[Edito] Souveraineté : Amazon pose la question de la confiance à l’Europe

Edito SouverainetéLe poids des Gafam sur nos sociétés se lit plus que jamais dans les chiffres qu’ils partagent. Les bénéfices de Meta, la société mère de Facebook, sont ainsi passés de 4,4 milliards de dollars au 3e trimestre de l’année dernière à 11,6 milliards de dollars pour la même période en 2023. De son côté, le chiffre d’affaires d’Alphabet (maison-mère de Google) progresse de 11% par rapport au 3e trimestre 2022, pour atteindre les 76,7 milliards de dollars. Pour autant, les investisseurs sont déçus. Ce qui coince, ce sont les résultats de Google Cloud, à la traîne par rapport à leurs attentes : seulement 8,41 milliards de dollars, soit +22% sur un an… mais presque trois fois moins que le concurrent Microsoft. Ce dernier a fait savoir que ses revenus cloud atteignaient 24,3 milliards de dollars sur le trimestre, portés par la croissance de 29% d’Azure et l’enthousiasme pour l’intelligence artificielle générative.

Sur fond de tensions protectionnistes, le cloud se retrouve plus que jamais au centre du jeu. En ce sens, l’annonce, juste avant la publication de ses résultats, d’un « cloud européen souverain » par Amazon Web Services, pose beaucoup de questions.

De manière générale, les investisseurs suivent de très près les résultats d’AWS, entité clé pour les bénéfices du groupe Amazon. Si le groupe a triplé son bénéfice net (9,9 milliards de dollars au troisième trimestre, bien au-dessus des attentes), AWS, n’a réalisé « que » 23 milliards de dollars de chiffre d’affaires au troisième trimestre, soit 12 % de croissance, moins que ses concurrents. Les nouveaux investissements de l’entreprise dans ses capacités d’IA (avec Bedrock, pour concurrencer ChatGPT et Bard, mais aussi une participation importante dans la start-up Anthropic) sont scrutés à la loupe. L’argument de souveraineté, beaucoup moins.

C’est pourtant celui-ci qu’AWS a dégainé mercredi 25 octobre. « L’AWS European Sovereign Cloud sera un nouveau cloud indépendant pour l’Europe qui donnera aux clients des industries hautement réglementées et du secteur public plus de choix et de flexibilité pour répondre à l’évolution des exigences de localisation des données et de résilience dans l’Union européenne » indique ainsi l’entreprise dans un communiqué. Elle précise que ce cloud doit permettre à ses clients de « conserver toutes les métadonnées qu’ils créent dans l’UE » et que « seuls les salariés d’AWS résidant dans l’UE auront le contrôle de l’exploitation et du support » de ces nouvelles infrastructures séparées.

Toute avancée potentielle en matière de confiance et de sécurité est à saluer. Mais AWS met les pieds dans le plat en utilisant le qualificatif « souverain », notamment quand il est question de l’échelle européenne. Il y a tout juste un an, le sujet avait été remis sur la table par les différents partenariats avec des entités françaises annoncés par les Gafam, pour rassurer sur les risques liés aux accès aux données par le biais de législations extraterritoriales. Nous signalions alors déjà à quel point la notion de souveraineté pour le cloud était une question-piège. Et plus encore alors qu’en Europe, les États-Membres discutent à bâton rompu de ce que doit être EUCS, le schéma de certification des prestataires cloud. Les règles du jeu ne sont pas encore clarifiées. En France, le futur du schéma national SecNumCloud, très exigeant, interroge aussi, car il ne devrait pas pouvoir coexister avec EUCS. Les nouvelles garanties apportées par une entreprise comme AWS pourraient suffire à rassurer certaines organisations. Mais l’emploi de l’argument de souveraineté reste un coup marketing qui contribue à rajouter du flou dans la compréhension du sujet et à affaiblir un terme qui est au cœur du débat politique.


Cet édito est issu de notre newsletter de la semaine du 23 au 27 octobre 2023, à découvrir dès maintenant : https://link.alliancy.fr/email/view/653b4df3c63b4713830908 

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