>> Cet article est issu du Carnet d’expériences « Accélérer sa transfo applicative »
En tant que chief digital officer de STMicroelectronics, Matteo Barbazza supervise les transformations IT qui doivent permettre à l’industriel de devenir plus agile et rapide, notamment en matière de développement applicatif. Il partage son retour d’expérience dans un contexte marché très particulier pour le secteur.
Quels sont les principaux axes actuels de la transformation digitale de STMicroelectronics ?
L’année écoulée a été une année très particulière pour notre secteur, celle de la pénurie ou plutôt d’une inadéquation entre l’offre et la demande de composants électroniques. L’entreprise a pu accompagner en 2020 la croissance de la demande autour de nombreux nouveaux usages en matière d’électronique personnelle, d’IoT ou dans l’automobile.
A lire aussi : [Interview] La digital factory de TotalEnergies, un pouvoir de décision novateur pour transformer
Aujourd’hui, la demande mondiale en semiconducteurs est en effet très importante par rapport aux capacités de production et à la disponibilité actuelle des matières premières. Dans ce contexte, notre transformation digitale a renforcé l’accent mis sur deux axes : devenir plus flexibles en termes d’approvisionnement, notamment face aux changements du marché, et réduire le temps de développement de nouveaux produits (en R&D).
[bctt tweet= »« Nous sommes une entreprise de hardware. Mais nous constatons aussi l’importance grandissante du software dans nos métiers. Le changement au niveau du business model se joue là. » » username= »Alliancy_lemag »]C’est une stratégie que nous avons lancée il y a maintenant trois ans, sous le leadership du chief transformation officer, et heureusement que nous avions commencé avant la crise ! En tant qu’entreprise de semiconducteurs intégrée, nos usines ont une place bien spécifique dans le modèle opérationnel. Nous investissons donc dans la production et la chaîne d’approvisionnement autant que dans la R&D. Notre marché est très fortement tiré par l’innovation : il faut arriver le premier avec des produits compétitifs et des fonctionnalités innovantes. Et il faut aller encore plus vite aujourd’hui.
Est-ce que cela passe par une remise en cause de votre système d’information ?
Il fallait remettre à plat les fondamentaux, harmoniser les modèles de données et l’intégration de bout en bout. Pour y parvenir, nous avons commencé par lancer trois programmes majeurs : d’abord, la refonte du système de planification de la chaîne d’approvisionnement (supply chain), qui n’est pas en soi un programme IT mais plutôt une réorganisation métier avec une solution IT qui est notre nouvel outil de planification. Il a été associé à la refonte de l’ERP de l’entreprise.
Il s’agit en quelque sorte de la colonne vertébrale du reste de nos transformations. Par le passé, nous avions dix-huit applications « maison », intégrées une à une, ce qui bridait notre supply chain. Jusque-là, notre patrimoine applicatif n’était pas assez aligné avec la flexibilité potentielle de la supply chain.
Quels sont les autres programmes ?
Le deuxième programme concerne la R&D : nous avions un manque de digital continuity, c’est-à-dire la capacité, pour nos ingénieurs, commerciaux et marketeurs, de capter des informations « marché » et de les traduire en expressions de besoins pour la R&D afin de créer de nouveaux produits. Nos clients sont en train de changer le monde, il faut que l’on soit à la hauteur ! C’est pourquoi nous avons un programme ambitieux de transformation du cycle de vie du produit qui doit nous permettre de mutualiser, cocréer et réemployer des actifs, beaucoup plus facilement et rapidement dans une perspective d’innovation.
[bctt tweet= »« Tous les grands projets que nous menons, nous les menons en migrant tous les workloads les plus importants dans le cloud. » » username= »Alliancy_lemag »]J’ai lancé le troisième programme à mon arrivée il y a quatre ans : devenir une data driven company. Nous voulons donner la capacité à chaque business line de l’entreprise de prendre des décisions fortes, basées sur les données. Nous avons donc reconstruit l’architecture de nos données de A à Z, en passant un datalake dans le cloud, pour mettre à disposition des utilisateurs métiers des données internes et externes. Cela s’accompagne d’une gouvernance spécifique, avec la bonne cybersécurité et les bons niveaux d’accès et de ségrégation, pour permettre à ces utilisateurs d’exploiter des outils analytiques avancés dans le cloud.
Et concernant la transformation spécifique de votre manufacturing ?
Afin de fournir la structure et les outils nécessaires pour tirer pleinement parti du big data dans la fabrication, nous avons mis en place un programme important appelé « Manufacturing data & analytics ». Mis en œuvre à partir de l’intelligence artificielle, du machine learning et d’une architecture edge computing, il permet de prédire les défauts de fonctionnement et d’améliorer le rendement de la production. Cela implique un passage au cloud pour obtenir une agilité de l’IT, aussi bien au niveau des infrastructures que des modes de travail. Tous les grands projets que nous menons, nous les menons en migrant tous les workloads les plus importants dans le cloud. La particularité de notre industrie, c’est bien l’énorme volume de données. Nous sommes clairement dans une industrie 4.0 pour produire les puces, mais il faut ajouter cet aspect « big data » pour prendre les décisions. Nous voulions ainsi intervenir le plus vite possible, grâce au machine learning et au cloud, tout en ramenant aussi l’intelligence au plus près des machines, grâce aux composants IoT pour tester et améliorer notre processus de fabrication.
Concernant votre transformation applicative, quelles sont pour vous les caractéristiques les plus importantes d’applications « modernes » ?
D’abord, la simplicité d’intégration avec tout le reste du paysage applicatif : les données d’une application doivent pouvoir être mises à disposition de façon seamless grâce à des API. Ensuite, le cloud est essentiel pour ne pas concentrer ses ressources sur les infrastructures à faible valeur ajoutée mais se concentrer sur l’évolution de l’application grâce aux méthodes agile, en mode DevOps. C’est ce que le métier demande ! Un dernier point pourrait aussi être l’expérience utilisateur, avec une interface lean, qui soit en quelque sorte « orientée » vers les cas d’usage métier et non sur la vision IT.
Qu’est-ce qui a changé ces dernières années dans votre collaboration avec la DSI sur ce sujet ?
C’est un débat qu’il a fallu traiter dès le départ. Nous avons fait le choix d’un CIO et d’un CDO tous deux à la tête de l’IT, avec un périmètre respectif clair. Je m’occupe de l’évolution du patrimoine applicatif, cloud et big data, c’est-à-dire de l’élan initial de transformation. Mon homologue CIO s’occupe de la partie patrimoine des applicatifs manufacturing et de la continuité d’activité. La cybersécurité est dans son périmètre et cela pousse à une coopération très étroite. Cela fonctionne aussi parce que l’industrialisation est une de mes attributions : je transmets au CIO des projets aboutis.
Une fois ce stade atteint, c’est toute l’équipe qui change de référent hiérarchique. Pas besoin de passages complexes d’informations ou de compétences. C’est l’équipe qui a construit l’applicatif et qui en fait la maintenance en mode DevOps qui passe directement sous la responsabilité du CIO pour poursuivre l’aventure. Cette approche est possible sur tous nos principaux sujets. Mais elle est beaucoup plus délicate pour les purs projets data, qui sont en renouvellement permanent.
Historiquement, STMicroelectronics n’est pas une entreprise de développeurs. Quelle est l’amplitude du changement attendu en termes de compétences pour vos équipes ?
Il est certain que nous sommes une entreprise de hardware. Mais nous constatons aussi l’importance grandissante du software dans nos métiers. Le changement au niveau du business model se joue là. En interne, cela implique une transformation importante. D’abord, avec un plan de compétences qui concerne tout le monde, notamment l’informatique. L’an dernier, nous avons formé 600 personnes sur le cloud et la data ! Cela a aussi un impact fort sur le recrutement de nouveaux profils IT. On voit par ailleurs nos business recruter des ingénieurs logiciels, avec des équipes qui travaillent sur des sujets très différenciateurs. À notre niveau, nous fournissons les bons outils et environnements pour cette communauté clé.