Bertrand Laurioz, PDG de Dékuple, revient sur la notion de souveraineté numérique de la data et sur l’importance d’une doctrine européenne en la matière. Doctrine qui selon lui devra notamment passer par une souveraineté du financement.
Dans la course aux technologies de télécommunications, l’Europe s’est faite dépassée par les deux géants que sont les Etats-Unis et l’Asie. Plus globalement, si on élargit à l’ensemble du champ technologique, l’Europe et la France ont une dette en la matière et sont dépendantes des USA et de la Chine.
Les choix de souveraineté dépendent fortement du contexte géopolitique
Ces deux grands pays étaient en position d’adversité, ce qui a stimulé chez eux un sens de la souveraineté, et a favorisé le développement d’entreprises majeures. Sur le plan numérique, la Chine est comparable à un bunker qui ferme les accès au monde occidental et s’inscrit dans un patriotisme offensif. Les Etats-Unis, eux, adoptent plutôt une stratégie de soft power, souhaitant s’étendre sur le monde avec un patriotisme expansif.
L’Europe, avant le conflit russo-ukrainien, réfléchissait à s’affranchir des acteurs américains. Mais elle s’est construite avec une forme de naïveté vis-à-vis des Etats-Unis, avec pour conséquence notamment l’absence de géants européens.
En privilégiant la concurrence et la protection du consommateur, L’Europe s’empêche de créer des géants mondiaux du numérique, comme l’ont fait les Américains et les Chinois.
Le blocage de la fusion Alstom-Siemens dans le ferroviaire en est un exemple symptomatique.
Si l’Union Européenne a su définir et mettre en place un cadre règlementaire avec le RGPD pour protéger les consommateurs européens et l’exploitation de leurs données, cela ne lui permet pas en revanche d’assurer une souveraineté technologique dans un monde ultra-concurrentiel.
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Une doctrine européenne du numérique
Un tel changement reste difficile à opérer, car il nécessite une définition précise et commune de la souveraineté technologique, ainsi que des rôles de l’Europe, de la France et des grandes entreprises. Si historiquement certains secteurs, comme le nucléaire, le ferroviaire, l’aéronautique, le marché des câbles sous-marins, etc. ont été définis comme stratégiques à l’échelle française, voire européenne, ceux du numérique et de la donnée sont restés encore en retrait.
Il est nécessaire, au niveau européen, de définir une doctrine, de mener une politique volontariste, de coordonner la réflexion et de prendre des décisions en fonction de la dimension stratégique et économique. De telles mesures permettront la naissance et l’émergence d’acteurs européens. Toutefois, nous ne parviendrons pas à établir une souveraineté en sanctionnant les entreprises européennes qui recourent à des solutions plus efficaces au prétexte qu’elles sont étrangères, comme ça a été le cas pour Google Analytics.
Afin de combler ce retard numérique, l’Europe n’a d’autre choix que de définir et financer des assets stratégiques pour construire sa souveraineté numérique. Il est aujourd’hui urgent de soutenir financièrement des initiatives, au niveau de l’Europe, qui vont permettre à moyen terme de gagner notre souveraineté technologique sur le numérique et la data. Cette souveraineté passera par des aides financières orientées vers des projets spécifiques ou de la commande publique auprès des entreprises du numérique, qui pourront dès lors se consolider. Par ailleurs, en France, beaucoup de startup ou d’entreprises, à commencer par celles du Cac 40, n’ont pas forcément d’actionnaires français…ce qui peut constituer un réel frein en matière de souveraineté. Ce n’est qu’au prix d’une souveraineté du financement que la France et l’Europe pourront conquérir leur souveraineté numérique.