Comment un groupe en forte croissance comme Schneider Electric, devenu en quelques années une véritable « software company », gère-t-il la croissance du SaaS dans les usages de ses métiers ? Robert Auffray, senior vice-president Global Finance & Supply Chain Digital Leader et CIO Europe de l’entreprise, décrit la gouvernance mise en place et les défis à relever.
Quel lien faites-vous entre la tendance de la démocratisation technologique au sein des entreprises et la question particulière du SaaS ?
La démocratisation c’est avant tout l’idée que chaque métier puisse souscrire directement à ses propres solutions, par rapport à ses objectifs business. Le lien avec le SaaS apparait donc assez clairement. Mais il faut deux conditions, qui ne vont pas toujours de soi : un Saas doit à la fois répondre à un besoin métier bien défini et entrer en ligne avec une stratégie cohérente de l’usage du numérique dans toute l’organisation.
Comment Schneider Electric s’est organisé pour que ces deux conditions puissent être respectées ?
Nous utilisons évidemment de nombreux SaaS, qui s’intègrent dans notre architecture cible. Un effort particulier est fait pour accompagner la demande des métiers. Dans ce cadre, les contrats avec les prestataires doivent inclure des clauses qui facilitent grandement l’intégration avec notre architecture : tests d’intrusion, data privacy, MFA, SSO… Il est fondamental pour une entreprise de pouvoir fixer les règles du jeu avec les prestataires SaaS. En toute logique, tout achat IT doit donc passer par le département procurement avec à la clé la validation du CIO sur la partie stratégie et business architecture. Nous avons vraiment travaillé à installer cette vision cohérente à tous les niveaux, en nommant par exemple des business architects qui définissent les process dont les métiers commencent à avoir besoin, pour anticiper à horizon 5 à 10 ans… Face à ces évolutions de processus métiers, les solutions doivent correspondre – y compris celle en SaaS. Ce principe sert à éviter la prolifération de plein de petites solutions à droite à gauche, sans cohérence. Le but est de prioriser les besoins en fonction de la vision stratégique de la société. Nous ne sommes pas dans une logique où chacun achète ce qu’il veut avec sa carte bancaire.
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Le risque n’est-il pas de brider l’initiative métier ?
Au contraire, j’apprécie particulièrement quand ce sont les collaborateurs métiers eux-mêmes qui poussent pour se doter d’une solution. Et à l’inverse, il est normal que des éditeurs aillent voir les métiers directement… c’est aussi une source d’innovation et d’inspiration croisée ! C’est bien le rôle de l’IT dans l’équation de pouvoir aider à évaluer ces éditeurs. Et les pratiques mises en place, sont là pour que l’on puisse rappeler aux métiers que le SaaS change les usages et que c’est aussi une contrainte potentielle pour eux. Ils avaient pris l’habitude de pouvoir s’appuyer sur un intégrateur pour pouvoir customiser à loisir les solutions de leurs choix… C’est fini, cette époque ! Cela va être à eux d’adapter leurs processus à la réalité de l’outil, bien souvent.
D’un point de vue global, le SaaS reste un levier fabuleux pour standardiser les modes de fonctionnement au niveau du groupe ; mais c’est une contrainte que les métiers n’identifient pas toujours. Nous avons pu le constater car nous menons depuis plusieurs mois un important programme d’harmonisation ERP autour de l’architecture cible, avec des groupes de solutions satellites adjointes au cœur du système, domaine par domaine. On ne customise rien ! Et nous devons analyser comment le cloud public peut être un facteur clé pour faciliter l’harmonisation, en surfant sur l’envie des métiers.
Pourquoi cette harmonisation est-elle à ce point importante pour vous ?
Pour qu’un groupe de notre taille puisse répondre aux crises et défis actuels, qu’ils soient de croissance, de supply chain, géopolitiques, environnementaux… il faut que nous puissions être agile. Cela va de soi, mais l’être « at scale » à travers le monde entier, est un sujet très complexe. Et si l’on ne peut s’appuyer que sur solutions disparates cela devient presque impossible. En ce sens, cette aide à la standardisation des processus que peut amener le SaaS, nous le voyons avant tout comme un élément très direct de transformation business.
Comment vous assurez-vous que tous les SaaS utilisés dans l’entreprise, entrent bien sous cette gouvernance chapeau rationnelle ?
A ce stade, nous ne pouvons évidemment pas savoir si tout est encore parfaitement entré dans cette gouvernance, dans les moindres recoins du groupe. Mais c’est bien l’objet de cette façon de faire d’installer ce changement dans la durée. Nous avons par exemple institué des « power couples », qui regroupent un domain leader business et un digital leader. Tous deux partagent les transformations métiers qui sont nécessaires, et la vision technique qui va se mettre au service de cet objectif. C’est littéralement leur mission sur le terrain de ramener toutes les initiatives sous cette vision cohérente et harmonisée. Les crises que je décrivais précédemment sont l’occasion de se réinventer ; mais ces réinventions ne vont vraiment être pérennes que si l’on est bien standardisé, nous l’avons constaté avec le Covid. Si les visions se font pays par pays ou entité par entité, cela ne fonctionnera pas. Les métiers l’ont compris et il y a dorénavant une demande très forte pour aller vers cette harmonisation. Donc, oui, cela va prendre un peu de temps, mais l’objet de la gouvernance est bien de faire entrer tous les cas de figures et initiatives, et donc tous les SaaS.
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Quel lien faites-vous entre ce sujet et celui du défi de la gestion de la dette technique pour les entreprises, sur lequel vous vous êtes déjà exprimé ces derniers mois ?
Je pense que les deux sont intimement liés et qu’ils concernent toutes les grandes entreprises. Quand j’ai pris ce poste chez Schneider Electric il y a cinq ans, nous avions un programme d’action sur la dette technique… Mais il paraissait difficile à maintenir efficacement face à la fragmentation des solutions d’une part, et face à l’importante croissance interne et externe de l’entreprise d’autre part. Nous avons donc décidé de faire un état des lieux de l’obsolescence… et de sortir de l’idée des remplacements de solution une à une, pour privilégier une démarche globale. Immédiatement, quand on se dit cela, on en vient à repartir de la transformation du business plutôt que des outils. J’ai eu un très bel exemple, il y a trois ans en France, sur le remplacement de la solution du système de devis… Les questions qui se sont posées ont vite été : faut-il mettre du self-service ? Quel hit rate (taux de réponse positive, NDLR) doit-on viser ? Et à quel rythme envoyer les devis pour qu’ils n’aillent pas voir à la concurrence ? Donc, nous avons commencé par revoir les objectifs et les processus, avec une vision stratégique, avant de s’intéresser aux solutions en tant que telles.