[Billet d’humeur] L’ambiance est à la guerre économique et à la peur d’un retrait de certains acteurs techs du marché européen… De quoi pousser à l’action sur des sujets longtemps restés lettre morte en termes de stratégie industrielle numérique et de souveraineté.
“Si j’aurais su…” : nombreuses sont les organisations qui, aujourd’hui, reprennent à leur compte la célèbre formule du petit Gibus. Et pourtant, ce n’est pas faute, pour beaucoup d’entre elles, d’avoir été prévenues. Par leur direction informatique, d’abord, par la presse spécialisée ensuite, et même par l’État lui-même — lorsqu’il ne se contredit pas, comme l’a illustré récemment l’épisode du ministère de l’Éducation nationale avec Microsoft.
« Il est grand temps de se désensibiliser »
Dans ce contexte de guerre économique, que Clara Chappaz n’a pas hésité à qualifier d’“idiote” lors du Forum InCyber, la posture de représailles adoptée par l’Europe en réponse aux dernières déclarations du président Trump pousse de nombreux responsables de la cybersécurité à redouter que certains éditeurs n’en viennent à appuyer sur “le bouton rouge” — en se retirant du marché européen, à l’image de ce qu’a pu faire Microsoft en Chine.
L’enjeu de souveraineté est donc plus que jamais d’actualité, étroitement lié aux notions d’indépendance technologique et d’autonomie stratégique, également mises en avant par la secrétaire d’État au Numérique. “Nous disposons de solutions technologiques européennes performantes et de qualité. Il est grand temps de nous en saisir et de nous désensibiliser d’un certain nombre de solutions non-européennes, afin de soutenir ce projet d’innovation industrielle dans lequel la technologie a pleinement sa place”, a-t-elle rappelé au micro de la rédaction.
Puissance économique ou colonie numérique ?
Sur la question de la responsabilité, elle est très claire : “Nous sommes dépendants des outils technologiques, mais ce n’est pas une fatalité. En matière de réponse, c’est à l’État de définir une doctrine claire sur les technologies à utiliser. Nous devons créer des offres européennes souveraines et soutenir leur montée en puissance.”
Dans cette optique, elle évoque la commande publique numérique en cours, ainsi que la coopération entre les Pays-Bas, l’Allemagne et la France pour équiper les agents publics d’une suite d’outils — notamment bureautiques — souveraine.
Fantasme dystopique ou risque réel, la peur du “bouton rouge” pourrait bien devenir un levier stratégique pour faire enfin ce qui aurait dû être entrepris depuis longtemps : faire de l’Europe la puissance économique qu’elle a toujours rêvé d’être… et éviter qu’elle ne devienne (ou reste ?) la colonie numérique des autres puissances.