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Les start-up françaises punies pour avoir été des enfants gâtés

Les start-up françaises punies pour avoir été des enfants gâtés

La French Tech a fêté ses dix ans cette année. Mais les entreprises technologiques, en particulier les plus jeunes d’entre elles, traversent une zone de turbulences. Quelques explications peuvent être esquissées pour en saisir les tenants et aboutissants.

Être positionné sur un segment porteur comme la seconde main ne suffit pas pour réussir quand on est une start-up. Barooders en a fait la cruelle expérience cet été. La société, fondée en 2020 par Edwige Michau et Geoffroy D’Autichamp, se proposait, via son appli, de rendre le matériel de sport outdoor accessible au plus grand nombre en pratiquant des prix plus abordables. Après être parvenue à lever 1,3 M€ en 2021, puis 2,5 M€ auprès de Kima Ventures et de business angels de la French Tech en 2022, elle a été placée en liquidation judiciaire cet été.

La réalité que recouvre le terme de start-up est au demeurant assez vaste mais si l’on s’en tient aux critères retenus par la Banque de France dans son analyse (1), on peut dire que ces acteurs présentent « un fort potentiel de croissance, utilisent ou créent une technologie nouvelle et présentent un besoin de financement souvent assuré par des levées de fonds ». Mais il n’est pas toujours aisé de suivre leurs performances. Les jeunes pousses ont tendance à être un peu cachottières. Seules 19 start-up du French Tech 120, label accordé aux jeunes pousses en hyper-croissance par le gouvernement, ont ainsi publié leurs comptes en 2023, selon des informations compilées par le site Pappers contre 21 en 2022.

Néanmoins, l’examen de groupes représentatifs de cette population d’entreprises en devenir permet de dégager quelques tendances de fond. « Pour notre analyse (2), nous avons retenu un échantillon composé de 1 231 sociétés françaises post Série A. Toutes ont été créées après 2005, la majorité entre 2014 et 2019 (58%), et elles ont enregistré en moyenne trois tours de financement », explique Sébastien Paillet, CEO de ScaleX Invest, plateforme SaaS de scoring d’entreprises. En général, ces entités ont réussi à convaincre des investisseurs, au moins un grand argentier institutionnel, pour la plupart. Elles ont aussi été adoubées par le marché, après avoir engrangé leurs premiers succès commerciaux.

Sur le graphique 1a, on voit clairement l’atteinte d’un pic des défaillances en 2022 et 2023, les entreprises dans la tranche d’âge 6-8 ans ayant payé le plus lourd tribut. Une question d’argent ? Non. Avant le resserrement net des financements à partir de 2022-2023 lié à la pandémie, aux crises géopolitiques et à l’inflation généralisée, l’argent a coulé à flots. Le montant des fonds levés est ainsi passé de 1,81 Md€ en 2015 à près de 13,5 Md€ en 2022 (cf. graphique 1b).

Graphique 1a

Sources des chiffres : ScaleX Invest, Pappers, Crunchbase

Graphique 1b

Sources des chiffres : ScaleX Invest, Pappers, Crunchbase

Pour 70 % d’entre elles, les difficultés seront mêmes apparues très vite, intervenant dans les trois années après la levée de fonds, ce qui est relativement rapide. A quoi attribuer cette mauvaise fortune ? « Quand une société passe le cap de la vingtaine de salariés, après s’être concentré sur le produit et sa commercialisation, il faut créer les fonctions support. Cela fait évoluer le business model et les coûts de structure sont plus élevés. L’entreprise devient plus difficile à manier », observe Sébastien Paillet.

Invest or perish !

Le marché s’est finalement assaini après des années où les managers des portefeuilles au sein des sociétés d’investissement devaient impérativement déployer les fonds collectés auprès de leurs LPs pour justifier leurs carried interests. Ce faisant, les valorisations sont redevenues plus réalistes. « Je trouve que cela a remis un petit peu de bon sens sur le marché », affirme Claude Calmon, fondateur de Calmon Partners, un cabinet de conseil qui accompagne les startups françaises dans leurs levées de fonds. L’entrepreneur, qui est lui-même par ailleurs un business angel, voit du bon dans ce retour de balancier. « Les fonds ont fait passer un message aux start-up qui a été grosso modo : « montrez-nous ce que vous êtes capable de faire sans que nous devions réinjecter du cash tous les 9 mois », résume-t-il.

Le produit, le produit et encore le produit…

In fine, le juge de paix reste la réussite commerciale rencontrée auprès de ses utilisateurs par une solution aboutie. « Le produit que nous avons conçu étant performant, le taux de transformation a tout de suite été au rendez-vous donc nous avons moins dépensé en marketing pour nous faire connaître. Au début, nous nous versions l’équivalent de 2000 €/an, nous étions encore employés avec mon partenaire. Franchir le cap du premier million d’euros de chiffre d’affaires a été un jalon important. », se remémore Nicolas Dubouloz, CEO et fondateur en 2015 de N2JSoft, éditeur d’une solution cross-platform de gestion de notes de frais. Aujourd’hui, N2JSOFT emploie 140 collaborateurs et vise les 215 salariés en 2025. Elle a levé 24 M€ auprès de la société de capital développement PSG Equity en 2023. Une des plus grosses levées du secteur l’an passé. Les affaires vont bien. Elle a réalisé 10 M€ de chiffre d’affaires en 2023 et table sur 50 millions d’euros d’ici 2028 grâce à une base de clients en pleine expansion.

Des baisses de forme sectorielles mais rien d’insurmontable

Tout d’abord, l’horizon n’est pas tout noir. D’après les données de la Banque de France, le chiffre d’affaires des start-up a progressé de près de 19% en moyenne et leurs effectifs se sont accrus de 8% l’année dernière. L’analyse de 2295 bilans de start-up montre aussi que la trésorerie est préservée et que les pertes se stabilisent. Les fonds propres résistent et la dette bancaire ou obligataire reste un levier de financement additionnel. Cela étant, certains secteurs présentent des fragilités plus importantes. Au plus fort de la crise, en 2023, deux tiers des start-up en difficultés (absence de fonds propres, lourdes pertes, faiblesse de la trésorerie) ont été directement placées en liquidation judiciaire. Une défaillance sur cinq a concerné une start-up du secteur de la santé. Venaient ensuite les filières de l’énergie et de l’environnement, de l’alimentation et du e-commerce, nous apprend l’institution financière dans son analyse.

Qu’attendre de 2024 ?

Si les méga-levées de plus de 100 millions d’euros appartiennent au passé, le marché devrait regagner de la traction avec la percée significative des greentech et la montée en puissance de l’IA, qui fait un peu de l’ombre aux cryptos. Seulement 19 start-up françaises spécialisées dans ce segment de la fintech ont levé des fonds entre janvier et juillet 2024, contre 29 à la même période l’an passé. En 2023, MistralAI a été la seule à entrer dans le club fermé des startup valorisées à plus d’un milliard d’euros. Mais la récente plongée de l’action de NVIDIA, géant américain des semi-conducteurs à la bourse de New York montre la grande fébrilité qui règne dans ce domaine…

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