Alors que la voie vers une immunité collective semble se dessiner, de nombreuses entreprises ont fait le choix de prendre les devants et proposer des campagnes de vaccination en interne. Alliancy s’est entretenu avec Sandrine Degos, présidente de Care Insight et responsable de Work n’Vax, une initiative qui s’occupe, pour les organisations, de la logistique et des actions de sensibilisation au sujet des vaccins.
Alliancy. Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Sandrine Degos. L’idée du projet nous est venue naturellement, car nous sommes tous issus de l’écosystème de la santé. Care Insight est une société spécialisée dans l’innovation en santé et nous traquons constamment les pratiques numériques qui y sont liées, y compris celles qui interviennent dans le cadre de la crise sanitaire.
Nous prenons part dans plusieurs observatoires pour améliorer le suivi et la gestion de la Covid et, depuis le mois de décembre, nous avons remarqué l’émergence de plusieurs solutions sur le sujet de la vaccination en entreprise. De nombreuses organisations demandent comment y avoir accès et comment prendre part à l’objectif d’immunité collective.
Quelles sont les actions concrètes mises en place ?
Sandrine Degos. Nous avons contacté différents partenaires pour fabriquer une brique logicielle nouvelle et répondre aux besoins des entreprises en matière de vaccination. L’objectif étant tout d’abord d’outiller les entreprises pour leur permettre de gérer leurs campagnes de vaccination avec leurs propres outils de mesure et de KPI.
Chaque entreprise peut accéder à la plateforme par un hyperlien et y retrouver ses propres services personnalisés. Les besoins ne sont pas les mêmes s’il s’agit d’une entreprise de 100 personnes ou bien un grand groupe de plus de 1000 personnes. Il y a une réalité logistique à prendre en compte et de la même manière, nous ne proposons pas nos services aux petites structures de 3 ou 4 personnes. Nous exigeons un minimum de 10 personnes pour éviter notamment le gâchis de doses.
Une deuxième brique logicielle concrète se matérialise par un “carnet de santé numérique” qui facilite la prise de rendez-vous et le suivi médical. Ce même carnet servira d’ailleurs de manière générale aux entreprises à prendre des décisions sur les vaccinations hors covid – comme celles rendues obligatoires pour certains déplacements à l’international.
Enfin, nous prévoyons aussi des formations de sensibilisation auprès des salariés pour les mobiliser et mieux les informer sur les vaccins. Il y a un mois l’hésitation vaccinale était encore plus marqué que maintenant et cela rappelle le besoin d’un cadre de discussion sur ces sujets.
Comment faire face à l’hésitation vaccinale ? Constatez-vous une évolution sur ce phénomène de défiance ?
Sandrine Degos. Il est encore trop tôt pour faire le constat sur l’hésitation vaccinale ; nous aurons une meilleure visibilité sur ce phénomène dès la rentrée. C’est assez hallucinant de voir toutes ces fausses informations autour des vaccins ou encore d’apprendre que des campagnes de communication ont été financées pour dénigrer le vaccin Pfizer. Mais le fait est que ce sujet touche la sphère privée et peut faire peur – notamment concernant les vaccins pour les nourrissons. Il faut continuer ce travail de sensibilisation pour rassurer et mieux informer.
Nous proposons aujourd’hui une brique spécifique sur cette thématique en lien avec l’approche de Santé Publique France sur la gamification de la prévention. Notre partenaire Tricky se charge par exemple d’organiser un escape game digital pour sensibiliser les participants à des messages de prévention. Cette heure d’atelier est suivie d’une heure de débriefing qui permet de mesurer combien de personnes ont été convaincues. Tricky évoque un taux de plus de 70% en termes de changement de comportement, 6 mois après une action de sensibilisation.
Pour autant, les taux d’adhésion au vaccin s’améliorent simplement parce que les gens ont envie de retrouver une vie normale. Je reste donc optimiste sur le fait que l’envie collective prendra le pas sur l’hésitation individuelle.
Quelle typologie d’entreprises demande votre aide ?
Sandrine Degos. Certaines entreprises ne veulent pas y adhérer car elles pensent que la vaccination est de l’ordre du choix personnel. Et c’est compréhensible puisque nous touchons directement à la sphère privée. D’autres organisations sont inquiétées par le risque économique que peut engendrer l’immobilisation de fonctions clés et ressources rares à cause de la Covid. Il y a enfin des organisations qui souhaitent simplement mieux se préparer à la rentrée de septembre en présentiel. Tout dépend donc de la culture d’entreprise sur ces enjeux.
Les très grandes entreprises ne sont généralement pas clientes chez nous car elles ont souvent déjà un service de médecine du travail internalisé. Elles ont donc pour la plupart déjà pu mettre en place des campagnes de vaccination, de manière effective ou bien en mode expérimental. Notre cœur de cible concerne surtout les entreprises qui ont un service de médecine du travail externalisé et mutualisé. Nous travaillons en coordination avec ces services qui ne sont pas organisés pour faire de la vaccination.
Nous sommes convaincus que l’intérêt collectif est important : les dimensions d’engagement et d’empowerment doivent faire partie de l’approche médicale. Il faut créer cette émulation collective pour ne pas aborder la vaccination en entreprise uniquement sous l’angle logistique.
Comment se passent vos déploiements ? Vous fournissez l’équipement et recrutez le personnel de santé nécessaires ?
Sandrine Degos. Nous mobilisons un grand nombre de partenaires externes pour gérer ces centres de vaccination et nous n’avons pas vraiment de mal à trouver des professionnels sur place – y compris dans les déserts médicaux – car les infirmiers ont aussi le droit de vacciner.
L’équipement est directement fourni sur place pour assurer le bon fonctionnement des vaccinations, en prenant en compte les dispositions légales comme le temps d’information sur le type de vaccin proposé ou encore les 15 minutes d’observation après injection. Il est parfois nécessaire de prévoir plus de moyens, notamment pour le vaccin Moderna qui a besoin de super congélateurs pour être conservé. Nous avons à ce sujet lancé une offre de location dédiée.
Pour les vaccins il existe deux moyens de s’en procurer : soit par le biais des services de médecine des entreprises ou bien avec un coordinateur de santé qui passe par différents canaux de commande de vaccins. Il arrive que certaines entreprises exigent tel ou tel vaccin. Nous prenons compte de leurs préférences et nous veillons aussi à ce qu’elles comprennent bien les contraintes et les coûts logistiques que peuvent engendrer le choix d’un vaccin plutôt qu’un autre.
Quelle coordination mettez-vous en place avec les pouvoirs publics ? Le gouvernement s’est-il associé à votre démarche ?
Sandrine Degos. Nous suivons le protocole et les recommandations des puissances publiques en matière de santé. Mais il n’existe pas à ce jour de coordination de la part du gouvernement avec notre démarche. Notre rôle est de faire le lien avec le protocole et les recommandations officiels afin de mieux les décrypter sur le terrain. À ce stade, notre seule crainte est l’éventuel manque de doses de vaccins si le nombre de demandes de nos services augmente.
Nous collaborons également avec Covid Anti-Gaspi pour donner accès aux vaccins non utilisés. Cette prise de conscience sur le gâchis de doses est très importante.
Comment va évoluer le projet après la crise, une fois qu’une majorité satisfaisante de personnes sera vaccinée ?
Sandrine Degos. Work’n Vax pourra traiter d’autres vaccinations, comme celle de la grippe notamment ou encore celles rendues obligatoires pour des déplacements professionnels à l’étranger. Nous assurerons aussi toujours notre travail d’information sur la vaccination et les salariés pourront garder leurs carnets de santé numérique après notre passage.