organisation » explique ainsi Isabelle Mari, directrice des programmes stratégiques du groupe industriel français.
Avec ou sans spin-off ?
La question se pose également de manière différente pour un groupe comme EDF, qui bénéficie d’une puissance de R&D massive. Stéphane Tanguy, CIO & CTO pour EDF Labs, reconnait que les arbitrages se font en permanence autour de l’innovation : « Qu’est-ce qu’on sous-traite ? Qu’est-ce qu’on fait en partenariat ? Qu’est-ce qu’on fait en interne ? Spin-off ou non ? Dans le groupe EDF, quel que soit le degré de rupture amené par une innovation technologique, on se pose ces questions. Pour y répondre, il faut déjà avoir démontré en interne la valeur que la rupture peut amener, afin d’être convaincu que cela peut conduire à un développement ou même à une activité externe » estime-t-il, soulignant là aussi l’importance du lien avec le métier. Sur des sujets très technologiques, qui renvoient facilement à l’idée de rupture, EDF a donc eu des approches différentes : pour l’informatique quantique, l’entreprise avance avec d’importants moyens internes, alors qu’autour du Web3 et de la blockchain, elle a créé une activité à part, Exaïon.
« Toute la difficulté est de trouver le point d’équilibre entre le fait d’acculturer les métiers pour ne pas avoir à porter tous les projets, mais aussi de conserver un rôle actif, d’accompagnateur. » analyse dans ce contexte Isabelle Mari. « Il y a naturellement une volonté des métiers de prendre en main ces projets. Mais en matière d’opération innovation, la relation avec une start-up n’a rien à voir avec une relation fournisseur classique. Notre rôle consiste donc à poser un cadre clair, à développer un langage commun et faciliter la mise en œuvre des projets en collaboration avec le métier, en faisant bénéficier aux différentes parties prenantes de notre transversalité dans l’organisation ».
Une structure dédiée à l’innovation ou à la prospective n’est dès lors qu’un facilitateur potentiel pour aider les métiers, pris par leur quotidien. C’est ainsi que s’est posée la question chez Vinci, entreprise très décentralisée. « Nous n’avons pas attendu la création de Léonard en 2017 pour innover au sein du groupe » pointe Isabelle Lambert, directrice de la prospective. Si la plateforme d’innovation du groupe Vinci a l’intérêt de créer plus de transversalité et de faciliter la coopétition, elle ne fonctionne que grâce au développement d’une « culture entrepreneuriale très forte, qui permet de diffuser l’innovation d’où qu’elle vienne ». Ce qui se traduit par des programmes spécifiques sur la culture d’innovation, la montée en compétence de tous les collaborateurs et l’accompagnement des projets à la main des métiers.
Acculturer pour avoir une plus grande exigence sur un sujet galvaudé
Reste que la maturité grandissante des entreprises sur le sujet ne fait pas encore des parcours d’innovation un long fleuve tranquille. En particulier vu de l’extérieur, par les start-up qui essayent de proposer des changements radicaux. Le décalage entre une vision « idéalisée » de l’innovation par les dirigeants, suivi du choc culturel avec les équipes opérationnelles, l’animosité qui peut exister entre des directions centralisées et des filiales « terrains » autour de la technologie, ou encore la difficulté de l’évaluation et du ROI des innovations… sont autant de problèmes soulignés par les jeunes pousses innovantes invitées à s’exprimer sur la question.
« Il y 36 milliards d’euros de R&D dépensés en France chaque année, avec des retours sur investissements assez faible. Il faut sept projets de R&D en moyenne pour lancer une initiative… Quand on pose la question du chiffre d’affaires dégagé par les produits innovants créés, la plupart du temps il n’y a pas de réponses sérieuses » épingle par exemple Hugo Chague. En fondant Tekimpact.io, il espère faire évoluer les approches de R&D, réconciliant « techno-pull » et « market-pull », à partir d’une méthode développée dans un laboratoire du CNRS.
« Cela vaut le coup de demander aux acteurs métiers : savez-vous mesurer comment l’open innovation participe activement au business de votre entreprise ? » abonde également Guillaume Buffet, qui propose avec Motherbase, un outil de sourcing et de suivi des écosystèmes d’open innovation et de plus de 150 000 start-up.
L’expérience de Dorian Cauvas, CEO de Fairplayer, va également dans ce sens. Sa start-up propose aux clubs sportifs de révolutionner leur relation avec les fans, grâce aux services rendus possibles par la blockchain. Si les directions générales adhèrent vite, l’accompagnement des équipes marketing et de relation client s’avère hautement stratégique. « Au-delà des beaux discours sur la théorie de la transformation numérique, de l’innovation et de la technologie, il est surtout important de redescendre sur les gains opérationnels. Le message à faire passer c’est que l’on est tous acteur de l’innovation et que l’intégration de l’innovation ne fonctionne pas, quels que soient les choix réalisés, si on n’acculture pas toutes les strates de l’organisation ». conclut-il.