>> Cette interview est extraite de notre carnet d’expériences « DRH, DSI et Digital Workspace », à télécharger en cliquant sur ce lien.
Stéphane Rousseau, DSI d’Eiffage et Franck Gauthier, DRH d’Eiffage Construction, nous livrent leur regard sur les enjeux de transformation auxquels fait face leur groupe sur le sujet de l’environnement numérique de travail. Ils mettent en avant l’importance du dialogue entre leurs deux métiers.
Alliancy. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru par Eiffage ces dernières années en matière d’environnement numérique de travail ?
Stéphane Rousseau. Nous sommes dans une dynamique sur ces deux dernières années et ressentons une accélération. Fin 2019, nous avons reconduit notre suite collaborative Office 365, avec pour ambition de monter en puissance avec un service intégré de conférence-chat-collaboration. En parallèle, nous voulons également donner une identité numérique à tous les collaborateurs, quel que soit leur métier.
En tant que groupe de BTP, nous avons en effet encore beaucoup de personnes sans matériel informatique sur les chantiers. Notre préoccupation est donc l’inclusion numérique pour donner à tous, accès au SI et à ses services. Nous avons ainsi développé un « bureau numérique » pour les compagnons [N.D.L.R. : nom donné aux collaborateurs travaillant sur les chantiers] pour qu’ils puissent accéder à l’information en mobilité. C’est un bureau simplifié qui est complémentaire de la borne Eiffage Connexions sur les chantiers. Cette borne physique avec écran tactile facilite elle aussi l’accès numérique, avec une approche « phygitale » de proximité.
Franck Gauthier. Depuis 2016, les processus RH ont également été fortement numérisés, que ce soit sur les sujets du quotidien comme les notes de frais et l’inscription aux formations, ou sur les sujets stratégiques comme le recrutement et la gestion des talents. Cette intégration de l’environnement numérique de travail avec les RH est particulièrement importante. Nous devons pouvoir étendre notre approche, autant à notre cœur de métier qu’à tous les autres éléments qui font le quotidien du salarié : congés, entretiens individuels, onboarding… pour fédérer des salariés répartis sur l’ensemble du territoire.
Ainsi, quelle expérience cherchez-vous à leur offrir ?
F. G. Ce qui est recherché, c’est déjà le bien-être au travail, à travers la possibilité d’avoir un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Comme dans beaucoup d’entreprises, nous avions par le passé des tâches très séquencées et séparées dans nos métiers. Le numérique permet de les lier et de les fluidifier. L’expérience au quotidien des collaborateurs et leurs échanges avec l’entreprise deviennent beaucoup plus flexibles, moins contraignants, et surtout possibles en mobilité, ce qui est un point clé.
S. R. Les métiers d’Eiffage s’exercent en majorité en dehors de nos « bases ». Il est donc essentiel de tout faire pour réduire la fracture numérique qui peut naturellement exister entre les bureaux et les chantiers. C’est le point de référence : offrir une expérience qui puisse être similaire pour tous, quelle que soit sa position.
Quels sont vos plus grands défis en la matière ?
F. G. Il faut reconnaître que si le numérique facilite les flux, certains temps d’échanges restent incontournables dans la relation avec les collaborateurs, et sont très difficiles à reproduire en digital. Par exemple, le numérique peut soutenir l’entretien individuel, mais ce dernier doit se tenir en face-à-face. Le digital a cet avantage de laisser une trace dans la durée, de faciliter le partage d’informations, et donc de capitaliser sur les données. Le défi est de s’emparer de ces possibilités. Pour reprendre mon exemple, il faut que l’entretien annuel soit interfacé efficacement avec les offres et les plans de formation, avec les possibilités de mobilité professionnelle, et avec les informations de recrutement. Et le DRH ne peut pas rester passif avec ce potentiel pour le salarié. Il doit, plus encore que par le passé, montrer qu’il assure le suivi et qu’il accompagne tout le parcours du collaborateur : il lui est nécessaire d’apporter la preuve de ce pilotage réinventé. C’est tout l’indice de confiance RH dans l’entreprise qui se joue de cette façon.
Comment vivez-vous votre coopération RH/IT sur ces sujets ?
F. G. Nous sommes forcément très complémentaires… Ce dialogue avec la DSI est nécessaire car un DRH a besoin en quelque sorte d’avoir un contradicteur qui se concentre sur les enjeux d’efficience par rapport aux « idées saugrenues » en termes d’usages qu’il pourrait avoir ! Cette logique de critique constructive reste un peu nouvelle entre nos deux métiers, mais elle est essentielle.
S. R. Dans cette relation, la DSI se retrouve avec une forme de responsabilité régalienne sur les questions de fiabilité, de respect du RGPD et de cybersécurité notamment. Cela ne donne pas toujours le beau rôle dans la conversation ! Malgré tout, je suis d’accord, il faut mener ce dialogue de façon intense, quitte à mettre en évidence les sujets qui fâchent. Quand on regarde les fonctions RH aujourd’hui, avec une technologie qui a tellement évolué, les possibilités offertes aux DRH sont très impressionnantes en termes de mobilité, d’innovation, d’écosystème… Il leur suffit donc de se projeter et d’imaginer. D’ailleurs, en observant la répartition des efforts de la DSI sur nos différents sujets, c’est bien auprès des RH que ceux-ci sont le plus intenses, que ce soit en termes d’investissements financiers ou de compétences. Cela est particulièrement visible depuis un an et va encore durer une ou deux années au minimum.
Les outils du marché sont-ils au rendez-vous ?
F. G. Les collaborateurs ont vraiment une forte attente sur les outils. D’après notre dernier baromètre interne mené auprès de 6 000 collaborateurs, dont 1 500 compagnons, 72 % d’entre eux pensent que les outils digitaux facilitent la vie, mais plus de la moitié attend aussi plus d’accompagnement pour en profiter pleinement. C’est un message extrêmement fort pour la DSI autant que pour la DRH. Il s’agit moins de trouver l’outil parfait que de prendre le temps nécessaire à l’adoption par les collaborateurs. Et sur un chantier à Pau ou à Besançon, ni la DSI ni la DRH ne sera là, juste à côté. Il faut donc s’adapter.
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S. R. C’est d’ailleurs sur l’accompagnement qu’une entreprise risque de voir naître les frictions : il faut donc être particulièrement vigilant pour répondre conjointement à ces attentes. Nous savons que même si de nombreux progrès ont été réalisés, il n’est pas toujours si « naturel » d’utiliser la technologie ; le travail sur l’intuitivité et la prise en main sont encore très importants. C’est d’autant plus essentiel que plus une entreprise se muscle sur l’environnement numérique de travail, plus cela crée des attentes en retour. Quand on commence à mener des recrutements en utilisant Teams, on met la barre très haut en matière d’expérience collaborateur globale, pour la suite. Le nouveau collaborateur s’attendra à retrouver une expérience cohérente sur l’ensemble des sujets de l’entreprise. Il ne faut donc pas s’arrêter au milieu du gué et faire qu’un environnement numérique de travail inabouti crée une terrible désillusion.