Le Club des partenaires du numérique, dont Alliancy est partenaire, a tenu sa rencontre du 11 juin 2019 sous l’égide du thème : « Face aux leaders américains et asiatiques du numérique : quelle place pour les alternatives européennes ? ». Les dirigeants d’OVH, Qwant, ou encore Linkbynet y étaient invité pour partager leurs aspirations face à une équation souvent considérée comme insoluble.
« Il est certain que l’on ne va pas créer du jour au lendemain en Europe, un géant à 100 milliards de chiffre d’affaires. En revanche, nous pouvons tout à fait nous appuyer sur un écosystème de 100 acteurs à 1 milliards, qui auraient en commun des valeurs et une éthique européenne différenciante. Cet écosystème donnerait une base à nos talentueux chercheurs, venture-capitalists, et aussi managers dans les grandes entreprises… pour voir l’avenir différemment ».
Eric Léandri, fondateur du moteur de recherche Qwant a témoigné ainsi de sa conviction lors de la rencontre du Club des partenaires du numérique qui s’est tenu début juin. Sur un thème consacré aux alternatives numériques européennes, il fallait en effet adresser l’éléphant dans la pièce : la domination des GAFAM dans le paysage technologique européen, faute de réponses appropriées de la part du tissu économique et des acteurs politiques du vieux continent. Et ce, sans pour autant promettre des réponses simplistes.
Jusqu’où ira la captation de valeur ?
« Un proverbe africain le rappelle : quand deux éléphants se battent, l’herbe en souffre. Veut-on vraiment que ce soit le cas de l’Europe pris entre les USA et la Chine ? » a interrogé en introduction notre chroniqueur Alain Staron, cofondateur d’Amborella, avant de préciser : « On peut reconnaitre qu’il est très difficile pour les dirigeants d’entreprise de se projeter dans un monde aussi mouvant, mais cela ne veut pas dire qu’il faut se contenter d’abandonner l’idée de toute concurrence européenne, ce n’est pas sain ». Il a notamment mis en avant la problématique centrale des données, pour l’avenir économique et juridique des pays européens. « Aujourd’hui, 96% de la croissance du marché publicitaire français, qui s’élève à un très appréciable +4,2%, est capté par le duopole Google-Facebook. Ce n’est pas seulement parce que le Search et le Social Media fonctionnent mieux, c’est aussi parce que ces acteurs ont compris la force des données et qu’ils en agrègent venues de toute part pour être plus pertinents. Mais rapidement, avec l’IoT, cette logique s’imposera au-delà de la publicité, pour toutes les données de toutes les entreprises ».
Un constat dont Michel Paulin, directeur général d’OVH, s’est fait l’écho : « Les données ont énormément de valeur : économique immédiate, mais aussi géostratégique dans un second temps. L’enjeu technique est important à des fins de sécurité notamment, mais l’enjeu juridique plus encore sur le long terme. Aujourd’hui, accepter le Cloud Act revient à accepter qu’un lotissement construit en France le soient certes avec les meilleurs portes et serrures pour protéger les habitants, mais avec l’obligation de laisser le droit américain prévaloir à tout moment, en donnant aux juges américains toutes les clés des habitations ».
Une posture positive plus que défensive
Il a cependant épinglé le parti-pris uniquement défensif dans la construction d’alternatives françaises. « Pourquoi les entreprises européennes seraient condamnées à avoir un complexe d’infériorité ? La réalité est qu’il existe de fait une solidarité nationale chez les américains. Plus que des subventions, c’est cette création d’écosystèmes extrêmement puissants, tout en étant en compétition, qui leur donne une force considérable. Ils s’appuient au maximum sur la coopétition. Aujourd’hui, l’Europe ne joue pas à ce jeu-là. C’est pourtant une question de choix et de responsabilité, plus qu’un problème culturel insoluble » a ainsi souligné le directeur général d’OVH.
Eric Léandri a abondé : « Nous appelons à créer autre chose qu’un modèle simpliste des gentils contre les méchants. C’est un travail d’écosystème qui met au cœur du sujet la donnée des citoyens et entreprises européennes et la maîtrise des législations qui s’y appliquent par l’Europe. » Pour illustrer le caractère clivant du sujet, il a pris un exemple récent : « Qwant vient de passer un accord avec Microsoft pour une partie de son infrastructure. Ce qu’en ont retenu beaucoup d’observateurs a été d’en faire un argument contre OVH de manière générale. La réalité c’est qu’OVH sait faire 98% de tout ce dont ont besoin les entreprises ; mon problème était très spécifique. Il concernait l’indexation des pages de Qwant sur Internet et seule une infrastructure habituée à gérer des moteurs de recherche avait cette expertise. Je ne doute pas que demain OVH y répondra aussi ».
La balle dans le camp des entreprises française
Au-delà d’une vision en noir et blanc sur la préférence technologique européenne, la quarantaine de décideurs réunis lors du dîner-débats ont pu également constater que les idées et les convictions ne manquaient pas en termes d’alternatives, sur des sujets variés. Ainsi, Vivien Le Moal, président de Glaydz, qui se voit comme le réseau social et professionnel européen, libre et éthique, a été invité à partager sa vision face à un monde où Facebook fédère déjà près d’un tiers de la population mondiale.
Dans un autre registre, cette vision optimiste a également été mise en avant par Stéphane Aisenberg, cofondateur de Linkbynet. Celui-ci a souligné qu’en observant attentivement les choix actuels de certaines grandes organisations, on pouvait remarquer l’apparition de nouveaux réflexes : « On voit de plus en plus que de grandes entreprises françaises qui allaient chercher, par habitude et pour ne pas avoir à se justifier, les leaders américains dans leurs projets numériques, n’en peuvent plus… Elles font tout pour sortir dorénavant des énormes contrats qu’ils ont passé avec ces leaders. C’est une formidable opportunité pour des acteurs de taille plus modeste et pour proposer une différenciation européenne. Face à la dictature de l’urgence que tout le monde connait, il devient nécessaire de s’appuyer sur des acteurs plus agiles, souples et adaptables ». D’autant plus s’ils sont capables de s’appuyer sur un écosystème cohérent et complémentaire ?