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Ruralité, pauvreté, compétences… l’IA générative peut-elle être un « outil d’égalisation » ?

 

Le numérique est facteur de progrès mais aussi de risques de rupture, à la fois sociales et économiques. Une récente étude de l’Université de Stanford, qui amène un éclairage intéressant sur les modes de diffusion technologique, nous enjoint à faire attention à ces développements futurs, pour éviter les grands écarts dans la population.

 

Le numérique est l’un des facteurs de progrès les plus importants que l’humanité ait connus. En facilitant la communication, le partage et l’exploitation de données (le plus petit dénominateur commun entre tous les usages qui s’appuient dessus sous une forme ou une autre), il a permis d’améliorer nettement des milliards de vies. Toutefois, ces gains ne vont pas sans défis et écueils. Cela fait des années maintenant que dans ce contexte de progrès global, la fracture numérique est pointée du doigt comme une marque noire sur le tableau. Que ce soit au niveau des usages personnels ou de l’emploi en général, la capacité à adopter les dernières capacités numériques est devenue un facteur inégalitaire très fort. Et plus les changements technologiques rapides s’enchaînent, s’accumulent et se superposent, plus il paraît évident que le décrochage de certains va contribuer à les pousser en marge de nos systèmes économiques et sociaux en pleine digitalisation.

 

Interroger le modèle classique de la diffusion technologique 

 

La démocratisation rapide de l’intelligence artificielle générative depuis deux ans n’a pas manqué de réinterroger ce risque majeur pour la cohésion sociale. Mais le tropisme vers l’élitisme qui prévaut souvent avec la technologie est-il systématique ? Une récente étude de l’Université de Stanford s’est penchée sur la façon dont les modèles linguistiques d’intelligence artificielle contribuent désormais aux communications professionnelles et officielles pour les individus. En examinant 300 millions d’échantillons de texte utilisés dans de nombreux secteurs de l’économie américaine, les chercheurs ont été surpris de voir que la diffusion des usages de l’IA générative ne suivait pas complètement les modèles classiques et inégalitaires associés à d’autres technologies. 

Les universitaires ont notamment étudié les plaintes des consommateurs soumises au Bureau de protection financière des consommateurs des États-Unis (CFPB), mais également des contenus liés à des millions d’offres d’emplois. En utilisant un schéma de détection statistique de l’usage de mots, ils ont relevé la part minimale des textes rédigés qui s’étaient appuyés sur l’IA. « Notre étude révèle l’émergence d’une nouvelle réalité dans laquelle les entreprises, les consommateurs et même les organisations internationales s’appuient de manière substantielle sur l’IA générative pour leurs communications » résument les chercheurs de Stanford dans un long article d’Ars Technica. Mais en soi, la surprise n’est pas là. En effet, l’étude révèle que si les zones urbaines ont montré une adoption globale plus élevée (18,2 % en moyenne contre 10,9 % dans les zones rurales), ce sont aussi les régions avec un niveau d’éducation plus faible qui utilisent plus fréquemment l’écriture assistée par l’IA aux Etats-Unis. Pour les chercheurs, cela contredit donc le schéma type de la diffusion technologique. « Dans le domaine des plaintes des consommateurs, les schémas géographiques et démographiques de l’adoption des LLM présentent une différence intrigante par rapport aux tendances historiques de diffusion technologique où l’adoption a généralement été concentrée dans les zones urbaines, parmi les groupes à revenu plus élevé et les populations ayant un niveau d’éducation plus élevé » soulignent-ils. 

 

Des Etats pauvres plus prompts à l’adoption 

 

L’analyse pointe donc la possibilité pour l’IA générative d’être dans certains cas un « outil d’égalisation ». Les variations géographiques des niveaux d’usages concernant les plaintes auprès du CFPB montrent également des différences « substantielles » entre des États américains aux caractéristiques différentes. Ainsi, des États plutôt pauvres comme l’Arkansas, le Missouri ou le Dakota du Nord, ont montré des taux d’adoption plus élevés que d’autres beaucoup plus riches comme le Vermont ou même que les grands centres démographiques très tournés vers la tech comme la Californie ou la ville de New York. 

Bien entendu, les chercheurs reconnaissent les limites de leur analyse, du fait de son focus sur des contenus en langue anglaise et sur des régions américaines. De plus, il est notoirement difficile de détecter de manière complètement fiable les textes générés par l’IA et édités par des humains (ou même les styles des LLM plus récents, qui recherchent plus de réalisme). Les taux d’adoption réels pourraient donc être bien plus importants. Mais cela n’empêche pas les universitaires de conclure que nous vivons désormais dans un univers où non seulement distinguer l’écriture humaine de celle générée par l’IA devient de plus en plus difficile, mais où en plus, il est difficile de mesurer l’impact à plus long terme de ces « facilités » offertes largement, qui pourraient rapidement générer de la défiance et de la frustration vis-à-vis de nombreux contenus. 

 

Chercher le nivellement par le haut 

 

Quoi qu’il en soit, à court terme, les IA génératives grand public ont déjà eu un impact pour de nombreuses personnes amenées à écrire des courriers officiels et à adopter plus largement des modes de communication auxquels ne les prédisposait pas leur statut social ou leur niveau d’éducation. Bien sûr, il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan des cas d’usages qui vont continuer à se mettre en place dans les prochains mois, et dont la plupart concerneront des approches beaucoup plus élitistes et perfectionnées qui poseront forcément la question de nouveaux décrochages. Mais c’est aussi le signe qu’à condition d’en faciliter l’accès, l’adoption et l’apprentissage, des technologies très disruptives peuvent provoquer des nivellements par le haut. Reste à pouvoir vraiment se concentrer sur ces aspects en tant que société, afin de faciliter les liens plutôt que de faire grandir les écarts entre les potentiels « augmentés » et le reste de la population. 

 

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