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Stéphane Rousseau (Eiffage) : « Les DSI développent de nouvelles fonctions pour tirer le meilleur parti du multi-cloud »

Le groupe de construction et de concessions français Eiffage compte 65000 collaborateurs dans 50 pays. Ses multiples métiers changent aujourd’hui en profondeur grâce au numérique. Pour soutenir cette transformation, Stéphane Rousseau, DSI du groupe, doit lui gérer la présence grandissante du cloud à tous les niveaux de l’entreprise. Il décrit les enjeux financiers et culturels que cette accélération implique. Stéphane Rousseau est intervenu lors du du dîner « Les DSI à l’ère du multi-Cloud : comment maîtriser la complexité (et les coûts) ? » organisé par Alliancy avec Lucernys le 10 décembre. 

Stéphane Rousseau, DSI du groupe Eiffage

 

Alliancy. A quel point le cloud a été pour Eiffage un facteur de transformation ces dernières années ?

Stéphane Rousseau. Dans notre chemin vers le multi-cloud, je vois plusieurs facettes à prendre en considération. La première, c’est la diffusion du cloud comme vecteur de services, notamment à travers le Software as a Service. Celui-ci a fait sa place partout dans l’entreprise, car nous avons tout simplement de moins en moins le choix. Certains nouveaux services digitaux fondent leur force sur le cloud et d’autres font de toute façon leur transition forcée, les éditeurs annonçant de but en blanc le changement. Pour le DSI, finalement, cela revient à appréhender de plus en plus d’exploitation de cloud à cloud, tout en changeant toutes ses façons de faire, pour gérer les identités, les flux de data. Les équipes de développement comme celles de supervision doivent apprendre un nouveau métier.

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En quoi est-ce un nouveau métier ?

Stéphane Rousseau. Le véritable enjeu pour la DSI est d’arriver à faire une véritable exploitation informatique en multicloud, pas seulement se contenter de subir les règles du cloud en reproduisant ses anciennes façons de faire. Mais une autre facette de cloud, c’est qu’il amène également une complexité nouvelle dans les critères qui permettent de choisir un prestataire d’infrastructure informatique. Autrement dit, il faut que le DSI soit prêt à répondre à plusieurs questions : veut-il vraiment faire du multicloud comme auparavant quand il faisait du multi vendeur dans ses datacenters ? Est-ce vraiment comparable ? Où se trouvera vraiment l’axe de simplification et d’harmonisation que le DSI recherche depuis des années ?

Existe-t-il déjà des réponses claires à ces questions ?

Stéphane Rousseau. Différentes possibilités s’ouvrent au DSI. Soit il va devoir multiplier les compétences dans ses équipes pour vraiment espérer tirer parti des avantages du multicloud, soit il va devoir ajouter une couche d’abstraction pour se simplifier la vie, par exemple à travers des plateformes de « cloud brokering ». La promesse de ces dernières est séduisante, mais cela parait encore compliqué pour de nombreux acteurs. Le niveau de paramétrage demandé n’est effectivement pas anodin. Il y a donc bien quoiqu’il en soit une complexité technique et organisationnelle à laquelle il faut répondre.

Qu’en est-il de la gestion de la complexité financière et des « coûts » des clouds dans une DSI ?

Stéphane Rousseau. Il faut être réaliste, si on nous vend de plus en plus de cloud, c’est aussi que du point de vue du prestataire, l’équation économique est très intéressante. Une grande vigilance s’impose. La troisième facette à prendre en compte est donc celle du contrôle de gestion. Pour choisir ses clouds, il faut avoir les éléments nécessaires pour sélectionner les offres en connaissance de cause. Le changement de fonctionnement des DSI, des projets informatiques des entreprises ces dernières années, ont de nombreux avantages et ils ouvrent la voie à de nombreuses optimisations. Mais finalement, cette démarche peut s’inverser au détriment de l’entreprise, presque imperceptiblement si on ne surveille pas les bons indicateurs, et le cloud se transforme alors en chemin de croix. Chez Eiffage, je ne suis pas dans l’état d’esprit de prendre mes différents critères de performance et de choisir un cloud différent pour chacun d’entre eux. En revanche, quand je choisis un prestataire, je vais vraiment identifier les critères sur lesquels l’optimisation est possible, et ceux sur lesquels je vais devoir trouver une autre solution. On entend souvent dire : c’est une bonne stratégie de ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier, mais je pense que le sujet est plus complexe que cela. Les conséquences d’un engagement parallèle dans de multiples clouds va plus loin que seulement une gestion concurrentielle de plusieurs fournisseurs. D’autant plus alors que la migration de cloud à cloud reste encore complexe : qu’advient-il si l’on veut s’adapter ? Faire machine arrière ?

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Mais les entreprises ont-elles vraiment le choix ?

Stéphane Rousseau. Par construction, toutes les entreprises et Eiffage au premier rang d’entre elles, se retrouvent aujourd’hui en multicloud. Ne serait-ce que par la nature des activités internationales des groupes, le multi-cloud s’impose souvent pour des raisons géographiques et de performance. Cela laisse cependant en suspens de nombreuses questions d’un point de vue de maîtrise du SI, même au-delà des aspects réglementaires. Soyons humbles, nous avons tous encore besoin d’apprendre, car on sait que les enjeux financiers vont aller croissants. Déjà sur un seul cloud, ces enjeux sont complexes, car les structures de coûts en elles-mêmes sont difficiles à appréhender. Cette complexité augmente exponentiellement avec le nombre de cloud. Chaque cloud vient avec sa propre logique, ses propres fonctionnements, et une transparence toute relative.

Comment répondez-vous chez Eiffage à ces problématiques ?

Stéphane Rousseau. Il y a un besoin impérieux de développer de nouvelles fonctions au niveau de la DSI qui seront à la croisée des chemins entre l’IT et le contrôle de gestion. C’est une priorité d’arriver à faire émerger ce mix entre compétences techniques et financières, d’une façon ou d’une autre. Certaines entreprises voudront les former, d’autres aller les chercher auprès de prestataires, mais aucune ne peut ignorer ce sujet que certains appellent « FinOps ». L’avantage de vouloir s’attaquer à cette difficile problématique de la double compétence technique et financière autour du cloud est en tout cas de faire prendre conscience d’une urgence : on ne peut pas se contenter dans une direction des systèmes d’information aujourd’hui de reproduire ce que l’on faisait jusqu’à présent. C’est la culture même de la DSI en termes de vision budgétaire qui doit changer. On doit sortir des politiques d’achats classiques pour aller vers du pilotage des coûts en temps réel, et surtout en fonction d’usages réels. Pour y arriver, ce sont nos administrateurs techniques qui vont souvent devoir remettre en question leur quotidien. Et le DSI va devoir les accompagner dans cette prise de conscience du changement de leur métier, en parallèle de l’intégration des nouvelles compétences.

Quel conseil donner pour aider les DSI à prioriser ?

Stéphane Rousseau. Les DSI doivent gérer de nombreuses transformations en parallèle, mais il est impossible de courir tous les lièvres en même temps. La priorité pour se préparer à une ère imposée de multi-cloud est donc d’avancer pas à pas, sur un périmètre maitrisé, au départ avec un seul prestataire. Il y a déjà beaucoup à faire, avec méthode et outils, pour observer les évolutions des multiples facteurs de coûts, pour voir empiriquement apparaître les logiques et les axes financiers qui sont le plus à risques, qui coûtent le plus cher. Sur ces aspects précis, il sera alors possible de s’intéresser à d’autres prestataires, mais surtout de reboucler, de façon itérative, avec les pratiques de contrôle de gestion qui doivent se remettre en question. Il faut garder à l’esprit que de nombreuses DSI, comme celle d’Eiffage, ont déjà un certain nombre de fondamentaux solides en la matière sur lesquels on pourra s’appuyer. Il n’est pas question que le contrôle de gestion soit le seul garant, ou même que les administrateurs IT s’emparent seuls des aspects financiers. Une voie médiane doit permettre d’accompagner intelligemment la rencontre des deux mondes.

Stéphane Rousseau est intervenu lors du du dîner « Les DSI à l’ère du multi-Cloud : comment maîtriser la complexité (et les coûts) ? » organisé par Alliancy avec Lucernys le 10 décembre. 

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