L’Union européenne vient d’infliger des amendes remarquées de 500 et 200 millions d’euros respectivement à Apple et Meta. Il leur est reproché de ne pas suffisamment s’adapter au Digital Markets Act, qui cherche à limiter les défauts de concurrence sur les marchés du numérique. L’analyse de cette décision s’est immédiatement portée sur les montants limités infligés et sur son timing, dans un contexte où l’Union cherche à éviter l’escalade dans la guerre commerciale initiée par Donald Trump. Mais, plus largement, c’est le rôle que l’UE se donne vis-à-vis des écosystèmes numériques qui est également interrogé en creux. Hasard du calendrier, au Parlement européen à Strasbourg, c’est d’ailleurs bien cette question qui est abordée par près de 180 dirigeants d’entreprises du numérique et directeurs des systèmes d’information. Leur objectif : faire émerger par l’intelligence collective des recommandations opérationnelles pour relever les défis de compétitivité et de dépendance technologique du Vieux Continent.
Le numérique, au cœur de la compétitivité européenne
La 2e édition des Rencontres Numériques de Strasbourg (RNS), organisée par le Cigref, association des grandes entreprises et administrations françaises en transformation numérique, et par le syndicat professionnel des prestataires du numérique, Numeum, du 24 au 25 avril, s’est donné pour thème « Le numérique, au cœur de la compétitivité de l’Europe ? ». En 2024, le lancement de cette initiative originale avait permis d’explorer les liens entre le numérique et le progrès dans nos sociétés. La rencontre s’était conclue par un triple appel à l’écosystème : faire preuve d’audace en matière de R&D, s’approprier l’innovation de façon responsable et placer les valeurs de l’Europe au cœur des métiers numériques.
Cette dernière exigence a pris une tout autre dimension, un an plus tard, alors que l’administration Trump provoque des frictions sans précédent avec ses partenaires historiques. Les organisateurs des RNS ont bien conscience que leur appel à l’action doit dès lors aller beaucoup plus loin : il ne s’agit pas d’espérer seulement un sursaut des décideurs publics. C’est pourquoi les participants réunis à Strasbourg se sont donnés pour mission de faire émerger des recommandations concrètes à partir de leur travail collectif. Recommandations vis-à-vis du personnel politique, mais également des entreprises elles-mêmes, autour de huit thématiques animées en autant d’ateliers : « Résilience et croissance », « Économie de la donnée et leadership européen », « Numérique pour tous et par tous », « Sécurité et confiance numériques », « Intelligence artificielle », « Industrie circulaire des équipements numériques », « Compétences et talents », « Dépendances technologiques et champions européens ».
Définir le champ des possibles pour les Comex
Au-delà de l’espoir de voir les politiques publiques de l’Union et de ses États membres évoluer – à travers le fléchage de la commande publique vers les acteurs européens ou encore la constitution de marchés uniques du numérique ou de l’investissement financier – c’est, en effet, bien l’objectif des RNS de centrer ses messages sur la responsabilité d’action des entreprises elles-mêmes. Face aux incertitudes politiques, mieux définir le champ d’action possible pour les comités exécutifs est une nécessité, a souligné Emmanuel Sardet, président du Cigref. « Il faut faire de ces Rencontres Numériques de Strasbourg un game changer », a abondé Véronique Torner, présidente de Numeum en ouverture de l’événement, tout en soulignant l’importance de mobiliser au-delà des organisations représentées dans la capitale de l’Europe, et plus loin que les seules frontières françaises.
Quels sont les impacts des dépendances technologiques ?
Pour y parvenir, au-delà des ateliers de travail, les RNS ont invité des personnalités comme l’investisseur et essayiste David Baverez, la politologue Amy Greene, l’économiste et directrice de l’Institut Jacques Delors, Sylvie Matelly, ou encore le député européen spécialiste des questions de défense, ancien directeur du renseignement militaire français, Christophe Gomart. Le Cigref a aussi commandé au cabinet Astérès une étude inédite sur l’impact économique des dépendances technologiques européennes, en pointant du doigt l’absence de chiffres sur le sujet et la complexité d’éclairer les décideurs de façon objective sur un tel sujet. Clara Chappaz, ministre déléguée au numérique, est elle-même attendue à Strasbourg le 25 avril, afin de prendre connaissance des résultats de cette étude et des recommandations issues des travaux des RNS. Avec l’espoir que l’action puisse bel et bien se poursuivre à partir de là. En début de semaine, l’officialisation de la création du Comité stratégique de filière « Logiciels et solutions de confiance numérique » pour répondre notamment aux enjeux de dépendances technologiques, avait déjà nourri de fortes attentes. Les prochains mois promettent donc d’être décisifs pour traduire en réalité les appels à l’action de tout un écosystème.