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Stéphane Roussel (Les entreprises pour la Cité) : « S’il n’y a pas de diversité, il n’y a pas de business »

Stéphane Roussel a été nommé fin 2019 président du réseau Les entreprises pour la Cité*, qui porte depuis 2005 la Charte de la diversité signée par 4 000 entreprises à ce jour. Il est également PDG de Gameloft et membre du directoire de Vivendi. Il revient pour Alliancy sur les actions de l’association à l’heure du dernier Bilan Diversité.

Stéphane Roussel, président du réseau « Les entreprises pour la Cité » (LEPC).

Stéphane Roussel, président du réseau « Les entreprises pour la Cité » (LEPC).

Alliancy. Que diriez-vous sur la façon de faire prendre conscience aux entreprises de l’impératif de « diversité » ?

 

Stéphane Roussel. Pour rendre plus crédible auprès des entreprises la notion de diversité, pour qu’elle pénètre vraiment, il faut réussir à ne pas dissocier l’aspect sociétal de l’aspect économique. La diversité, ce n’est pas uniquement le côté « Je dois bien faire », parce que c’est un courant de pensée actuel ou une obligation réglementaire… S’il n’y a pas de diversité, il n’y a pas de business. Et, pour toutes les diversités, c’est la même chose… Dans l’univers du divertissement dans lequel j’évolue par exemple (Vivendi, Gameloft), je l’ai même mis dans notre raison d’être. Mais, en quelque sorte, dans notre secteur d’activité, c’est natif…

Oui, mais quand c’est moins « évident », comment fait-on concrètement ?

Stéphane Roussel. Je crois beaucoup aux actions simples, équitables et ordinaires qui amènent logiquement la diversité. Il faut la promouvoir pour en faire une évidence. Je plaide en tant qu’ambassadeur de la diversité au côté positif de l’histoire. Il ne s’agit surtout pas de la cacher pour réduire les risques.

Au sein de votre association, qu’entendent les signataires de votre Charte de la diversité par ce mot ? Voit-il d’abord l’origine ethnique, la parité homme-femme ?

Stéphane Roussel. Cela dépend beaucoup parmi les 4 000 signataires de la Charte. Nous essayons justement de faire comprendre que cette notion de diversité doit être prise dans toute sa mesure. Certains vont plus accentuer un aspect plutôt que l’autre… Les médias également impactent certains courants et moins d’autres… Mais, plus nous expliquons que la diversité est multiple, plus nous avons des chances que cela touche tout le monde. Chez Vivendi par exemple, nous soutenons le Psychodon, une initiative visant à faire des troubles psychiques en entreprise une grande cause nationale. Dans les métiers artistiques et créatifs, la frontière est ténue entre mal-être psychique et créativité… C’est pourquoi il est important de conjuguer toutes les richesses humaines et toutes les formes de créativité. Il ne faut donc pas le voir comme un inconvénient qu’il faut cacher, mais bien comme un avantage différenciateur.

Récemment, sept entreprises ont été épinglées par le gouvernement pour discrimination à l’embauche. Une réaction ?

Stéphane Roussel. Là, on voit bien qu’il y a un aspect à la fois défensif et offensif quand on parle de diversité. En France, on regarde souvent ce qui ne va pas. Il faut le faire évidemment et dénoncer ce qui n’est pas normal, mais on devrait davantage évoquer les actions qui permettraient de faire évoluer ces situations. Mais c’est compliqué car la loi française ne permet pas certaines choses… J’espère juste que ce classement est fait sur des critères pertinents, car une telle enquête demande beaucoup de travail. Aux entreprises incriminées désormais de réagir et d’avoir les actes qui prouvent leur discours.

Comment voyez-vous la montée du numérique sur tous ces sujets ?

Stéphane Roussel. C’est une chance, car le numérique a rebattu les cartes de la compétence au sens large. On va donc moins discriminer par rapport aux études et encore moins par rapport à un background scolaire ou culturel… Avec le digital, plus de monde a sa chance ! Aujourd’hui, il y a davantage de place pour un pragmatisme dans le recrutement. Face à la pénurie de talents, tout le monde court principalement après les compétences, notamment digitales et culturelles. Peu importe où l’on vit également.

Quels outils doit-on mettre en place pour veiller à la diversité en entreprise ?

Stéphane Roussel. Il faut se baser uniquement sur les compétences et non sur un autre critère. Donc, plus les méthodes pour recruter sont honnêtes, lisibles et transparentes, plus indirectement vous favorisez la diversité. La sélection classique par les entretiens par exemple vous expose à des biais… Au sein de l’association, on travaille beaucoup sur ces sujets. Objectiver les outils est certainement le meilleur levier pour changer, notamment pour les postes les plus qualifiés.

Pensez-vous que les moyens sont là pour accompagner les personnes en charge de la diversité dans les entreprises ?

Stéphane Roussel. Pas toujours… Ce qui est dangereux d’ailleurs est de concentrer les efforts sur une seule personne qui s’occuperait de la diversité. Il faut que le sujet soit vraiment porté par le dirigeant, de façon à mettre en ordre de marche toute l’équipe de direction. Il faut des règles claires édictées par l’entreprise, qu’elle connaisse ses propres pratiques de recrutement et de développement de carrière, les différentes procédures… Et il ne suffit pas non plus de remplacer ses équipes RH par des algorithmes… Non seulement, il faut des convictions, mais aussi des outils que l’on maîtrise, la Charte de la diversité en fait partie.

Sur ce point finalement, comment les entreprises arrivent jusqu’à vous ?

Stéphane Roussel. Il y a deux grands courants. Il y a un point de vue pragmatique : les entreprises veulent envoyer un message positif à l’intérieur et en externe. Il faut donc veiller à ce que ce ne soit pas seulement un acte de communication. Ensuite, il y a celles qui ont des difficultés de recrutement et qui, en affichant notre Charte, vont pouvoir attirer des candidats en les informant sur leurs valeurs. Dans le bâtiment par exemple, c’est très clair.

Diriez-vous que les entreprises sont plus matures aujourd’hui sur la diversité qu’il y a cinq ans ?

Stéphane Roussel. Oui, tout à fait. Pour deux raisons, une bonne et une moins bonne. La difficulté à recruter d’un côté et le fait qu’il faut montrer patte blanche de l’autre… un peu comme pour l’environnement. A nous ensuite d’être vigilants et de ne pas valoriser les entreprises qui ne font pas ce qu’il faut. Ce n’est pas simple à vérifier, mais c’est quand même faisable avec quelques questions clés.

Mais c’est impossible pour une entreprise de ne pas être honnête, non ?

Stéphane Roussel. Vous avez raison, car quoi qu’il en soit, la sanction viendra toujours du client ou du collaborateur, personne n’est dupe ! Le client quand il fait un acte d’achat regarde les valeurs affichées, idem pour le salarié… Et si vous êtes dans le « faux », vous avez un retour de bâton énorme et rapide. Une entreprise ne peut plus prendre ce risque, notamment avec la réactivité des réseaux sociaux.

En fait, le numérique gomme la possibilité de faire semblant. Les accidents apparaissent plus qu’avant, car ils sont dénoncés plus facilement. En ce sens, je suis optimiste et cela va aller dans le bon sens très rapidement. Aujourd’hui par exemple, une entreprise qui vend un produit qui n’a pas été fait dans de bonnes conditions sociétales ou environnementales, sera très vite sanctionnée.

Il n’y a qu’à voir également la difficulté que certaines entreprises ont aujourd’hui à recruter…

Stéphane Roussel. Les jeunes diplômés choisissent l’entreprise par rapport à tout cela ! Regardez le succès de WeTakeCare, la start-up sociale ayant pour mission de faire du numérique un levier d’inclusion… Il y a ce mouvement sociologique de fonds qui va mettre tout le monde d’accord, qui va obliger l’entreprise à grandir. Bien sûr, il y a des retardataires et de vieux réflexes managériaux notamment chez les cadres intermédiaires, mais les choses bougent réellement. Je suis confiant.

* A propos du réseau Les entreprises pour la Cité

Fondé en 1986 par Claude Bébéar, « Les entreprises pour la Cité » est un laboratoire de réflexion-action qui mobilise et inspire les entreprises pour agir et générer des transformations sociales. Il accompagne, par le partage et la co-construction, un collectif de 200 entreprises engagées dans la société, dans une logique de performance partagée (égalité des chances dans l’éducation et l’inclusion numérique, emploi et diversité en entreprise ; mécénat et investissements citoyens).

Les enseignements du Bilan Diversité

En 2019, La Charte de la diversité, en partenariat avec le Groupe Obea, a réalisé la huitième édition du Bilan Diversité, une étude visant à dresser un état des lieux des pratiques et initiatives menées par les organisations signataires engagées en faveur de la diversité et de la non-discrimination, ainsi qu’à mesurer leurs évolutions. Cette étude, à laquelle ont répondu plus de 1 300 signataires (soit 30 % des signataires de la charte), a permis de constater le lien entre diversité et performance économique. En cinq ans, la diversité est ainsi devenue un incontournable levier de performance sociale, vecteur de performance économique. Un constat désormais largement partagé.

Les points clés du Bilan à retenir :

  1. La diversité, un enjeu toujours central pour les signataires,
  2. La diversité au cœur de la stratégie RSE,
  3. Une démarche diversité plus englobante,
  4. Une gestion volontariste de la diversité au service de l’égalité des chances,
  5. Des leviers différenciés de sensibilisation et d’implication des collaborateurs, des RH et des managers,
  6. Zoom 2019 sur les « Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville » (QPV) et l’Index égalité professionnelle,
  7. Pilotage des actions et mesure d’impact : des avancées en matière de quantification,
  8. Une forte communication autour la Charte à mieux valoriser vers l’externe.
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