Servane Augier cumule les fonctions : VP du Développement et des Affaires Publiques de 3DS Outscale – le cloud provider de Dassault Systèmes, elle est également membre du bureau d’Hexatrust et membre du board de Gaia-X. Alliancy s’est entretenu avec elle pour parler de son implication dans le projet de cloud souverain européen, pour en savoir plus sur son fonctionnement et ses objectifs.
Alliancy. Depuis le lancement de Gaia-X l’année dernière, beaucoup ont partagé leur incompréhension vis-à-vis de ce projet… Quelle est votre réaction ?
Servane Augier. Gaia-X est une très grosse machine à dimension européenne où chacun arrive avec ses attentes et sa propre vision. C’est un projet complexe et il faut donc continuer à faire de la pédagogie pour l’expliquer. Gaia-X s’articule autour de deux comités principaux : celui chargé des règles et un autre en charge des questions techniques. Le premier a vocation à écrire des règles de fonctionnement autour des principes cardinaux de l’interopérabilité, la confiance et la réversibilité. Le second traduit ce travail en règles techniques concrètes qui veillent au respect des standards déontologiques du projet. C’est la somme de ces deux travaux qui permettra de labelliser des services conformes à nos principes.
Nous essayons d’instaurer des éléments fondamentaux qui vont permettre de renforcer l’ossature de notre cloud souverain. Il y a encore des difficultés de perception vis-à-vis du projet car beaucoup arrivent avec une vision purement business ou purement technique. Chacune est à prendre en compte car il ne s’agit pas de proposer une offre décorrélée des intérêts des entreprises. Mais ces intérêts doivent être adossés à des règles techniques claires.
Les adhésions à Gaia-X continuent d’augmenter et certains s’inquiètent de voir des acteurs comme Palantir et autres être invités autour de la table de la souveraineté des données européennes…
Servane Augier. Le conseil d’administration a effectivement voté pour l’admission de ces nouveaux membres, tel Palantir. Mais il ne faut pas faire de confusion entre le fait d’accepter des nouveaux membres au sein de l’association, et le fait que ces membres proposent effectivement des solutions compatibles avec les standards Gaia-X. Le temps est plus ou moins long entre ces deux tâches. L’objectif principal des règles de Gaia-X reste bien de limiter le verrouillage technologique. Et force est de constater qu’il y a des membres de Gaia-X qui ne sont pas connus comme les plus grands chantres de l’interopérabilité. Qu’ils viennent malgré tout est un excellent signal envoyé au marché de la pertinence du cadre que nous proposons.
La formulation d’un label est donc nécessaire et fait partie des chantiers de gouvernance de Gaia-X. Il y a donc, en parallèle de ces admissions, tout un travail qui est fait sur la finalisation des « policy rules », du cahier des charges technique, des modalités de contrôle et des voies de recours si les services proposés ne servent pas ces promesses.
Et si ces plateformes ne respectent pas leurs promesses, qui sera chargé de leur régulation voire de leur sanction ? La Commission européenne ?
Nous pouvons nous féliciter de ce que la Commission européenne est en train d’entreprendre sur les règles de marché et la conformité aux règles de souveraineté. Elle joue très activement son rôle de régulateur et nous nous appuyons sur ce qu’elle met en place. Notre objectif commun est d’accélérer l’Europe du numérique, en renforçant à la fois l’autonomie de nos pays, et les usages numériques des entreprises.
Que répondez-vous aux critiques quant à la présence de géants américains dans ce projet ?
Servane Augier. Pour forger notre écosystème européen du numérique et de la donnée industrielle, nous ne pouvons pas nous affranchir de 3/4 des pratiques existantes en matière de cloud. Ce n’est pas réaliste, nous n’allons pas tout réinventer. Il faut s’appuyer sur ce qui existe pour créer un cadre porteur de valeurs européennes.
Plusieurs acteurs étrangers ont manifesté leur compréhension des règles d’interopérabilité et leur adhésion aux valeurs européennes. Ce cadre fait des émules à l’étranger, cela a déjà été le cas avec le RGPD, et cela nous permettra de mieux encadrer les pratiques business.
Nous avons plus de chances de faire grandir les acteurs européens en incluant les GAFAM dans le projet. Ils font office de caisse de résonance : Gaia-X permettra aux utilisateurs de comparer directement nos offres aux leurs. La réalité est que nous n’avons pas leur notoriété et nous avons besoin de mieux rendre visible les offres européennes, encore trop fragmentées.
Renforcer l’autonomie numérique de l’Europe ne consiste pas à simplement arrêter les offres américaines du jour au lendemain. Il ne s’agit pas de pénaliser les entreprises qui les utilisent, mais de proposer des alternatives européennes fortes qui respectent la protection de nos données. La souveraineté est liée à notre capacité de faire des choix en toute connaissance de cause.
Quels sont les prochains objectifs à l’agenda de Gaia-X ?Quels sont les prochains objectifs à l’agenda de Gaia-X ?
Servane Augier. Nous comptons plus de 200 membres à ce jour et les candidatures continuent d’arriver. Les prochaines adhésions se feront sûrement au rythme du calendrier d’ouverture des hubs nationaux. La prochaine étape pour l’association est de formuler une version consolidée de nos policy rules et de nos référentiels techniques. Nous organisons également un webinar de présentation officielle des espaces de données le 22 avril prochain. Et il y a l’assemblée générale le 7 juin.
Le chantier de la labellisation des services conformes à Gaia-X doit également démarrer. Et au-delà du projet Gaia-X, j’appelle à la création d’un label de souveraineté européenne qui compléterait les critères techniques d’interopérabilité avec des critères règlementaires. Cela pourrait prendre la forme d’un complément, ou d’une version avancée d’un référentiel similaire à la qualification SecNumCloud délivrée en France par l’Anssi.
Nous voyons également de nombreuses alliances se former autour de la data en Europe, comme Software République dernièrement entre grands acteurs industriels français… Est-ce que selon vous la prolifération d‘écosystèmes hétérogènes nuit à l’objectif de souveraineté et à la volonté de faire émerger des géants européens de la tech ?
Servane Augier. À mon sens, la multiplication des alliances en vue de contribuer à un projet de souveraineté ne met pas en risque la démarche globale. C’est assez sain de s’associer autour des meilleurs savoir-faire des uns et des autres : plutôt que de vouloir tout refaire, il faut s’appuyer sur ce qui existe pour avancer. Par exemple, pour les clients finaux, les briques Saas et PaaS sont très importantes. Plutôt que de refaire tout seul un catalogue de services sur lequel les GAFAM sont très en avance, nous privilégions chez 3DS OUTSCALE le fait d’aller chercher les solutions d’éditeurs pour les rendre disponible sur notre infrastructure.
Je ne pense pas que le plus important soit de faire émerger des licornes européennes. Si nous arrivons à transformer des start-up en ETI, c’est déjà très bien. Gaia-X vise une fédération d’acteurs pour être plus forts ensemble, elle n’a pas pour objectif de faire émerger des hyperscalers européens.
L’enjeu est de montrer et faire savoir que des acteurs européens sont aussi efficaces et bien positionnés que les GAFAM, et apportent des atouts supplémentaires de protection règlementaire. Il y a déjà de nombreux acteurs de cloud de confiance qui existent en Europe et vous pouvez sans attendre souscrire à leurs services.