La division HPS (High Performance Solutions) du groupe Saint-Gobain est dédiée aux marchés globaux mondiaux de matériaux particuliers, comme les vitrages automobiles. Raphaël Viard, Chief Information and Digital Officer de cette division, revient pour Alliancy sur la transformation digitale qu’il pilote.
Alliancy. Pouvez-vous en préambule rappeler ce que sont les activités de Solutions de Haute Performance au sein du groupe ?
Raphaël Viard. C’est l’entité de Saint-Gobain qui adresse les marchés mondiaux du groupe dans la construction, la mobilité et l’industrie (voir schéma), c’est-à-dire que nous adressons principalement des grands clients mondiaux à l’image de notre marque Sekurit qui est un fournisseur Tier1 pour le vitrage automobile ou de Chryso, une acquisition récente, qui produit des adjuvants pour les grands cimentiers.
De manière générale et à l’inverse d’autres activités du groupe, notre production n’est pas forcément localisée là ou sont nos clients.
Pourriez-vous citer d’autres exemples ?
Raphaël Viard. Au-delà des pare-brise Sekurit et de la chimie pour le ciment et le béton, nous sommes également présents dans les matériaux céramiques pour l’industrie (réfractaires pour fours, catalytiques…) ; les abrasifs (meules…); les adhésifs, ou encore, dans les sciences de la vie ou nous fournissons des composants médicaux pour les hôpitaux (tubes, perfusions, plastiques à usage unique…).
Au sein de la branche HPS, qui regroupe une collection d’activités différentes, quel est votre rôle ?
Raphaël Viard. Je suis responsable du système d’information et de la transformation digitale de cet ensemble, qui adresse plusieurs business avec des produits différents, une présence industrielle différente, des clients et des go-to-market différents…
Cette transformation, nous la menons autour de trois grands axes. Tout d’abord, la modernisation du système d’information au sens large pour qu’il permettre la transformation digitale de nos métiers. Cela ne passe pas seulement par des technologies, mais aussi une organisation et une gouvernance au plus proche de nos business. Par exemple, l’on ne consolide pas des systèmes d’information qui concerne des métiers différents et l’on considère que c’est même une force d’être fragmentés. Notre organisation est ensuite alignée avec nos business, avec des CIO dans chacun de nos regroupements d’activités.
La modernisation veut également dire d’aller massivement vers le cloud, vers du Software as a Service (CRM, ERP), vers du développement applicatif Cloud Native (technologies serverless) pour toutes les applications que l’on développe. Enfin, bien que les activités soient différentes, nous partageons un certain nombre de process commun et de façons de travailler identiques au sein du système d’information… Nous appliquons par exemple les mêmes méthodologies de projets pour bien s’assurer de leur bonne exécution, de même pour ce qui concerne les questions essentielles de cybersécurité. Notre principe est de dire que nous avons des objectifs de maturité que l’on doit tous partager.
Après le socle qu’est le SI, quels sont les deux autres grands axes ?
Raphaël Viard. Nous avons décliné deux axes de transformation digitale, que nous avons appelé Core et Explore. Le Core, c’est comment le digital peut nous permettre de transformer notre core business. Cela concerne le digital manufacturing, la supply chain, l’expérience collaborateur et l’expérience client…
En parallèle, Explore doit nous permettre d’aller vers de nouveaux business grâce au digital. Comment fournir du service autour de nos produits en s’appuyant sur la data et l’IoT ; comment disrupter la supply chain en développant nos activités d’e-commerce en direct ; comment créer des business purement software sur des marchés où l’on peut se positionner en tant qu’éditeur de logiciels…
Comment se décline cette stratégie au sein de HPS ?
Raphaël Viard. Ce framework, prévu sur trois ans, se décline dans chacune de nos BU et sous-BU, en fonction de chaque métier. Un premier plan s’achève actuellement (2019-2022) et nous en lançons un deuxième d’ici à 2025 que nous enrichissons avec de nouveaux enablers que sont la data et les Digital Twins et une Digital Factory. Ce qui passe par acquérir la connaissance de la technologie et la maîtrise du cloud Microsoft Azure, notamment avec la maîtrise du développement d’applications Cloud Native ou encore du développement en mode agile pour le monde industriel… C’est donc à la fois une transformation technologique et culturelle pour bien intégrer ces nouvelles technologies.
De combien de personnes se compose votre équipe?
Raphaël Viard. Ces évolutions ne sont pas liées à un nombre de personnes, mais liées à un nombre de projets. A titre d’exemple, nous avions un projet Explore en 2020, un autre en 2021, 4 en 2022 et 8 ou 9 l’an prochain.
De ce fait, avez-vous déjà lancé de « nouvelles » offres ?
Raphaël Viard. Tout à fait. Nous avons lancé deux offres « as a service » que l’on vend à nos clients. La première s’appelle AARI, il s’agit d’une plateforme logicielle agnostique destinée aux assureurs en vue de mieux orienter leurs clients dans la réparation de bris de glace. La seconde, « 4Sigth », est une technologie IOT qui facilite la surveillance des meules abrasives de haute performance en temps réel afin d’en améliorer l’efficacité (industrie 4.0).
Ces deux solutions « Cloud Native » ont été développées en mode agile sur des technologies serverless ; elles illustrent les prémisses de la Digital Factory que nous lançons cette année. C’est un fantastique véhicule de transformation, à nous de faire en sorte que le business est la bonne voiture entre les mains et sache la piloter.
Ce qui veut dire que vous travaillez de concert avec les métiers…
Raphaël Viard. Nous sommes au service des métiers ! D’ailleurs, ces deux projets sont repartis directement dans les business.
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Concrètement, comment décririez-vous cette Digital Factory ?
Raphaël Viard. Au vu de la structure de la Business Unit Solutions de Haute performance, cette Digital Factory est forcément décentralisée. Toutefois, elle intègre des technologies et des méthodes de travail communes, une certaine industrialisation et un apprentissage régulier et progressif d’un projet à l’autre.
Il s’agit d’une équipe restreinte qui travaille uniquement sur des sujets de pointe. Ce n’est donc pas un remplacement des équipes existantes : c’est un nouvel enabler pour adresser les cas particuliers, ceux qui auront le plus d’impact sur le fonctionnement de notre branche…
A 90 %, ce sont de « nouveaux » business modèles tournés vers nos clients, mais ce peut-être aussi des applications que l’on développe pour notre usage interne, même si la plupart de nos besoins sont adressés par des solutions du marché (ERP, CRM, PIM…).
Regardez-vous également les solutions de start-up innovantes ?
Raphaël Viard. Evidemment. Au niveau du groupe, nous disposons d’ailleurs d’un fonds d’investissement appelé Nova. Ce fonds couvre un large éventail de thèmes alignés sur la stratégie de Saint-Gobain d’être le leader mondial de la construction durable, avec un accent particulier sur la « sustainability » et la digitalisation. Actuellement, nous regardons par exemple à investir dans deux start-up, qui complètent notre stratégie de déploiement de nouvelles solutions chez nos clients.
Dans les projets que vous pilotez, vous avez évoqué la data. Où en êtes-vous à ce sujet ?
Raphaël Viard. La data a un rôle primordial dans notre performance à l’échelle du groupe. Aussi, chez HPS, nous avons commencé cet exercice depuis déjà plusieurs années et nous accélérons aujourd’hui. Pour résumer, c’est un processus que je vois en plusieurs étapes. Parfois, nous ne disposons pas de la donnée : il faut donc travailler sur son acquisition dans un format exploitable immédiatement en déployant de nouveaux outils (MES, ERP, CRM…). C’est fondamental !
Ensuite, récupérer la donnée de sa source et la stocker dans un format exploitable est souvent un processus très long : il faut donc anticiper cette phase en ingérant un maximum de données dans nos data lakes, de façon à disposer d’informations à disposition très rapidement. Pour cela, nous créons une multitude de « petits » data lakes standardisés et élastiques, Secure by Design, très proches de notre structure de systèmes d’information.
A partir de là, trois grands sujets sont adressés, à commencer par la business intelligence (BI) et l’analytique. C’est-à-dire comment, dans notre organisation, nous pouvons partager facilement les mêmes données, les mêmes dashboards… avec le même niveau de confiance dans les chiffres reportés.
Vient ensuite la data science avec à la fois la résolution de problèmes ponctuels, mais aussi la surveillance de process continus dans nos usines (Digital Twins). Quelques exemples sur lesquels nous travaillons actuellement : amélioration de la performance de certaines machines, suivi de la consommation énergétique, calcul des émissions de gaz….
Le troisième sujet est la data « as a service » ou comment nos données peuvent-elles servir à d’autres applications via des API…
Comment cette culture de la data est-elle partagée au sein des équipes métiers ? Comment acculture-t-on sur tous ces sujets ?
Raphaël Viard. Au sein de HPS, nous avons nommé une communauté de Digital Champions, qui travaillent à 20 % de leur temps à la transformation digitale de leur business. Ce peut-être par exemple un ingénieur de production dans une usine qui remonte des cas d’usage métiers à améliorer…. Ces « mini » product owners sont au nombre de 120 à ce jour et la communauté s’étoffe peu à peu.
Et comment se fait le lien entre eux et vous ?
Raphaël Viard. Chez HPS, nous disposons d’un portail de la transformation digitale où chaque Digital Champion peut poster ses idées… Lancée en 2020, nous en avons déjà recueilli 370… Autour d’une idée, nous avons ainsi mis en place une méthodologie, appelée « 3/3/3 », soit 3 jours pour formaliser une idée ; 3 semaines pour créer une équipe, trouver un budget et un sponsor et définir le Mockup de la solution ; et 3 mois pour la prototyper.
Ce process est-il lié également à une stratégie d’intrapreneuriat que vous auriez dans le groupe ?
Raphaël Viard. HPS est une BU très entrepreneuriale de nature. Par exemple, dans la BU Céramique, nous avons créé un fonds d’investissement digital qui intervient au-delà du budget digital annuel. Ainsi, n’importe quelle équipe peut venir pitcher devant ce fonds qui finance la dépense à 50 % du montant du budget. C’est un jeu gagnant-gagnant avec les business…
Parmi tout ce que vous avez évoqué, quelles sont vos priorités 2022 ?
Raphaël Viard. Au vu de la richesse de nos activités, je pense qu’il n’y pas de grandes priorités au sein de HPS, mais de grands domaines d’actions, cités précédemment, que sont la modernisation du SI, la data, la Digital Factory, le Core et l’Explore… Nous avons surtout des priorités qui sont prises au niveau de là où nous faisons du business. A l’IT ensuite d’adapter la capacité à faire en fonction de cette demande.
Par rapport au Cloud notamment, comment gérez-vous la question de la souveraineté ?
Raphaël Viard. Nous sommes dans un business qui est mondial, avec des clients mondiaux. Pour répondre à nos besoins et à ceux de nos clients, nous utilisons les meilleures solutions du marché (Microsoft Azure, Salesforce…). A terme, notre position pourrait évoluer au regard d’une offre disponible. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.
La guerre des talents, est-ce un sujet pour vous ?
Raphaël Viard. Absolument ! Pour autant, un de nos atouts est de proposer des projets très pertinents sur des technologies modernes dans un business très dynamique. Par ailleurs, le groupe est engagé dans une démarche de sustainability très forte, avec le digital au service du business pour y parvenir. Cela touche aussi bien la baisse de notre consommation énergétique que l’amélioration de la qualité de nos productions (data, Digital Manufacturing…) afin de proposer des solutions toujours plus performantes en termes d’impact à nos clients. Tout ceci nous permet de rester attractifs.