La Mutuelle Générale, troisième mutuelle française avec 1,17 milliard d’euros de chiffre d’affaires, a intensifié ces dernières années sa stratégie de services digitaux pour ses adhérents. En regard, l’entreprise a également fait le pari de l’innovation pour ses services internes, notamment RH. Stéphane Gannac, directeur général adjoint RH, projets, communication et action sociale, détaille l’importance de cette réciprocité et les leçons tirées d’un ambitieux projet mené en neuf mois.
Alliancy. Quelle place tiennent aujourd’hui les nouveaux services numériques dans la stratégie de La Mutuelle Générale ?
Stéphane Gannac. Nous avons récemment annoncé le renforcement de notre stratégie en matière de services, que ceux-ci soient destinés aux entreprises ou aux particuliers. Notamment en matière d’e-santé et de télémédecine, des sujets qui sont encore relativement neufs dans notre secteur. Nous souhaitons surtout que toutes les parties prenantes puissent en profiter. C’est pourquoi par exemple, nous avons mis en place en septembre dernier, notre première cabine médicale connectée au sein de notre siège. Celle-ci permet de réaliser 93% des examens d’un cabinet médicale.
Pour les 500 salariés travaillant ici, c’est donc un test grandeur nature qui non seulement leur simplifie la vie, mais préfigure aussi les futurs services que nous imaginons pour nos clients. Le principe, c’est que nous offrons les consultations, mais qu’ils nous fournissent en retour des observations concrètes sur les forces et contraintes d’une telle cabine. Après 5 mois l’appropriation est excellente et nous avons en moyenne une consultation par jour. Les collaborateurs sont ainsi engagés proactivement dans la construction de ce qui se verra demain dans d’autres entreprises. Sans compte qu’en tant qu’acteur de la santé, La Mutuelle Générale vise une certaine exemplarité pour les services qu’elle propose en interne. Pour autant, il ne faut pas tomber dans le piège des effets gadgets et des services numériques comme une fin en soi : avec ce type d’expérimentation nous nous assurons que nous ne nous trompons pas de combat, tout en proposant un bénéfice direct à nos salariés.
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A quel point cette réciprocité entre expérience salarié et expérience client se retrouve-t-elle dans vos autres projets ?
Stéphane Gannac. Il est vraiment important de matérialiser auprès des salariés ce que signifie cette « transformation digitale » dont tout le monde leur parle en permanence. Il ne faut pas qu’il y ait un sujet « client » un peu lointain, et que nous ne vivions des expériences digitales vraiment intéressantes seulement dans notre sphère personnelle. La sphère professionnelle doit être à la même hauteur. Cela peut se traduire de nombreuses façons et sur des sujets qui sont moins « médiatiques » qu’une cabine médicale connectée. Nous l’avons vu sur notre gestion des RH par exemple.
Comment cela ?
Stéphane Gannac. En 2017, nous avons fait le choix de l’innovation sur cette partie, en nous dotant de la solution de Workday, une entreprise américaine née il y a à peine plus de dix ans dans le cloud. J’entendais depuis des années l’insatisfaction au niveau de la DRH sur les outils de gestion de paie et de temps. Les fonctions de base étaient bien gérées par l’outil, mais il y avait un sentiment d’obsolescence de plus en plus lourd à porter pour les équipes.
Quand l’éditeur de cet outil nous a annoncé que notre version ne serait plus maintenue, nous nous sommes dit : « quitte à changer, autant bien le faire et se préparer à l’avenir ». Et cette occasion a bien été saisie au niveau des équipes RH : la responsable de la paie qui dirigeait ce projet est venu me présenter les possibilités qui s’offraient à nous, dont un acteur « digital native », Workday. Une solution à l’origine dédiée à la finance, qui n’avait encore jamais pris en charge les questions de paie à l’époque, et qui avait l’ambition de s’y attaquer. La paie française est réputée pour être l’une des plus complexes au monde. Workday voyait donc cela comme un défi qui leur permettrait d’acquérir une vraie crédibilité sur ce créneau. La responsable avait un vrai enthousiasme pour ce choix d’une innovation de rupture.
Et du côté de la DSI ?
Stéphane Gannac. Notre DSI avait une culture du changement assez forte. Ce genre de prise de position ne lui faisait donc pas peur. En étudiant toutes les promesses et la couverture fonctionnelle de l’outil et en les comparant aux autres acteurs du marché, nous avons pu nous faire une opinion claire sur les avantages et les défis d’un tel choix. Nous avons eu notamment la conviction très tôt qu’il fallait pour une telle transformation une hyper-intégration entre équipe RH et IT, porté au plus haut niveau par la DG, et viser une réalisation dans un laps de temps court. L’objectif était de basculer la paie au 1er janvier 2018, 9 mois après notre décision.
Au niveau de la direction générale, la promesse était-elle audible ?
Stéphane Gannac. La solution divisait par deux le coût du « run », ce qui a impliqué une promesse de ROI suffisamment concrète et courte dans le temps pour la direction générale, C’est un point important quand un investissement se chiffre ainsi en millions d’euros, et concerne un « service support ». Qu’est-ce qui justifie de changer une paie qui fonctionne – malgré un outil ancien ? L’argument était que cela matérialisait notre ambition digitale jusque dans la fiche de paie des salariés. J’avais clairement la volonté de faire plus que ce que nous faisions jusqu’alors en termes de gestion des paies et du temps. Il y aurait un effet direct pour les équipes RH, notamment en termes de gain de temps au quotidien, mais aussi des effets visibles pour tous les collaborateurs à travers de nouveaux usages digitaux : le bulletin de salaire électronique avec un coffre-fort personnel – géré par un tiers neutre et pérenne – mais aussi le badgeage virtuel pour remplacer nos badgeuses classiques. De manière générale, toutes les fonctionnalités devaient être disponibles sur tablette et smartphone et ouvrir la voie à notre stratégie de « self-care ». Un vrai changement culturel donc, en miroir des changements d’usages que l’on promet à nos clients.
Etes-vous allé plus loin que le périmètre de départ de la paie et de la gestion du temps ?
Stéphane Gannac. Nous avons basculé en janvier 2019 la partie évaluation annuelle sur Workday, pour passer à une gestion plus fluide et en temps réel. Au printemps, nous passerons aussi le pilotage de la masse salariale et peut-être ensuite la formation.
L’idée derrière une telle transformation est qu’elle soit structurante pour l’avenir. Nous voulons sortir d’une situation où les équipes RH passent leur temps à seulement produire de la donnée, pour leur laisser le temps et leur faciliter l’analyse. Ce gain de liberté est critique pour permettre une vraie coopération entre le business et la DRH, au service de toute l’entreprise.
Comment s’assure-t-on qu’un tel projet structurant soit une réussite et pas une source de conflit ?
Stéphane Gannac. Ce projet mené pendant 9 mois l’a été par une seule équipe IT et RH, colocalisée. Et pour engager les parties prenantes autour du changement, nous avons fait l’inverse de ce que choisissent de faire de nombreuses entreprises : nous avons pris des intérimaires pour gérer la paie classique pendant ces 9 mois, pour que nos équipes puissent se concentrer sur le projet. Souvent le projet de transformation est confié à des externes, pour aller plus vite, mais cela a le désavantage très mal évalué de créer une distanciation avec les collaborateurs… Notre autre facteur de réussite, c’est que les deux sponsors, le DSI et moi-même avons bien été présents à tous les comités de pilotages. Et pas qu’au premier et au dernier, les plus faciles ! L’exemplarité passe également par là. Il a fallu s’astreindre à participer, cela a eu un impact sur nos agendas, mais tout le monde était présent et engagé avec nous. Cette discipline est nécessaire pour éviter les effets d’essoufflements sur ce genre de gros projets de transformation. Et avec cet engagement permanent, nous n’avons jamais dû arbitrer RH contre IT. C’est une des forces de cette approche.
Comment ces changements ont-ils été perçus par les collaborateurs, par rapport à vos prévisions ?
Stéphane Gannac. Pour le bulletin de salaire dématérialisé, 3 collaborateurs seulement (sur près de 2 000) ont activé l’option d’opt-out pour rester sur un bulletin papier. En revanche, nous nous sommes rendu compte qu’un bon nombre de personnes n’ouvraient jamais leur coffre-fort électronique. Peut-être qu’elles n’ouvraient déjà pas l’enveloppe de leur bulletin de salaire papier ? L’adaptation a été plus complexe sur le badgeage virtuel, du fait des changements de réflexes. Les routines sont remises en question et souvent c’est ce qui est le plus délicat !
A quel point les actions de « conduite du changement » peuvent aider ?
Stéphane Gannac. Je vais peut-être choquer, mais avec le recul, je pense qu’au contraire sur la conduite du changement… on en a beaucoup trop fait ! On a beaucoup anticipé les problèmes. Mais il n’est pas évident d’évaluer à quel point la conduite du changement est nécessaire. Nous avons tranché et mis en œuvre beaucoup de moyens : des fiches pratiques, des vidéos de nos gestionnaires qui expliquaient ce qui allait changer, diffusées sur notre intranet et sur nos écrans dynamiques, des motions design, plusieurs guides, des focus groupes… Mais, ce qui a été le plus utile, c’est la cellule de support une fois le déploiement terminé, avec deux gestionnaires joignables par téléphone pour répondre aux questions. Sur le budget consacré au « change », c’est finalement une toute petite partie dont se sont vraiment emparés les collaborateurs ; nous adapterons l’effort en conséquence, à l’avenir.
Peut-on dire qu’un changement d’outil RH – avec comme dans votre cas un choix innovant – ouvre des horizons nouveaux en matière de culture et de services digitaux dans l’entreprise ?
Stéphane Gannac. Le point à bien garder en tête, c’est qu’un outil, aussi simple et ergonomique soit-il, ne va pas simplifier des règles de gestion complexes. Des collaborateurs et des managers ont redécouvert des règles, des responsabilités… Il ne faut pas tomber dans l’illusion que le digital en lui-même simplifie tout. Mais il permet des prises de conscience, et remet sur la table des sujets importants. Nous avons ainsi ouvert en 2019 de nouvelles négociations sur le temps et les modes de travail. C’est aussi un moyen d’accélérer nos évolutions en la matière. De manière générale, la modernité d’un outil ouvre bien des horizons ; par exemple sur le télétravail, qui serait bien trop difficile avec un outil ancien. Un autre exemple, qui est une attente forte de ma part, c’est la possibilité de révolutionner notre manière de recruter, avec un cockpit permettant enfin de tout centraliser en termes d’actions de recrutement, de suivi des candidats, et qui permette aux managers de faire le lien depuis l’offre d’emploi, jusqu’à la signature électronique du contrat, et la transmissions de toutes les pièces administratives par voie numérique. La phase d’intégration débutera elle aussi avant même qu’un candidat ait mis le pied dans l’entreprise. Cette modernité RH est nécessaire pour attirer les talents, autant qu’une cabine médicale connectée peut l’être pour leur simplifier la vie et les fidéliser.