30 % des Français et 1,5 milliard d’habitants sur la planète auront plus de 60 ans en 2035. Pour répondre à ces nouveaux besoins, les programmes de recherche et les partenariats industriels se multiplient dans le numérique et la domotique.
En lançant au printemps dernier, la « Silver Economy », Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, incitent clairement les entreprises françaises à se saisir des opportunités du marché des seniors. D’abord en France, mais aussi à l’international, à l’instar de ce qui se fait déjà au Japon, en Corée du Sud ou en Allemagne. Un « contrat de filière » visant à structurer ce marché sera signé courant octobre : il marquera les engagements des fédérations professionnelles, pôles de compétitivité, ministères, financeurs et acteurs de l’autonomie et de la prévoyance. De son côté, le commissariat général à la stratégie et à la prospective initiait, en juin, la cartographie des différentes offres de biens et services de la silver economy*. Son but : appréhender le poids économique et le potentiel de croissance des entreprises du secteur qui, depuis mars dernier, ont leur syndicat national, l’Asipag.
De nombreux projets de recherche
Un tel engouement s’explique ! Les seniors assureront une majorité des dépenses (54 %) des ménages sur les différents marchés à compter de 2015 et devraient représenter, d’après l’Insee, un tiers de la population française en 2035. Leur pouvoir d’achat et leur épargne dégagent un marché potentiel pour tous les secteurs de l’économie liés à l’âge. Les fabricants de produits ou de services intégrant des technologies destinées à l’amélioration de l’autonomie ou au « bien vieillir » réfléchissent à une offre dédiée et déploient des programmes de recherche. Et les seniors sont souvent mis à contribution pour évaluer l’apport de ces produits ou services.
Mais cette démarche n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Les « vieux » (pardon, les seniors) ne souhaitent pas être considérés comme tels ! Avec l’augmentation de l’espérance de vie, il existe un réel décalage entre l’âge réel et celui qui est « ressenti » par la personne. Parmi les 15 millions de seniors de plus de 60 ans, il faut impérativement en distinguer trois catégories, dont les besoins varient en fonction de leur degré de dépendance [lire encadré ci-contre]. Seules les entreprises en mesure d’offrir des produits ou services évolutifs et non estampillés « seniors » pourront séduire, à condition de définir des produits en fonction des différents usages de ces consommateurs hétérogènes.
A cette complexité, s’ajoute celle des circuits de distribution : les acheteurs potentiels peuvent être les seniors en direct (BtoC), mais aussi indirectement (BtoBtoC) ou des institutions accueillant les seniors (BtoB). Conscientes de l’impact économique des seniors actifs ou fragiles, de nombreuses PME qui, jusque-là, ne diffusaient leurs produits ou services qu’aux établissements médicalisés, s’adressent désormais directement aux particuliers.
Initié en novembre 2008, le projet « Gérontechnologies & Télémédecine », porté par le pôle de compétitivité mondial Solutions Communicantes Sécurisées (Pôle SCS) et financé par la DGCIS, s’est achevé en avril 2012, hormis pour la Faculté de médecine et le CHU de Nice (avril 2013). Il est à l’origine de la création, dans cette même ville, du centre d’innovation et d’usages en santé (CIU-Santé), l’un des centres de ressources et de compétences à destination des professionnels de santé et des industriels désireux de concevoir, expérimenter et évaluer des TIC pour la santé à domicile et pour l’autonomie. C’est dans ce cadre que la DGCIS soutient le développement, sur l’ensemble du territoire, de grappes d’entreprises dédiées à ces questions.
Des grappes pour innover
Cinq villes se distinguent aujourd’hui : Marseille (services à la personne) ; Lyon (cluster I-Care dédié aux technologies de la santé) ; Vierzon (cluster Aghir : autonomie, gérontologie, handicap, innovation et recherche) ; Lille (Clubster Santé : biologie, santé, nutrition) et Ivry-sur-Seine (Soliage). Ce dernier, constitué en octobre 2010, est à l’origine du projet de la Silver Valley, officiellement lancé le 1er juillet 2013 à Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne. « Nous souhaitons créer les conditions propices au développement de l’économie du vieillissement en Ile-de-France », explique Benjamin Zimmer, le responsable développement et innovation de Soliage.
Ce nouveau pôle industriel et scientifique vise donc à rassembler l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de l’autonomie du Sud-est parisien. Ce qui sera possible dès l’été 2014, dans un espace de 5 000 mètres carrés à Ivry-sur-Seine, pour des entreprises, des scientifiques ou des start-up. L’idée : les rendre visibles auprès des investisseurs publics et privés et faire émerger les champions français de demain. Aujourd’hui, la Silver Valley regroupe une centaine de membres, dont 50 entreprises (650 salariés), pour un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros, en plus de représentants d’utilisateurs et de partenaires de l’innovation. D’ici à cinq ans, ses promoteurs souhaitent rassembler 300 sociétés (5 000 emplois), générant un chiffre d’affaires de 1 à 2 milliards d’euros.
L’association Soliage travaille en coopération avec le Pôle allongement de la vie Charles-Foix, développé depuis une dizaine d’années autour de l’hôpital Charles-Foix, CHU gériatrique de référence en Europe. Jérôme Arnaud, son président, est également P.-D.G. de Doro, groupe suédois, leader mondial de la téléphonie pour les seniors. « Les technologies financées à travers la Silver Valley pourraient trouver demain leur utilité dans le cadre d’une intervention à domicile par un acteur des services à la personne. Notre rôle est donc de travailler en interclusters pour répondre en commun à des appels à projets français ou européens, mais aussi à des appels d’offres pour déployer des solutions industrielles », poursuit Benjamin Zimmer.
La télévision au cœur des offres
Si la Silver Valley a une vocation francilienne, les entreprises du secteur peuvent s’adresser à cette structure pour obtenir des conseils. Elles seront ensuite dirigées vers le cluster le plus adapté à leur demande dans leur région d’implantation. « Nous travaillons à qualifier et à quantifier leurs besoins financiers, puis à l’élaboration de véhicules financiers pour que les entrepreneurs trouvent la bonne réponse au bon moment », conclut-il.
A ces grappes, représentant au total plus de 350 entreprises en France, s’ajoutent divers programmes de recherches tournés vers les personnes âgées. En Bretagne, le projet Sigaal (Services intergénérationnels pour l’assistance aux aînés dans leur logement), labellisé par le pôle de compétitivité Images&Réseaux et piloté par Icade, développe une plate-forme et des services en ligne pour lutter contre l’isolement des personnes âgées. Via un téléviseur connecté à Internet, Sigaal leur permet d’accéder à l’actualité locale ou à des informations pratiques sur les transports, les commerces, les services de proximité, ou encore de communiquer avec la famille. Partenaire de ce projet, Telecom Bretagne pilote également le projet ANR-CNSA Palliacom, dont l’objectif est de réaliser un communicateur produisant du texte pour des personnes privées des facilités des fonctions ordinaires (parole, écriture).
Pour rompre l’isolement
En matière de télévision connectée et toujours en partenariat avec le pôle de compétitivité breton, l’idée de la start-up rennaise Elderis est inédite. Elle consiste à fournir un boîtier connecté à la TNT, à Internet et à la télévision de l’utilisateur. Une seule télécommande permet au senior d’utiliser au choix sa télévision ou, en appuyant sur un autre bouton, d’accéder à un portail ouvert à ses proches ou aux professionnels du service à la personne. Il peut alors lire ses e-mails, partager des albums photos avec sa famille, utiliser la visiophonie, consulter des livres audio, des radios sur Internet, des actualités. Un service qui s’adresse également aux professionnels de l’hébergement et des services à la personne. C’est aussi sur la télévision que se base l’offre SFR Family Connect, conçue en partenariat avec la start-up grenobloise Technosens et composée d’une télécommande (qui fait également office de téléphone), d’une caméra et d’un boîtier rendant la télévision interactive. Face à leur écran de télévision, les seniors, qui peuvent communiquer par visiophonie, ont alors accès aux photos de leurs proches, à la météo, à l’horoscope, etc.
La capitale se montre aussi très active sur le sujet. Avec de nombreux partenaires**, Paris a lancé Exapad, un appel à projets à l’attention des entreprises, prévu sur cinq ans et développé par phases successives d’un an. En 2011-2012, la première thématique retenue intéressait la rupture de l’isolement et sa prévention dans un objectif de renforcement du lien social. Six solutions innovantes ont été testées en partenariat avec des clubs Emeraude du centre d’action sociale de la ville (Ubiquiet, Orange), ou bien directement par des volontaires depuis leur domicile (Innos, Xamance). Pour la deuxième année, la thématique concerne le bien-être et le confort des aidants informels et des professionnels intervenant au domicile de personnes âgées en perte d’autonomie. Trois entreprises ont déjà été sélectionnées, KRG Corporate, Sensilia et La Valériane. Les thèmes envisagés pour les trois années suivantes seront la sécurité, la stimulation cognitive et l’aide à la mobilité.
Matériels en tout genre
Enfin, d’autres créneaux émergent. Si les offres de téléphones, ordinateurs et tablettes simplifiés, ou autres appareils facilitant la localisation d’objets, s’adressaient majoritairement aux seniors « fragiles » et « dépendants », le ciblage des seniors « actifs » est en pleine expansion. Orange, fortement impliqué dans le comité de filière « Silver Economy », présidé par Gilles Schnepp, également président de Legrand, vient ainsi de signer un contrat de distribution exclusive du Stylistic S01, élaboré par le japonais Fujitsu. Ce smartphone ralentit le débit vocal pour mieux comprendre l’interlocuteur et intègre un dispositif de téléalarme permettant d’envoyer un SMS ou d’appeler automatiquement trois numéros préenregistrés. « Notre objectif est d’aider les seniors actifs, qui ne sont que 15 % à disposer de smartphones, à monter en gamme avec des smartphones dédiés, offrant des interfaces et des contenus qui font sens, couplés à de la géolocalisation », explique François-René Germain, directeur de l’Accessibilité groupe d’Orange. Grâce à cet outil, un senior pourra recevoir, lors de ses déplacements, des informations poussées automatiquement selon ses centres d’intérêt (musées, restaurants, etc.).
Avec le même objectif, le belge CareSquare, spécialiste des technologies de l’e-santé, a conçu une tablette tactile « simplifiée » pour veiller sur les aînés et favoriser leur maintien à domicile. Ce « Compagnon digital » permet aussi d’accéder à des données médicales, le suivi des signes vitaux ainsi que la prise de poids, la mesure de la glycémie, le suivi de la prise de médicaments, etc. Faisant même office de dispositif de téléassistance, il peut générer des alertes en cas d’urgence.
Un marché prometteur
Parallèlement, toute une gamme d’applications ou de services se développe pour aider les seniors à utiliser au mieux ces matériels. Si la plate-forme Hakisa.com privilégie l’entraide générationnelle, Orange dispose d’une offre « Internet facile » (7 euros par mois), qui vient en option de ses abonnements Web classiques. Cette solution logicielle accessible via une clé USB, que l’on peut connecter à n’importe quel PC, permet un accès simplifié à toutes les fonctionnalités essentielles de l’ordinateur, avec une assistance téléphonique ainsi qu’un pack d’accompagnement de trois mois pour aider à la prise en main de son smartphone.
Le marché des seniors semble prometteur : le gouvernement table sur 0,3 % de croissance annuelle (aux États-Unis, son taux de croissance est de 12 % par an). Pour autant, il reste encore à sensibiliser l’entourage des personnes âgées pour qu’ils les incitent et les accompagnent dans l’appropriation de ces nouveaux outils et que ces derniers deviennent partie intégrante du foyer. Il reste aussi, et surtout, à placer le curseur au bon endroit en matière de prix.
* www.cgsp-silver-economy.fr
** Exapad a été lancé par le département de Paris en partenariat avec le Paris Région Lab, le centre d’action sociale de la Ville de Paris, le Pôle Allongement de la vie Charles-Foix, l’APHP, Oseo, le CNR Santé, la Ville d’Ivry-sur-Seine, les conseils généraux du Val-de-Marne et de l’Essonne, et la communauté d’agglomération de Grand Paris Seine Ouest (GPSO).
Ic@re maintient à domicile « Le but n’est pas de tester les solutions existantes, mais leur impact sur le territoire et l’individu en termes de consommation de services de santé au sens large », indique Giovanni Ungaro, chargé du pilotage du projet « Assistance à l’autonomie » du groupe Legrand, qui s’est positionné sur l’évolution de l’habitacle du logement, et directeur marketing de la marque Intervox. « Le départ à la retraite constitue une rupture. C’est le moment propice pour proposer aux jeunes seniors une amélioration de leur habitat », explique-t-il. Les foyers sélectionnés sont équipés de diverses solutions domotiques, toutes contrôlables à distance, permettant aux seniors d’améliorer leur quotidien. Unique par son ampleur, ce pilote industriel permettra de réaliser une projection coût/bénéfices des solutions déployées avec une étude avant-après menée par un groupe de contrôle. |
Casino vous guide… Des recherches sont actuellement menées avec Orange pour construire des parcours clients adaptés dans ses magasins : « Quand un senior se connecte sur le site Casino, l’information doit lui être accessible, avec un contenu légendé. Ensuite, une fois en magasin, iI sera guidé via son mobile vers le produit souhaité », précise François-René Germain, directeur de l’Accessibilité du groupe Orange. |
Cet article est extrait du n°5 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine
Pour aller plus loin : lire le rapport du conseiller général socialiste Luc Broussy, remis en janvier au gouvernement. Disponible en ligne : www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000173/0000.pdf
Lire aussi : Adoption d’un logo pour les acteurs de la Silver Economie